18 — 21.05.2024

Faye Driscoll New York-Los Angeles

Weathering

danse / performance

Bozar

Accessible aux personnes en chaise roulanteAssises sans dossiers | ⧖ 1h05 | €22 / €18 | Contient de la nudité

Comment ressentons-nous l’impact d’événements qui, malgré le fait qu’ils nous dépassent, parviennent à nous traverser, nous animer et activer nos corps ? Sur un plateau rotatif qui ressemble à un radeau, dix performeur·euses, en constante évolution, composent des images qui évoquent des tableaux vivants issus d’un univers queer. Leurs voix génèrent une partition qui va crescendo et résonne à mesure qu’iels s’agrippent mutuellement, se balancent et se repoussent sur une surface trop petite pour les contenir, menaçant de déborder. Par moments, des images issues de l’iconographie classique semblent se dessiner. Tendresse, violence, sensualité et force brute cohabitent. Assis autour de la scène comme s’il assistait à un match de boxe, le public peut ressentir la sueur et l’ardeur de scènes étourdissantes. La célèbre chorégraphe états-unienne Faye Driscoll revient au festival avec une sculpture multisensorielle faite de chair et de souffle, de corps, de sons, d’odeurs, de fluides et d’objets. Elle pousse ses performeur·euses jusqu’à leurs limites dans un spectacle fascinant et aventureux, présenté dans l’impressionnant Hall Horta, qui était à l’origine conçu comme une salle d’exposition pour sculptures. Weathering est une ode à l’inépuisable puissance physique des corps queer et à leurs évolutions.

"L'artiste Faye Driscoll a toujours poussé, ou tenté de pousser, ses interprètes et son public à dépasser leurs limites, mais jamais autant que dans 'Weathering', une œuvre passionnante et incroyablement aventureuse."
The New York Times

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Persistances des choses infimes

Les deux extraits qui suivent ont été publiés à l’origine dans Durations of Soft Detail. A Companionate Reader for Weathering, un opuscule créé avec la dramaturge Dages Juvilier Keates et publié à l’occasion de la première de Weathering au New York Live Arts en avril 2023.

Porter et être porté

[...] Weathering tente de mettre nos sens sous pression, de nous faire ressentir, à travers une cacophonie de production sensorielle, une multitude synesthésique de corps et d’objets, l’humain et le non-humain compressés – le tout au bord de l’extase et de l’effondrement.
Ce qui est demandé aux performeur·euses comporte un sens aigu du risque: les corps volent à travers l’espace pour s’écraser les uns contre les autres sur une plate-forme qui ne cesse de tourner, et sous leurs pieds, des sucs, de la sueur et de la saleté – diverses humidités – qui les font glisser et tomber, fractionnant l’attention entre d’une part vocalisation et harmonie, et d’autre part courses / bousculades / chutes, excès de torsion, élévation de corps d’autrui au-dessus de soi, au-delà de sa capacité à supporter le poids... Et puis, il y a la peur qui provient du fait d’être exposé·e; les barrières de l’entraînement, du polissage et de la distance sont toutes retirées. On ne peut pas se cacher derrière sa technique de danse, on ne peut pas échapper à l’attention pénétrante des autres performeur·euses, de la metteuse en scène, du public – ni à sa propre attention. On ne peut pas s’éviter soi-même ! Tout est trop lent ou trop rapide, trop intime, trop proche, trop sauvage, trop exigeant. [...]
Dans Weathering, il n’y a pas de héros·oïne individuel·le, pas de soliste étoile – chaque performeur·euse occupe à la fois et à tout moment le centre et la périphérie de la production. Même lorsque mon attention se fixe un instant sur l’action d’un·e performeur·euse – les pétales de fleurs écrasés qui tombent des mains de Cara, le visage de Shayla lorsqu’elle lève la tête et balaie l’espace du regard, James qui applique du baume sur ses lèvres –, je suis conscient de l’activité tournoyante autour d’elleux, de la turbulente coordination des mouvements simultanés de chacun·e, aussi complexe qu’un rouage. En théorie, je sais que chacune de mes actions a un impact sur le monde qui m’entoure et que ce même monde les impacte à son tour. Rien ne se passe de manière isolée. Pourtant, j’oublie cette donnée. Et souvent, le spectacle vivant m’aide à l’oublier. Je peux reposer mes yeux sur l’émergence individuelle de l’excellence, célébrer les talents rares et uniques de quelqu’un·e, laisser un corps s’élever de la mer que nous formons tous·tes ensemble et solliciter les feux de la rampe. Ce mode d’attention glorifie l’individu; il me donne envie de produire ma propre danse et de voir les autres exalter mon ego. Weathering me rappelle que l’éblouissement se produit toujours par la collectivité. Ma force émerge du champ de relations qui me produit et auquel je suis lié.
C’est l’une des leçons essentielles de Weathering : le seul moyen de traverser la crise de l’existence est de prêter une attention profonde et humble à une matrice relationnelle en évolution constante, faite d’aide, de plaisir et de souffrance partagés. Que c’est beau et troublant d’assister à la fois à la fragmentation et à l’exagération de cette leçon. C’est inspirant – Nous le pouvons! Nous pouvons vivre dans le chaos de cette époque! –, mais aussi horrifiant(?) et/ou dégrisant – « Il n’y a pas de fin à ce qu’un monde vivant exi- gera de vous. ». Il n’y a pas de fin aux détails. Et il n’y a pas de fin aux processus complexes et exigeants de mon corps ; je fais corps à tout moment. Chacun de mes mouvements est en lien constant avec les autres ; il faut que je prenne en compte l’éthique du soin, de l’exploitation, de l’amour – le travail de notre interdépendance.

  • Extraits d’un texte écrit par Jesse Zaritt

Jesse Zaritt est danseur et professeur adjoint à l’Université des Arts de Philadelphie. Il vit et travaille à Brooklyn, NY.

 

Chariots de chair

Tripes, téléphone, pisse, gueule,
émissions de carbone, trou du cul

Leur poids est sur moi
Paupières fermées, sphincters contractés
Nous nous rapprochons de leurs peaux de faon avec
des serpents entortillés qui lèchent leurs joues
Bientôt, il y a davantage de mains sur moi et
mes propres mains s’égarent sur d’autres
Quelques désordres épouvantables
Des formes au fond de la tranchée
Aveuglées
Tu dois t’allonger
Tu ne peux t’échapper qu’à tâtons
Quand tu pars, je sais ce que c’est que d’être un homme
sans jambes
Le temps d’un instant, je connais le ressenti
des membres fantômes

Chatte, bite et couilles

Tu te regardes dans le miroir en te rasant
Je suis assise sur les toilettes et me brosse les dents
Tu dis
Mes parasites vivent désormais en toi
Merci?
Dis-je
Mais cela ressemble à
de la matière visqueuse

Mes mains à l’aspect de couteau de cuisine rouillé
trouvent ton visage entre elles

La pollution recouvre les montagnes
Les oiseaux se heurtent aux vitres
Elle est à l’agonie mais ne capitule pas
Je retire les cheveux des jumeaux de la bonde
J’enlève la saleté habituelle des taies d’oreiller

Une main serrée en poing
Les doigts pressés les uns contre les autres
Tout le monde fait la fête
Dis-tu

L’arrière d’une cuisse croisée sur l’avant de l’autre
Un pied repose sur l’autre
Des morceaux de coquilles ont volé à moins
de deux pieds de ma tête
C’est si bon d’à nouveau faire la fête après avoir été
si longtemps coincé à l’intérieur
De se tamponner et de se frotter les un·es aux autres
Je tombe avec un bruit sourd
Mon armure
S’entrechoque
Sur moi
Ton bassin se soulève
Comme s’il cherchait quelque chose dans l’air

sueur, sperme, lait, salive, sang

Je ne veux faire tressaillir personne que je croise
par hasard
en sortant du brouillard
En leur faisant penser que je suis l’ennemi
Les expert·es prédisent l’avenir
Imputent à l’avenir de déclencher
Des feux de forêt
d’indignation et
d’anxiété
Nous sommes prêt·es à tout pour connaître
l’aboutissement
Prêt·es à tout pour connaître l’aboutissement
Prêt·es à tout pour connaître l’aboutissement
Iels ont d’abord retiré la tête des animaux à sacrifier
J’ai craché du dentifrice mousseux dans les toilettes

C’était profond, chaud et très humide
Traces fluctuantes de caresses, souvenirs de soie,
de laine, de velours
Mes doigts étaient presque aspirés à l’intérieur
Elle me prend dans son sein parfumé
Elle rit en pleurant
Lèvre contre lèvre
Langue contre palais
Dents contre dents
Renversée en arrière
Ton visage comme un masque de douleur

Nous joignons nos mains autour de son cou
Une brise parfumée remplit la cavité de ma bouche
Pressée de se libérer
Heureusement, nous ne sommes pas coincé·es
dans un bâillement perpétuel
Qui roule et roule à travers nous à jamais
Le bâillement putassier avance toujours
Quelle distance a-t-elle effectuée?
Combien vieux est son trouble?
Je te pousse de l’autre côté de la cage et dans
la clôture
Iels viennent et nous séparent

En sentant que s’iels étaient vivant·es
Leurs mains seraient plongées dans un désordre gore
de chair
Nous avons aussi rencontré des membres détachés
Tu me pousses face contre terre
Puis, en extase, comme un poulain près de sa mère qui broute,
les joues rouges et les sortilèges d’Aphrodite dans ses yeux,
nous descendons dans de sombres puits verticaux,
descendant des échelles sans fin et nous déplaçant petit à petit
le long de rampes humides vers de basses salles souterraines.

  • Faye Driscoll, 2023

Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Bozar
Conception, chorégraphie et mise en scène : Faye Driscoll | Interprètes : James Barrett, Kara Brody, David Guzman, Amy Gernux, Shayla-Vie Jenkins, Jennifer Nugent, Cory Seals, Maya LaLiberte, Carlo Antonio Villanueva, Jo Warren | Scénographie : Jake Margolin & Nick Vaughan | Création lumière : Serena Wong | Création sonore et direction musicale : Sophia Brous | Sons live et conception sonore : Ryan Gamblin | Composition, field recordings et conception sonore : Guillaume Soula | Création costumes : Karen Boyer | Dramaturgie et création odeurs : Dages Juvelier Keates | Assistante chorégraphie : Amy Gernux | Coordinateur d’intimité : Yehuda Duenyas | Régie générale : Emily Vizina | Chargée de production et de compagnie : Lilach Orenstein | Booking: Tommy Kriegsmann, Damien Valette
Commandé et produit par New York Live Arts dans le cadre de Randjelović/Stryker Resident Commissioned Artist Program, avec le financement de : Andrew W. Mellon Foundation sur une nomination du principal donateur Jon Stryker et de Slobodan Randjelović, vice-président du conseil d’administration de New York Live Arts | Co-commandé par Theater der Welt 2023 et The Joyce Theater Foundation’s Artist Residency Center, avec le financement de : The Andrew W. Mellon Foundation, Howard Gilman Foundation, LuEsther T. Mertz Charitable Trust et Doris Duke Charitable Foundation | Soutien additionnel du Wexner Center for the Arts et des membres du Faye Driscoll’s Commissioners Circle
Rendu possible par le soutien généreux du New York State Council on the Arts, Café Royal Cultural Foundation et NYC Department of Cultural Affairs | Financement des résidences : Carolina Performing Arts at University of North Carolina (Chapel Hill), Maggie Allesee National Center for Choreography (Florida State University), Pillow Lab at Jacob’s Pillow et Dancers’ Workshop

 

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