15 — 17.05, 20.05.2021
Tafukt est un solo de danse créé par Radouan Mriziga, danseur et chorégraphe né à Marrakech et basé à Bruxelles, et le premier volet d’une trilogie qui se focalise sur la sémantique et les mythologies des Imazighen, les populations indigènes de l’Afrique du Nord. Chaque volet de la trilogie est conçu pour une danseuse et s’articule autour de figures féminines dépositaires de la transmission du savoir amazigh. La déesse Athéna reliant les cultures et histoires de part et d’autre du bassin méditerranéen est au cœur de Tafukt. Le lac Triton, situé dans la Libye actuelle serait son lieu de naissance avant que les Grecs ne l’adoptent de l’autre côté de la Méditerranée. Si les livres d’histoire se focalisent essentiellement sur les Grecs, les Égyptiens et les Arabes, les Imazighen sont en revanche largement ignorés et marginalisés malgré leur rôle fondamental joué dans la région. La performance peut-elle dès lors se muer en outil de résistance pour repenser le canon actuel et imaginer un avenir plus inclusif ?
Interview de Radouan Mriziga
Après 55, 3600 et 7, Radouan Mriziga crée une nouvelle trilogie basée sur le savoir et les mythologies du peuple Amazigh – les premiers habitants de l’Afrique du Nord.
Pourquoi avoir choisi à nouveau le format d’une trilogie ? Avez-vous également puisé dans les connaissances amazighes dans votre précédente trilogie ?
Une trilogie me permet de travailler sur une question pendant une période plus longue. Je n’aime pas sauter d’une thématique et d’une création à l’autre. En général, j’aime travailler en série, en fonction de la question étudiée. J’ai choisi une trilogie car je voulais travailler autour de trois déesses et du système planétaire : le soleil, la terre et la lune. Il est remarquable de constater à quel point ils sont liés et vitaux. L’accent n’a pas été mis explicitement sur le savoir amazigh, mais il faisait partie des sources que j’ai utilisées. Comme la géométrie et le rythme par exemple, qui sont des formes d’art importantes à Marrakech, en Afrique du Nord et en Andalousie.
Qu’est-ce qui vous a décidé à réaliser ce travail ?
À travers mes autres créations et recherches, j’ai conservé une curiosité et un intérêt pour les nombreux aspects non nommés et effacés de l’histoire générale, qui ont ensuite développé des différences de pouvoir dans notre système actuel de production et de reproduction des connaissances. Ma pratique s’articule autour de trois axes principaux : la création d’espaces imaginaires et concrets, la musique et le rythme, et les études amazighes. Chacun d’entre eux est lié aux questions d’application, de signification, de hiérarchie, de pertinence et de classification des connaissances.
Je m’intéresse aux dynamiques du bassin méditerranéen. Sa position géographique intéressante a donné lieu à de nombreux échanges entre l’Afrique du Nord, l’Europe du Sud et l’Asie occidentale. Nos livres d’histoire se concentrent principalement sur les Grecs, les Égyptiens et les Arabes, alors que les Amazighs, qui ont pourtant joué un rôle fondamental dans cette région, sont complètement ignorés et marginalisés.
Tafukt est la première partie de la série. Quel a été votre point de départ ?
Je pars organiquement de l’histoire et de la société amazighes, une culture matriarcale. Au cours de mes recherches pour 7 sur les sept anciennes merveilles du monde, je me suis intéressé aux déesses Nithe, Tanit et Athéna. Le lac Triton, en Libye, serait le lieu de naissance de Nithe, une déesse qui devint ensuite Tanit, puis prit la forme d’Athéna. Il est intéressant d’analyser comment leurs liens historiques et leur connaissance ont traversé le territoire amazigh, l’Égypte et la Grèce par le biais des mythes, et ont contribué aux constructions et aux développements de l’humanité.
Au cours du XIXe siècle, de nombreuses histoires ont été réécrites et détruites. Sachant que le racisme, le colonialisme et le nationalisme ont eu un impact immense sur la construction des perspectives occidentales contemporaines, je suis critique vis-à-vis de ce canon historique bien défini.
Il existe très peu de sources écrites sur l’épistémologie amazighe mais il existe un corpus de connaissance important dans la culture orale, l’artisanat, l’art et l’imagination. J’essaie de chercher des connexions dans les détails et dans les questions quotidiennes qui peuvent construire une histoire collective futuriste. Il ne s’agit donc pas seulement d’utiliser des connaissances et de les mettre en scène. J’utilise l’absence de documentation et la marginalisation comme une situation inspirante pour dépeindre une histoire alternative.
Présentation : Kunstenfestivaldesarts-Kaaitheater
Concept, chorégraphie : Radouan Mriziga | Scénographie : Radouan Mriziga, Estelle Gautier | Danse, performance : Maïté Jeannolin | Assistant artistique : Sondos Belhassen | Costumes : Lila John | Poèmes et chansons : Nisrine Mbarki, Dorothée Munyaneza, Hindi Zahra, Popytirz | Musique : El Hit by Dj VAN, Pain by Krtas Nssa, Awache N-haha | Lumières : Estelle Gautier | Soutien dramaturgique, travail des textes : Esther Severi | Soutien à la recherche : Hajar Ibnouthen, Esther Severi | Production : A7LA5 | Coproduction : Kaaitheater, Kunstenfestivaldesarts, Moussem Nomadisch Kunstencentrum, PACT Zollverein, Alkantara, deSingel, Parallèle / L’Officina and Kanuti Gildi SAAL/SAAL Biennaal festival dans le cadre de MORE THAN THIS – Creative Europe | Avec le soutien de la Vlaamse Overheid | Remerciements : Kunstencentrum BUDA