11 — 14.05.2022

Mark Teh / Five Arts Centre Kuala Lumpur

A Notional History

théâtre — premiere

Le Jacques Franck

Accessible aux personnes en chaise roulante | Anglais, Bahasa Malaisien → NL, FR, EN | ⧖ 1h15 | €18 / €15

Le parti malaisien Barisan Nasional a gouverné sans interruption de 1957, date de l’indépendance du pays, à 2018, année durant laquelle il a perdu les élections et à la suite de quoi un nouveau gouvernement a été nommé pour la première fois depuis 61 ans. À ce tournant de l’histoire de la Malaisie, l’artiste Mark Teh jette un regard sur le passé de son pays. Avec une équipe hybride composée de journalistes, d’artistes et de militant·es, il se penche sur la révolution tronquée du parti communiste malaisien en exil. Les images d’un documentaire inachevé partant à la recherche, 40 ans plus tard, d’ancien·nes combattant·es communistes dans la jungle, nous mettent en contact direct avec cette histoire tragique. Elles contrastent fortement avec la manière dont les gouvernements précédents ont invisibilisé ce récit dans les manuels d’Histoire. Comment tirer les leçons d’un passé saturé d’angles morts, de tragédies oubliées et d’épisodes censurés ? Comment écrire ensemble l’avenir pluriel de la nouvelle Malaisie ? Et comment créer une communauté à l’heure où le pays est déchiré par la pandémie ?

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Une mission notionnelle

La création de A Notional History a débuté en 2018. Il s’agit d’une coproduction du Five Arts Centre, un collectif non-hiérarchique basé à Kuala Lumpur ayant pour démarche de croiser disciplines, générations, langues et ethnies – il faudrait s’intéresser de plus près à « l’histoire nationale » de Malaisie pour comprendre ce que ce terme implique – et du TPAM (aujourd’hui rebaptisé YPAM), une plateforme internationale dédiée aux arts performatifs basée à Yokohama, au Japon.

Baling – la pièce coproduite en 2015 avec l’Asian Arts Theatre (Gwangju, en Corée), TPAM et Kyoto Experiment – était une forme théâtrale découlant de la performance The 1955 Baling Talks et d’autres expérimentations antérieures. Dans cette lecture, des (non-)performeur·euses de différents horizons lisaient la retranscription de la rencontre historique entre Tunku Abdul Rahman (le Premier ministre de Malaisie), David Marshall (le Premier ministre de Singapour) et Chin Peng (un ancien soldat malais qui avait combattu le fascisme japonais pendant la Deuxième Guerre mondiale et ensuite le colonialisme britannique, cette fois en tant que Secrétaire général du Parti communiste malais). Cette rencontre permit à la Fédération malaise d’obtenir l’indépendance en 1957 et mit fin à l’Insurrection communiste malaise en 1960. Elle mena également à la dissolution progressive du parti communiste malais. Ce dernier reprendrait néanmoins sa lutte armée jusqu’en 1989 pour ce qui était selon lui la véritable indépendance et décolonisation.

La contribution de Chin Peng et du parti communiste à l’indépendance de la Malaisie pourrait être considérée comme celle de la faction « radicale », mais c’est avant tout des meurtres perpétrés au nom de la lutte armée dont se souvient le pays. Dans l’histoire nationale, les communistes ont figuré comme l’ennemi public par excellence jusqu’à la publication, au début des années 2000, d’autobiographies de quelques (ex-)membres du parti. Celles-ci suscitèrent l’intérêt pour une lecture alternative du récit historique auprès de jeunes artistes et activistes, au nombre desquel·les figuraient le graphiste / activiste Fahmi Reza, le réalisateur Imri Nasution et l’historien / performeur Mark Teh. En 2008, Fahmi Reza et Imri Nasution ont rencontré Chin Peng en Thaïlande où il était exilé, et l’y ont interviewé pendant deux jours. Partis pour faire un documentaire, ils renoncèrent cependant à le réaliser car, de l’aveu de Fahmi, ils n’avaient pas pu trouver d’explication éthiquement crédible à la violence de la révolution. Chin Peng, âgé de plus de 80 ans, était en effet resté silencieux la plupart du temps et avait du mal à s’exprimer. Sept ans plus tard, seules quelques minutes des huit heures d’enregistrement furent finalement utilisées dans Baling. Chin Peng y exprimait péniblement son souhait de revenir en Malaisie afin d’y être enterré et déplorait le refus du gouvernement de lui octroyer ce droit qu’il considèrait comme étant fondamental. Lorsque Fahmi lui demanda quel avait été son plus grand sacrifice pour la Malaisie, il ne fit que répéter la question, sans y répondre.

Même si Chin Peng ne parlait pas ou divaguait la plupart du temps, j’ai voulu visionner les 7h55 restantes de la vidéo. Quelques années plus tard, nous avons demandé aux auteurs de l’interview s’ils seraient intéressés d’utiliser l’intégralité des huit heures de tournage pour réaliser une suite. * Fahmi, activiste engagé pour qui la vidéo n’est qu’un support parmi d’autres au service de la lutte, était sceptique à l’idée d’utiliser huit heures d’images qui ne contenaient aucune information tangible. Imri soupçonnait qu’il y ait derrière cette offre des exigences pour développer une esthétique spécifique, ce qui, je pense, était vrai – sans doute espérais-je inconsciemment créer une espèce d’opéra duratif multimédia à la Robert Ashly. June Tan, biologiste, sociologue et productrice de Five Arts Centre, n’était pas non plus très emballée à l’idée de réutiliser ces anciens enregistrements réalisés par des personnes avec qui elle travaillait de longue date. Son pays vivait alors justement un tournant majeur, à savoir le premier changement de régime en 60 ans à la suite des élections de 2018. Un des collaborateur·ices du Five Arts Centre, Fahmi Fadzil, avait obtenu un siège au parlement comme député de l’un des onze districts de Kuala Lumpur. Mark Teh, qui a plus tard décrit ce projet comme un perpétuel work-in-progress, en a rendu le cadre conceptuel plus riche en demandant leur participation à la journaliste / réalisatrice Rahmah Pauzi et à l’acteur / chanteur Faiq Syazwan Kuhiri, plutôt qu’en assumant seul sa réalisation. Mark s’est fait l’artisan du lien entre ces différents cœurs et cerveaux, les amenant au bout du compte à accepter la mission. Leur contribution a d’ailleurs pris la forme de plus de 32 heures supplémentaires d’interview de dix autres communistes, principalement malais et musulmans ; des guérilleros qui s’étaient cachés dans la jungle pendant plus de 40 ans.

Lors de la première présentation de A Notional History à Yokohama en 2019 Rahmah Pauzi, qui avait visionné les 40 heures d’enregistrement, raconta qu’en 2014, lors d’une enquête journalistique en Ukraine, elle avait constaté qu’il y avait méprise sur l’ennemi. 2014 est précisément l’année au cours de laquelle un avion malais a été abattu sur l’est de la Malaisie. J’écris ceci au lendemain de l’allocution en ligne de Zelensky à la Diète nationale japonaise, dans laquelle il a évoqué toutes les menaces, existentielles ou psychologiques, imaginables : accidents nucléaires, armes nucléaires, dépendance aux matières premières importées, terrorisme au sarin ou encore blocage des routes maritimes. Il y a désigné le Japon comme le leader moral de l’Asie, ce qui est exactement ce que le Japon se targuait d’être lors de l’invasion de la Malaisie en 1940. Je n’ai aucune idée du sens que ceci peut prendre à Bruxelles en mai 2022, ni de la façon dont le projet aura évolué d’ici-là, mais je suis convaincu que la scène offrira un espace-temps privilégié pour une réflexion collective sur ce qui est trop grand, trop compliqué et trop manipulateur pour être appréhendé ou pour permettre une réaction au niveau individuel.

  • Tomoyuki Arai
  • Program Officer, YPAM – Yokohama International Performing Arts Meeting

* Notre programme de performances de 2019 a été commissionné en collaboration avec des curateurs invités tels que June Tan, Aki Onda et Max-Philip Aschenbrenner. Nous avons également coproduit The Mysterious Lai Teck de l’artiste visuel singapourien Ho Tzu Nyen. Cette œuvre proposait un portrait en animatronique de l’ancien Secrétaire général du Parti communiste malais, qui s’est révélé être un agent triple œuvrant pour les gouvernements japonais, britannique et français. Il fut remplacé par Chin Peng en 1947.

Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Centre Culturel Jacques Franck
Mise en scène : Mark Teh | Performeur·ses : Fahmi Reza, Faiq Syazwan Kuhiri, Rahmah Pauzi | Direction artistique : Wong Tay Sy | Lumières et Media Design : Syamsul Azhar | Régisseur général : Alison Khor | Surtitrage et traductions : Babel Subtitling 
Production : June Tan | Production exécutive : Five Arts Centre (Malaisie)
Coproduction : TPAM-Performing Arts Meeting Yokohama

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