19 — 22.05, 24.05, 25.05.2022

Silke Huysmans & Hannes Dereere Bruxelles

Out of the Blue

théâtre — premiere

Beursschouwburg

Accessible aux personnes en chaise roulante | Anglais, Néerlandais → NL, FR, EN | ⧖ ±1h | €18 / €15

Après le succès de Pleasant Island au Kunstenfestivaldesarts 2019, Silke Huysmans et Hannes Dereere présentent pour cette édition la dernière partie de leur trilogie dédiée à l’exploitation minière et notre relation à la nature et matières premières. Les artistes s’intéressent cette fois à une exploitation minière d’un nouveau genre : l’extraction en eaux profondes. Au printemps 2021, trois navires se rencontrent dans une zone reculée de l’océan Pacifique. L’un d’eux appartient à la société belge de dragage Deme – GSR. À 4 kilomètres de profondeur, leur robot minier sonde les fonds marins à la recherche de terres rares. L’un des deux autres navires est celui d’une équipe internationale de biologistes marin·es qui surveille de près la manœuvre. Le troisième navire de la flotte est le Rainbow Warrior, sur lequel des activistes de Greenpeace protestent contre cette future industrie potentielle. Depuis leur petit appartement bruxellois, Silke et Hannes correspondent par satellite avec ces trois navires qui, chacun, représentent un pilier du débat public : l’industrie, la science et l’activisme. Une quête poétique menée à l’aide d’une série d’interviews et de récits dont émerge un portrait intime. Les deux artistes tentent ainsi de figer un moment charnière dans l’histoire de la planète. Peut-on sombrer encore plus bas ? Où mène cette voie creusée par l’humanité ?

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Out of the blue

Entretien entre Silke Huysmans & Hannes Dereere et Mélanie Jouen

Mélanie Jouen : Après avoir signé Mining stories sur le désastre minier qui a eu lieu au Brésil en 2015 et Pleasant Island sur l’extractivisme qui a détruit l’île de Nauru dans le Pacifique au cours du 20e siècle, vous clôturez une trilogie minière en sondant l’exploitation possible des fonds marins avec Out of the blue. Cette expression anglo-saxonne, qui se traduit littéralement en français par « hors du bleu », signifie « de manière inattendue ». Que faites-vous émerger des abysses ?

Silke Huysmans & Hannes Dereere : Pleasant Island s’achevait sur les prémices de l’extraction minière sous-marine et il nous a semblé évident de sonder ce terrain. Nous avons voulu en apprendre plus, sensibiliser les gens et les encourager à s’informer puisque dans les médias, la notion de « transition verte » supplante la complexité de cette « nouvelle ruée vers l’or ». On entend qu’en exploitant ces ressources abyssales, on évite la déforestation ou la production de déchets toxiques et contribue à réduire l’impact environnemental de l’industrie minière. Notre titre évoque aussi ce feeling blue, cette mélancolie : sortir du bleu c’est aussi une tentative de s’extraire de la tristesse.

En mai 2021, vous suivez par satellite trois bateaux rassemblés sur la fracture de Clarion-Clipperton dans le Pacifique, à l’Ouest du Mexique. L’un appartient à l’industrie minière, le second à des scientifiques, le troisième, le Rainbow Warrior, à Greenpeace. Comme pour vos précédents projets, vous menez une enquête. Comment êtes-vous entré·es en contact avec ces protagonistes ?

L’ONU a déclaré les fonds marins patrimoine mondial de l’humanité et cette zone géologique située dans les eaux internationales est administrée par l’Autorité internationale des fonds marins. À ce jour, l’extraction sous-marine n’est pas autorisée, seuls quelques pays ont obtenu une concession exploratoire, dont la Belgique et la France. Il s’avère qu’au printemps 2021, une compagnie minière belge a testé un prototype de robot permettant l’extraction des premiers nodules polymétalliques à 4500 mètres de profondeur. À ses côtés, un groupe indépendant de scientifiques était présent pour étudier l’impact que pourrait produire cette extraction sur l’écosystème local. On les a contactés par satellite pour qu’iels nous expliquent leur démarche. Le coordinateur de la mission est attentif au fait que d’autres voix communiquent leurs recherches au-delà des médias scientifiques. Greenpeace s’est laissé très facilement approcher. Avec l’entreprise minière, nous avons eu une longue conversation par écrit avec l’équipe pendant leur séjour et nous avons rencontré son PDG à leur retour en Belgique.

Pouvez-vous nous parler de votre processus de création particulier, à la fois journalistique et artistique ?

Nous nous concentrons dans un premier temps sur la recherche scientifique que nous documentons ensuite et ce n’est qu’à l’issue de cette phase que nous allons au plateau pour réaliser une transposition artistique de notre démarche. Notre matériau est constitué de nombreuses conversations sonores ou visuelles enregistrées, de nos enquêtes, de nos connexions et de leurs échecs parfois, liés à l’instabilité du réseau. Dans notre trilogie, chaque pièce résulte du même processus mais leurs formes diffèrent puisqu’elles s’adaptent aux contenus et aux vécus de la recherche. Dans ce cas, puisqu’il est impossible pour un être humain de descendre à 4000 mètres sous la mer, l’exploration des grands fonds se fait à distance, à l’aide de câbles au bout desquels, après quatre heures de descente, un robot filme et prélève la couche superficielle du sol pour en extraire les nodules. Il faut donc imaginer, sur le bateau de l’entreprise minière ou celui des scientifiques, une pièce noire éclairée par plusieurs écrans de contrôle, comme des fenêtres sur un monde quasi-inaccessible que l’humain découvre pour la première fois. C’est fascinant. Ce travail à distance, notre entretien par satellite depuis notre appartement – grâce à la proximité qu’offre Internet –, cette dépendance à la technologie et à ses composantes, constituent aussi notre récit. Cette distance nous permet aussi de mieux comprendre les enjeux énergétiques, économiques, écologiques, scientifiques de l’exploitation minière.

De quelle manière transposez-vous sur scène ces différents argumentaires ou narratifs portés par les communautés scientifiques, industrielles et activistes ?

Sur scène, nous reconstituons cette pièce, à la fois salle de contrôle et appartement d’où nous avons mené nos entretiens. L’obscurité de cette salle nous rapproche des grands fonds où tout est lent, sombre, où vivent des organismes si différents de ceux connus qu’ils ne peuplent pas nos imaginaires. Nous tentons de faire la lumière sur cet écosystème naturel et cet autre écosystème humain particulier, d’attraper les enjeux de cette quête vers le bleu. À la manière d’un puzzle, nous recomposons la façon dont les faits et leurs récits interagissent ensemble. Les scientifiques bénéficient de cette exploration minière pour mener leurs recherches et alertent sur les menaces qui pèsent sur la biodiversité. Les industriel·les justifient l’exploitation abyssale par la nécessité de maintenir la croissance économique en répondant à la hausse de la demande de métaux, tout en contrant l’épuisement des ressources et la pollution « terrestres ». Les activistes dénoncent les dangers de cette exploitation potentielle et alertent l’opinion publique.

À ce propos, dans le monde, environ 10 % des fonds marins ont été cartographiés et explorés. Votre travail souligne le paradoxe d’une telle exploration minière puisqu’elle favorise la découverte d’une biodiversité que l’humain ne connaît pas et que l’exploitation en devenir menace.

En effet, d’une part, les scientifiques sont indépendant·es, financés par l’Union Européenne ; de l’autre, ils ne pourraient pas être capables de mener une telle recherche sans l’industrie. L’histoire de la géologie a toujours été liée à l’industrie minière : c’est parce qu’un jour l’on fait un trou que l’on sait ce que le sol réserve. Une part de la pièce interroge le rôle de la science dans la société et dans le changement climatique. La distance géographique semble éloigner ce sujet de notre contexte et pourtant ces impacts, indirectement, nous toucheront. Ce rapport de perception entre les phénomènes proches et éloignés géographiquement nous intéresse, tout autant que l’échelle temporelle : les minerais rares logés là ont mis des millions d’années à se constituer et, en quelques années, l’humain pourrait les décomposer.

Les précédentes créations de la trilogie étaient rétrospectives or, il s’agit pour Out of the blue d’une prospective. Qu’est-ce que cela a changé dans votre recherche, dans votre écriture ?

Cette opportunité de regarder vers l’avenir a impacté notre recherche car nous sommes proches de l’ici et maintenant, ce qui se déroule nous fait réfléchir sur nos actes au moment où nous les posons et leurs conséquences, sur le futur que nous souhaitons. Il y a un phénomène intéressant auquel nous sommes tous·tes un jour confronté·es : plus on acquiert de connaissance sur un sujet, plus on a d’incertitudes. À quel point pouvons-nous nous perdre à vouloir comprendre et embrasser une complexité qui nous dépasse ? Et, une fois que l’on commence à voir et à saisir les choses, on prend aussi conscience de notre rôle, de notre tentative de contrôle.

En tant qu’artistes, est-ce pour vous une nécessité ou un devoir de porter à la connaissance d’une partie de l’opinion publique, les spectateurs de théâtre, ces faits et les questions cruciales qu’ils posent ?

En tant qu’artistes, les conversations que nous avons eues nous invitent à donner à voir l’ensemble des points de vue sur cette question. Il nous semble important que le spectateur·ice fasse son opinion et prenne la responsabilité qui lui appartient. Comme pour tout montage, en combinant ces perspectives, nos sensibilités s’expriment mais nous sommes vigilants à ce que la dramaturgie rende perceptible ce qui est de l’ordre du subjectif. Nous souhaitons que ce sujet soit discuté, qu’il ne reste pas entre les mains des chercheur·euses, des industriel·les et des activistes. Nous voulons contribuer au débat public par la poétique et encourager les gens à y réfléchir.

  • Mélanie Jouen, avril 2022

Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Beursschouwburg
De et avec : Silke Huysmans & Hannes Dereere | Dramaturgie : Dries Douibi | Mixage sonore : Lieven Dousselaere  | Technique : Korneel Coessens, Piet Depoortere, Koen Goossens et Babette Poncelet | Regard externe : Pol Heyvaert | Traduction en néerlandais et sous-titres : Marika Ingels | Traduction en français : Isabelle Grynberg
Production : CAMPO | Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, Bunker-Bunker, Ljubljana, De Brakke Grond, Noorderzon – Festival of Performing Arts and Society, Zürcher Theater Spektakel, Beursschouwburg, PACT Zollverein, Théâtre de la Ville, Festival d’Automne à Paris
Résidences : KWP Kunstenwerkplaats, Pilar, Bara142 (Toestand), De Grote Post, 30CC, GC De Markten & GC Felix Sohie

Remerciement spéciaux à : John Childs, Henko De Stigter, Patricia Esquete, Iason-Zois Gazis, Jolien Goossens, Matthias Haeckel, An Lambrechts, Ted Nordhaus, Maureen Penjueli, Surabhi Ranganathan, Duygu Sevilgen, Joey Tau, Saskia Van Aalst, Kris Van Nijen, Vincent Van Quickenborne et Annemiek Vink | Merci à : tous les interlocuteurs du projet et aux personnes qui ont aidé aux retranscriptions

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