19 — 22.05.2024

Nelson Makengo Kinshasa

Tongo Saa (Rising up at night)

cinéma augmenté — premiere

Les Brigittines

Venue avec une chaise roulante à confirmer lors de la réservation en ligne ou via la billetterieAccessible aux personnes en chaise roulante | Lingala → NL, FR | ⧖ +-1h35 | € 10/€ 7

La nuit tombe sur Kinshasa et ses 17 millions d'habitant·es. Juste avant Noël et quelques semaines avant les élections, des résident·es attendent et luttent pour avoir accès à la lumière. Dans son quartier de Kisenso, Kudi mobilise les habitant·es pour collecter de l'argent afin d'installer un nouveau câble électrique. Sur le mont Mangengenge, un lieu saint qui surplombe la ville, le pasteur Gédéon prononce un sermon sur la lumière du Christ qui nous guide vers la vie et la vérité. Après que les débordements du fleuve Congo aient inondé sa maison, Davido cherche un endroit où se loger. Il tue le temps en faisant de la musculation avec d’autres jeunes hommes et rêve d’un avenir meilleur. Nelson Makengo est un réalisateur et artiste visuel congolais dont la pratique oscille entre l’art contemporain et le cinéma. Avec Tongo Saa (Rising up at night), il signe un chef-d'œuvre qui assemble images et narration poétique. Dans l'espace envoûtant de la chapelle des Brigittines, il est présenté sous une forme immersive de cinéma élargi spécialement créée pour le festival. Entre espoir, déception et foi, Tongo Saa dépeint de manière subtile et fragmentée une population qui, malgré les défis, est sublimée par la beauté des nuits de Kinshasa. Un portrait sensible des lumières qui brillent encore quand une ville est plongée dans l'obscurité.

“L'obscurité de Makengo crée une dimension esthétique fascinante dans laquelle nous sommes complètement immergé·es, sans jamais perdre de vue la situation de vie dramatique des habitant·es”.
Il manifesto

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Célébrer la lumière

Entretien avec Nelson Makengo

À l’origine de Tongo Saa (Rising up at night), il y a d’abord le court métrage Nuit debout (Up at night) que vous avez réalisé en 2019, dans lequel vous filmiez déjà les consé- quences des coupures d’électricité à Kinshasa. Qu’est-ce qui vous a donné envie de revisiter ce sujet sous la forme d’un long métrage ?
Le point de départ est en réalité antérieur, c’est un projet de recherche personnelle sur la ville de Kinshasa. Je voulais photographier la ville de nuit afin de créer une sorte de carte imaginaire de la ville. Il faut dire que les nuits de Kinshasa ne sont pas des nuits ordinaires. Ce ne sont pas des nuits normales dans le sens où il y a souvent des cou- pures de courant, et des quartiers entiers se retrouvent ré- gulièrement sans électricité. Cela crée des sortes de zones hors du temps au cœur de la ville.

Je n’ai jamais vraiment eu conscience du problème que cela représentait de vivre ainsi sans garantie d’avoir de l’électricité. C’était en effet quelque chose de tout à fait normal et de quotidien à mes yeux. Ce n’est que lorsque je me suis rendu pour la toute première fois à Paris pour participer à l’université d’été de la Femis en 2013, et que j’ai passé trois mois consécutifs sans aucune coupure d’eau ou de courant, que j’ai réalisé l’anormalité de la situation à Kinshasa. Cet événement a profondément modifié ma perception de la ville, et c’est de là qu’est né mon désir de la reconstruire, d’une certaine manière, à l’aide d’une cartographie imaginaire. Cette idée, d’abord un peu abstraite, est devenue de plus en plus vivante à mesure que j’allais à la rencontre des habitant·es de Kinshasa. C’est là que j’ai réalisé que la parole était plus forte que la photographie, et qu’en alliant les deux je pouvais en faire un film.

Pouvez-vous expliquer la situation liée à la distribution d’énergie à Kinshasa ? Comment cette situation affecte- t-elle la communauté ?
La république démocratique du Congo (RDC) possède plusieurs grands barrages hydroélectriques situés en dehors de la capitale et alimentés par le fleuve Congo. Je ne m’étais jamais rendu compte de l’ampleur de ces barrages avant de me rendre directement sur place pour la première fois, pour des raisons personnelles. J’ai tout de suite réalisé à quel point ils étaient immenses. Ces barrages produisent tant d’électricité que celle-ci est d’ailleurs partagée avec les pays africains voisins. Pourquoi alors notre propre capitale souffre-t-elle tant de problèmes d’approvisionnement en énergie? À cette situation s’est ajouté un autre projet, celui du complexe hydroélectrique Inga 3, qui va lui-même superviser plusieurs barrages. Cette concordance m’a fait sentir l’urgence de questionner la situation. Je voulais aller vers les gens pour savoir s’iels voyaient les choses de la même manière que moi.

C’est aussi à ce moment-là que j’ai réalisé que, comme pour ces barrages, la question de l’accès à l’énergie est une question bien plus vaste que ce que j’avais initialement en tête. Derrière la question du partage de l’électricité ou de l’absence d’eau courante, il y a en effet un autre problème, un problème dissimulé, presque inconscient: pour beaucoup, vivre ainsi dans le noir est devenu une fatalité, une nouvelle normalité. Cela m’inquiète beaucoup. On s’est habitué au fait de ne jamais savoir quand aura lieu le retour à la normale. L’auto-préservation devient une sorte de réflexe et le problème dépasse la question de l’électricité : c’est une question de bien-être. Mon idée était donc d’aller à la rencontre de personnes luttant pour avoir accès à l’électricité de différentes manières, que ce soit en achetant un bout de câble électrique ou bien en priant pour la miséricorde divine.

Vous donnez effectivement une place inattendue aux prières dans le film.
L’attente d’un dénouement pousse en effet certain·es à laisser libre cours à leur ferveur religieuse. Le film envisage la question de la lumière sous différentes facettes et parfois, la foi remplace l’électricité. Ceci dit, je n’avais pas anticipé que cela prendrait au final tant d’ampleur dans le film. J’avais bel et bien pour projet initial de suivre un pasteur parmi d’autres personnes, mais j’ai rapidement réalisé qu’inconsciemment, tout dans le film devenait religieux, et cela précisément parce qu’il y a cette attente de quelque chose qui vienne enfin changer la donne. C’est vraiment un film sur la célébration de la lumière, peu importe le lieu, peu importe sa source, sa provenance.

Les personnes que vous suivez abordent rarement leur situation sous un angle politique. C’est quelque chose qui vous a surpris ?
C’est vrai qu’iels abordent rarement l’angle politique de façon frontale, leur approche est plutôt poétique et j’ai vécu cela comme un cadeau. Cela m’a beaucoup appris sur moi- même et sur l’endroit d’où je viens. Pourtant, la question politique se retrouve à la genèse du projet puisqu’en 2018 j’ai vécu ma première passation de pouvoir en RDC. Une alternance politique, un président qui laisse la place à un autre : c’était quelque chose de nouveau pour nous tous·tes. Il y avait beaucoup d’attente à l’époque, un grand espoir de changement. On avait l’impression que les choses allaient changer automatiquement alors que tout projet politique prend beaucoup de temps. Les gens se demandaient alors ce qu’on allait bien pouvoir faire de cette ville de Kinshasa et c’était beau.

On entend dans le film la phrase « Les gens d’ici ont cessé de rêver », qu’est-ce que cela signifie exactement ?
C’est une phrase qui était écrite dès le début, cela faisait partie de mes intentions de l’intégrer au film. Je ne sais pas si les habitant·es de Kinshasa rêvent dans le sens où iels attendent encore quelque chose, mais cela ne les empêche pas d’avancer. L’unique façon d’avancer c’est de se prendre soi-même en charge. Iels attendent sans attendre, d’une certaine manière.

Concrètement, comment met-on en lumière un film qui se déroule autant dans le noir ?
C’est la question qui est au cœur du film : comment filmer la nuit sans lumière ? Après tout, on parle de territoires où tous les repères géographiques sont effacés. En un sens, tout dans la ville devient alors connecté : il n’y a plus de frontières, de différences ou de hiérarchies. Nous avons bien sûr utilisé des torches LED et des lampes mais le défi a rapidement dépassé la question de l’éclairage au sens propre pour devenir une question de narration, car dans ces endroits-là la notion de temps passe au second plan. Le meilleur moyen de raconter une histoire c’était alors de se connecter aux corps que je filmais. C’était difficile mais ce défi était central lors du tournage : comment, sans grands moyens de mise en scène, parvenir à retranscrire ce sentiment particulier de se trouver plongé·es dans le noir ?

Votre approche particulière du son participe à cet effet d’immersion. Pouvez-vous nous en dire davantage ?
En comparaison avec l’éclairage, c’était facile de travailler le son. Comme tout se passait de nuit, il fallait plus ou moins trouver le moyen de mettre en scène le son, et pour cela j’ai choisi de le pousser à l’extrême, histoire de retrouver l’ambiance sonore de la ville. En plus de tout ce que nous avons fait en post production, l’ajout de sons et les différents mixages, je me suis amusé à utiliser des enregistrements pris dans les rues de Kinshasa pendant la journée. Je les ai tout simplement rajoutés sur les images filmées de nuit et, sans que l’on s’en rende compte, cela change l’ambiance de ce que l’on voit car ce sont des sons vivants. Le jour se superpose à la nuit pour maximiser l’expérience.

Vous soulignez l’aspect vivant du film et c’est vrai que, même si le sujet est grave, il s’en dégage une dimension collective galvanisante.
Il y a beaucoup de préoccupations sociales majeures en RDC mais il est indéniable qu’il existe aussi une force qui nous pousse à avancer, et cette force-là est très impressionnante. Prenez par exemple cette dame qui vit dans une maison inondée. Son fils essaie de la convaincre de quitter les lieux, lui expliquant qu’elle pourrait se noyer, mais elle lui répond très simplement qu’elle n’a nulle part où aller. Cette façon d’envisager la nature humaine, c’est incroyable.

Comment avez-vous sélectionné les différentes per- sonnes que l’on voit dans le film ?
Avant le début du tournage, j’avais des idées plus ou moins écrites mais c’est surtout en commençant à filmer que les premiers groupes se sont dégagés. Ce qu’il y a d’intéressant avec cette manière de faire, c’est qu’une fois qu’on a trouvé des gens qui s’intègrent facilement, on peut toujours leur communiquer des idées mais elleux s’emparent aussi du film, chacun·e à sa manière. À nous de les suivre ou non, en fonction de ce qu’on estime être bon pour le film. J’avais des idées de mise en place mais au final, ce que ces personnes ont apporté était forcément supérieur à nos attentes, il faut donc trouver l’équilibre.

Dans les groupes que vous filmez, les femmes jouent souvent un rôle important.
Les communautés ont parfois besoin de personnes qui viennent les sensibiliser, les pousser à se prendre en charge, et ce sont souvent les femmes qui endossent cette responsabilité-là. Ce ne sont certes pas elles qui vont brancher les câbles électriques, et on les voit d’ailleurs attendre les ingénieurs pour ce faire, mais ce sont elles qui vont lancer une collecte pour l’achat du câble. Ce que je voulais filmer, c’est comment une organisation collective peut ainsi venir répondre à des questions fondamentales.

Vous choisissez de clore le film sur un générique où l’on entend différentes personnes se présenter et nous offrir leurs vœux. D’où vous est venue cette idée ?
Le film se déroule plus ou moins à la période du nouvel an. Il y a alors dans Kinshasa une ambiance très festive qui se poursuit pendant le mois de janvier. Pendant toute cette période, de nombreuses émissions de radio invitent les auditeur·ices à enregistrer des messages pour présenter leurs vœux à leurs proches. Je trouve cette tradition géniale, j’ai donc moi-même profité du tournage pour enregistrer des personnes de façon aléatoire. Clore le film avec ce clin d’œil à une authentique tradition permettait d’élargir son horizon.

  • Entretien réalisé par Gregory Coutaut Février 2024

Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Les Brigittines
Écriture et réalisation : Nelson Makengo | Assistant réalisation : Isaac Sahani Dato | Cinématographie : Nelson Makengo | Montage : Inneke Van Waeyenberghe | Son : Moimi Wezam | Création sonore : Franck Moka | Montage son : Laszlo Umbreit | Mixage : Rémi Gérard | Producteur·ices: Dada Kahindo, Rosa Spaliviero | Coproducteur·ices: Florian Schewe, Michel K. Zongo, Marie Logie, Samuel Feller | Chargé·es de production : Rosa Spaliviero, Juliette Hourçourigaray, Isaac Sahani Dato, Hélène Ballis 
Production : Twenty Nine Studio & Production, Mutotu Productions | Coproduction : Film Five, Diam Productions, Auguste Orts, Magellan Films, RTBF
Avec le soutien de : Bourse Brouillon d’un rêve documentaire SCAM, Bourse Atelier Dérives, Vlaams Audiovisueel Fonds, Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Tax Shelter du Gouvernement fédéral belge, Fonds Image de la Francophonie, Fonds Jeune Création Francophone, World Cinema Fund, IDFA Bertha Fund Classics, Sundance Institute Documentary Film Program, The Atlas Workshops - Marrakech International Film Festival, Hot Docs Blue lce Docs Fund, Doha Film Institute
Version de Tongo Saa (Rising up at night) en cinéma augmenté produite par Kunstenfestivaldesarts

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