16 — 20.05.2007

Toshiki Okada / chelfitsch Tokyo / Yokahama

Five days in March

théâtre

Kaaistudios

⧖ 1h25

Le 21 mars 2003, à la veille du déclenchement de l'offensive américano-britannique en Irak, le Japon rejoint, pour la première fois depuis 1945, les rangs des forces armées. C'est sur ce fond d'Histoire que les personnages de « Five Days in March » se racontent leurs propres petites histoires. Celles de la vie de tous les jours d'adolescents à Tokyo. Le langage familier des jeunes tokyoïtes colle au réel et semble, toutefois, trahir des comportements qui ne leur ressemblent plus. Une désarticulation constante entre les paroles et les corps comme une réalité en porte-à-faux. Entre le naturel et l'artifice, le théâtre singulier d'Okada Toshiki esquisse de manière saisissante, à travers les stéréotypes d'une jeunesse isolée, les traits d'une génération désorientée.

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Toshiki Okada est un auteur dramatique acclamé pour le langage de ses pièces : du japonais oral, qualifié d' « hyperréaliste » par la façon dont ses personnages s'expriment en courtes phrases hachées, parfois à peine quelques propositions sans sujet ni verbe, à l'instar des bribes de conversation de la vie quotidienne. Les performances qu'il présente avec sa compagnie de théâtre chelfitsch sont caractérisées par une gestuelle unique en son genre, qui a attiré l'attention du monde de la danse contemporaine. Notre entretien avec Okada a porté sur la nouveauté et le côté aventureux de son monde d'expression verbale, et sur la « richesse physique » qu'il veut exprimer.

[...]

Au cours de ma dernière année d'études, j'ai lu un livre qui a m'a profondément marqué : For Contemporary Colloquial Theater d'Oriza Hirata. Ce que dit Hirata, c'est qu'il est étrange qu' un acteur ait une quelconque conscience de soi quand il interprète un texte ; cette théorie du travail théâtral m'a beaucoup influencé. Elle représente d'ailleurs le point de départ de ce que je fais aujourd'hui. Avant d'avoir lu ce livre, j'avais participé à un atelier de deux jours dirigé par Hirata. Sa méthode, qui consiste à détourner la conscience qu'a l'acteur du texte, en lui infligeant intentionnellement une contrainte physique, m'a fortement inspiré.

Que voulez-vous dire par « infliger une contrainte physique à l'acteur » ?

Par exemple, en faisant se dérouler deux conversations simultanément sur la scène. Pendant que l'acteur parle avec quelqu'un d'un côté du plateau, une autre conversation se déroule de l'autre côté, obligeant l'acteur à poursuivre sa part du dialogue tout en réagissant à l'autre conversation. C'est une méthode, à première vue simple, pour détourner la conscience du texte qu'a l'acteur.

À la même époque, j'ai lu un autre essai très intéressant, qui a eu un grand impact sur moi. Il s'agit de Le monde d'aujourd'hui peut-il être restitué par le théâtre ? de Bertolt Brecht. Sa critique du « quatrième mur » (cette frontière visible entre la scène et le public et l'idée que les acteurs sont conscients d'un quatrième mur) m'a beaucoup inspiré.

Pour moi, il y a une connexion fluide et naturelle entre ce que dit Brecht et ce que dit Hirata. Il est clair que tous deux constituent les bases de ma démarche actuelle.

C'est en partant de là que vous avez inventé ce langage dramatique unique en son genre, que l'on appelle maintenant « le japonais oral hyperréaliste ». Quel processus vous y a conduit ?

L'une des choses qui m'ont amené à écrire ces textes aux phrases inarticulées, qui ne semblent mener nulle part, est l'expérience que j'ai vécue en travaillant à mi-temps comme transcripteur d'entretiens enregistrés. Ils provenaient de conversations avec des représentants de communautés régionales, menées par un comité d'experts cherchant à stimuler la culture et l'économie de ces communautés.

Cette transcription était ennuyeuse, mais aussi intéressante sous certains aspects. Et ceci parce que si l'on transcrivait mot à mot, on ne comprenait pas ce que les gens essayaient de faire passer. Mais d'une façon ou d'une autre, à la fin de la conversation, l'interview commençait à prendre forme et l'on percevait ce que l'interlocuteur cherchait à dire, même si les mots en eux-mêmes ne disaient rien de clair ou d'articulé. Cette constatation surprenante a joué un grand rôle pour moi.

Toutefois, lorsque j'écris une pièce, je ne me sers pas de la technique de transcription d'enregistrements de conversations. J'écris tout moi-même. Certains suggèrent donc que je devrais essayer d'écrire des dialogues plus articulés ! Mais si je le faisais, une partie de ce que je trouve important serait perdu. Je reproduis la façon réelle et inarticulée dont la plupart des gens parlent, parce que l'une des choses que je veux exprimer est ce que cette inaptitude révèle, le contexte dans lequel elle s'inscrit.

Est-ce parce que vous voulez que le public éprouve la fascination d'être capable de comprendre le sens général de ce qui est dit, même si les détails en sont pratiquement incompréhensibles ?

Plus encore, ce qui m'intéresse est le fait qu'il s'agit de notre vie verbale, telle qu'elle est. N'est-ce pas la façon dont nous parlons en réalité ? On peut évidemment critiquer ce genre de discours verbal, mais cela ne m'intéresse pas de dire qu'il est bon ou mauvais, ni de le critiquer. Le fait est que nous vivons dans ce genre d'environnement verbal. Certaines personnes diront que puisque nous vivons dans un monde qui s'exprime avec difficulté, nous devrions au moins essayer d'employer une langue correcte et raffinée au théâtre. Mais je trouve cela une attitude bornée. À mon avis, le japonais que les gens utilisent couramment est plus riche et plus positif.

Votre type de japonais hyperréaliste - avec ses phrases qui passent de l'une à l'autre sans interruption, ou qui n'ont pas de sujet, si bien que l'on ne sait plus qui est le sujet - donne un aspect plus qu'ambigu aux dialogues.

Il y a un point de départ distinct concernant cet aspect. Pour le festival tenu au Yokohama ST Spot, j'ai écrit un solo pour un acteur, intitulé On the Harmful Effects of Marijuana d'après le titre de la pièce de Tchekhov Les Méfaits du Tabac. C'est alors que j'ai eu l'idée de mettre en scène un personnage qui parle d'un ami, puis qui se transforme peu à peu en l'ami en question. Depuis, j'ai écrit quelques pièces dans lesquelles plusieurs personnages subissent cette métamorphose. Cette idée est aussi sous-tendue par une œuvre de William Faulkner. Dans la nouvelle Absalom, Absalom!, les personnages sont rendus par le style de l'écriture, et j'ai pensé que ce moyen serait encore plus intéressant et efficace, appliqué au théâtre.

[...]

Je crois qu'il y a un aspect fictionnel à l'écriture d'une pièce de théâtre...

En termes d'écriture dramatique, de composition, ce qui me passionne, c'est la continuité. Je n'établis pas de plan ou de synopsis, avant d'écrire une pièce. Pour moi, la chose la plus importante est qu'il y ait une véritable continuité dans la façon dont une scène mène à une autre.

[...]

Réfléchissez-vous consciemment au rhythme de vos textes ? Même quand je les lis, je constate qu'elles sont extrêmement rythmées.

Cela n'a rien de conscient, quand j'écris. Mais une pièce est faite pour être lue à haute voix. Donc, c'est une œuvre qui doit donner envie de la déclamer, et qui gagne en signification quand elle est dite à haute voix. Il est agréable d'entendre que vous ressentez le rythme rien qu'en lisant, mais je refuse tout type de présentation délibérément rythmique du texte quand la pièce est mise en scène. Je suis d'avis que l'acteur doit avoir un mouvement totalement étranger au rythme du dialogue. Que vous sentiez ou non le rythme quand vous lisez le texte, n'a rien à voir avec ce que je tente de faire quand j'écris.

Au caractère très spécifique de vos dialogues s'ajoutent les mouvements corporels, uniques en leur genre, qu'accomplissent vos acteurs.

Cela découle de l'influence d'Oriza Hirata, et de sa technique de détourner la conscience des dialogues en détournant la conscience vers le corps. À cet égard, j'ai continué à suivre son exemple. Mais, tout comme porter une attention exagérée aux mots en arrive à les anéantir, détourner trop l'attention vers le corps peut aussi tuer la présence corporelle. C'est pourquoi l'on ne peut pas détourner la conscience vers le corps non plus. Dès lors, sur quoi faut-il focaliser la conscience ? Expliquer ce qui suit est très difficile ; on peut parler en termes d'images ou de signifié, mais en réalité, ce que je veux dire, c'est qu'il doit y avoir quelque chose dans l'être humain qui précède le texte ou l'expression du corps. Quand on dit quelque chose ou qu'on exécute un geste, cela doit être sous-tendu par une raison, quelque chose à l'intérieur qui en est l'origine. C'est là que je veux emmener la conscience. J'encourage maintenant les acteurs à développer ce quelque chose en eux-mêmes, dans le studio, quand nous répétons. [...]

Ce que je veux dire, c'est qu'avoir une source intérieure dont chaque mot ou mouvement émane est un élément essentiel du théâtre. [...] Je crois que jouer, dire les dialogues, sur la base d'une image émanant du texte est totalement erroné. Ce dont je parle, c'est de l'image dans le point intérieur d'origine de tous les mots et mouvements.

[...]

Vous avez précédemment dit être influencé par Brecht. Votre pièce Five Days in March, qui a gagné le Kishida Award, a pour motif la guerre en Irak. Vous vous posez des questions, semble-t-il, sur la relation profonde entre le réel et le théâtre ainsi que sur la fonction du théâtre dans la vie réelle.

Je crois que ce sont des questions qui méritent des réponses séparées. Tout d'abord, laissons la guerre en Irak de côté pour le moment et parlons du rôle du théâtre dans le monde réel. L'idée que, parce que le théâtre se déroule en vase clos, il peut être traité comme un monde fictionnel, me met mal à l'aise. Disons qu'il s'agit du mensonge du « quatrième mur ». Car en fait, le public est indéniablement présent et la durée de la pièce est un temps partagé avec lui. Ou, en d'autres termes, je ne crois pas que la notion de théâtre s'effondre si on ôte le soi-disant quatrième mur.

Quant à l'autre question, j'aimerais dire ce que je pensais à l'époque de Five Days in March. Je voulais exprimer quelque chose sur la guerre. Par exemple, je crois que nous affilier à des mouvements pacifistes ne semble pas nous convenir. Pourtant, nous avons nos opinions, nos émotions. Nous sommes concernés, mais à une certaine distance ; ce qui ne veut pas dire que nous ne nous sentons pas concernés. C'est l'idée que je voulais montrer, et elle contient aussi cette distance. Certains trouvent que cette œuvre montre des jeunes qui se moquent bien de la guerre et ne s'intéressent qu'au sexe, mais moi, je trouve que cette pièce est une œuvre qui plaide sérieusement contre la guerre.

[...]

Hirofumi Okano

Mise en scène
Toshiki Okada

Avec
Ruchino Yamazaki, Taichi Yamagata, Hiromasa Shimonishi, Syoko Matsumura,Eiji Takigawa, Nanboku Tohmiya, Souichi Murakami

Régisseur plateau
So Ozaki

Lumières
Tomomi Ohira

Son
Norimasa Ushikawa

Administration
Akane Nakamura

Tour manager
Fumiko Toda

Présentation
Kaaitheater, Kunstenfestivaldesarts

Merci à
Yasuo Ozawa, Hiromi Maruoka, ST spot, Super Deluxe

Avec le soutien de
The Japan Foundation (Paris), The Agency for Cultural Affairs, Government of Japan,The Saison Foundation

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