22 — 25.05.2024
Partant d’une recherche chorégraphique autour de l’eau, l’artiste canadienne Clara Furey convie sur scène un groupe de danseur·euses et l’immensité d’une mer intérieure qui déferle en elleux. Dans son travail, Furey s’intéresse à l’expérimentation de différents états et sensations. Sa nouvelle création UNARMOURED est née des mouvements fluides et charnels qui peuvent exister entre les corps. Une bande son immersive, composée par le musicien Twin Rising, progresse sur scène par intervalles d’ondes qui s’écrasent comme des vagues sur des corps qui semblent presque se dématérialiser. Leurs limites s’assouplissent, ils semblent s’évaporer. Les danseur·euses n’ont plus de contours mais s’abandonnent à une énergie qui les submerge, en équilibre entre une sensualité partagée et des moments de synchronicité rythmique qui les rassemblent dans une énergie unique. Présente pour la première fois au festival, Furey affirme une approche charnelle de la chorégraphie et un érotisme qui transcende les limites des corps. Parmi ses inspirations, le poème Waterline d’Ocean Vuong : « Si j'élisais nation / dans l'ombre / d'une vague colossale / Si seulement pour tenir / par l'ouvert— / que Ton règne vienne ». Une chorégraphie à la puissance fluide et incisive de l'une des voix les plus intéressantes de sa génération.
LAISSER TOMBER LES ARMURES
Le texte suivant retranscrit une conversation entre Clara Furey, la dramaturge Aïsha Sasha John et le performeur Justin De Luna. Ensemble, iels évoquent les prémices de UNARMOURED.
Aïsha – Je vais enregistrer. J’ai vérifié le fichier et il fonctionne, donc c’est bon.
Clara – Okay. Je vais quand même le faire avec mon téléphone, au cas où.
A – Ouais, ouais, ouais. Tout à fait. Clairement. J’aime bien l’idée que tu partes du ventre, et que tu trouves peut-être le chemin vers la chose à partir d’un nouvel angle.
C – Je le ferai. Donc, okay. Je pense à des souvenirs érotiques, de quand j’étais enfant... vers l’âge de cinq ans. Je jouais avec deux jumelles un peu plus âgées, Lorraine et Rachel, deux jumelles qui vivaient à la campagne.
On jouait ensemble dans un waterbed. Je pense que ce sont mes premiers souvenirs de ce que c’est que d’être ensemble dans un espace instable, déstabilisé et super agréable. Il y avait un jeu érotique entre nous trois. Et elles m’ont en quelque sorte initiée à «oh, couche-toi sur le ventre dans cette eau et sens comme c’est bon».
Ça m’a marquée jusqu’à aujourd’hui en tant que point culminant de la manière dont une énergie puissante opère, à quel point il suffit de peu et à quel point les choses peuvent être abstraites, tout en étant très sexuelles, d’une certaine manière.
C’était la découverte du plaisir sexuel pour moi.
Le waterbed était comme un radeau dans l’océan. On pouvait interagir d’une manière qui n’était même pas un jeu de rôle, il s’agissait simplement de s’allonger et de bouger, et de laisser le poids du mouvement de l’une atteindre celui de l’autre. En termes de sensations et d’émotions, de liberté et d’impudeur, ça m’a semblé être un endroit où j’aimerais retourner.
C’était ludique. C’était aussi communautaire. On était comme de l’eau...
Cette sensation s’est répercutée sur ma façon d’être dans ce travail. On est ensemble, mais aussi très seul·es, et on est okay avec cela. On est okay pour se connecter à notre moi, sans oublier ou reconnaître complètement la présence des autres.
A – Ouais, c’est ça.
C – Même si ce n’est pas ce que l’on recherche sur scène, c’était, pour moi, un espace que je me suis donné ces deux dernières années pour réfléchir à la manière dont je veux ré-habiter mon corps. Comment est-ce que je veux me reconnecter avec mon plaisir? Et comment est-ce que je veux abandonner certaines dimensions de la façon dont je devrais être ?
A – C’est vrai que ce style de jeu ou d’invitation à être sensuel·les ensemble est en quelque sorte confiné au sexe, ou à d’autres types de jeux autorisés, ou au sport, qui est évidemment très physique et sensuel.
Le sexe n’est pas dépourvu de jeu, mais on choisit les personnes avec lesquelles on a des rapports sexuels en fonction du désir qu’on éprouve pour elles, alors que dans l’enfance, la simple rencontre avec l’objet, la terre ou autre chose est érotique.
Je ne fais que reprendre ou refléter un peu ce que tu dis, en espérant que les associations se poursuivent. Mais cette idée que c’est individuel, mais communautaire, que tu n’as pas honte de permettre qu’un tel plaisir se produise dans ton corps en compagnie d’autres personnes, parce que tu ne sais pas encore que tu es censée avoir honte.
C – Attends, excuse-moi. Je me rends compte qu’il y a des gens qui arrivent. Je vais changer d’endroit, donc je vais faire une pause.
A – Okay. Ouais.
C – Je vais changer de lieu parce que je veux que l’enregistrement se passe bien. Attends un instant. Je vais trouver un lieu à proximité.
A – Ouais, ouais, ouais.
C – Bonjour à tous·tes.
A – Bonjour.
Justin – Salut.
C – Je vais me déplacer pour que tu puisses parler librement et que je puisse parler librement. Tout le monde peut parler librement. C’est cool.
J – Love you.
A – Love you.
C – C’est okay pour moi, maintenant ?
A – Oui, c’est okay. Mais tu sais quoi ? Je suis contente que tu aies bougé, mais ce que je veux vraiment savoir, c’est ce qui a été difficile pour toi dans l’accès à cette énergie érotique ou dans le fait d’être en contact avec ce matériel.
En quoi cela a-t-il été difficile ?
C – Ne pas tomber dans la performativité, être vraie... ça a été un défi. Laisser tomber le désir de plaire, laisser tomber tout cela, c’est un peu comme sauter dans le vide, ou c’est comme accepter que l’on va mourir seule. Je ne sais pas comment le dire. C’est comme si j’étais seule avec ça. C’est mon truc à moi. Je monte mon propre cheval invisible.
A – Mais maintenant, je suis curieuse de savoir si, en termes d’arc narratif de l’œuvre, tu traces l’arc ? Ou quelle est la relation entre l’arc que tu estimes présent ou non, et cette question de l’armure? Je suppose que je me demande si on voit les armures s’enlever petit à petit ? Voit-on un corps sans protection ?
C – Je pense à Brian, qui a écrit quelque chose de magnifique à propos de l’œuvre qu’il a partagée avec nous: il entre en scène en revenant d’une bataille qu’il a perdue, et il a laissé son armure sur place. Il l’a laissée tomber, elle a disparu. Et il s’en fiche, parce qu’il va maintenant en construire une nouvelle de l’intérieur.
A – Nous avons besoin de dureté. La dureté n’est pas une mauvaise chose. On ne veut pas d’une colonne vertébrale en gelée, n’est-ce pas ?
C – Dans l’arc narratif de la pièce, je ne pense pas qu’on va se trouver sans protection de manière linéaire. Je pense qu’on va voir des morceaux d’armure qui sont enlevés et d’autres, reconstruits.
Je ne vois pas cela comme une lente révélation de la douceur. Je veux dire, comme le temps qui est circulaire, des morceaux apparaissent, des morceaux tombent, et cela permet à différentes configurations d’érotisme d’émerger.
A – Tu as mentionné qu’il y a des lacunes ou des transitions sur lesquelles tu travailles encore. Vu la nature du matériel, est-ce que cela a été difficile de passer à autre chose ?
C – Très difficile. Comment sortir d’un waterbed ? Qu’est-ce qu’une résolution? Comment dire que j’en ai fini? Parce qu’il n’y a pas de fin. Il n’y a pas d’orgasme. Alors qu’est-ce que c’est?
J’y ai réfléchi de cette façon: «Ce n’est pas la fin, ce n’est pas passer à autre chose, c’est juste une résolution ».
Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Charleroi danse
Conception et direction artistique : Clara Furey | Chorégraphie : Clara Furey en collaboration avec les performeur·euses | Performeur·euses : Justin De Luna, Clara Furey, Be Heintzman Hope, Brian Mendez | Composition musicale et spatialisation: Twin Rising | Témoins artistique: Bettina Blanc Penther, Aïsha Sasha John | Répétiteur·ices : Lucie Vigneault, Simon Portigal | Conception costumes: Be Heintzman Hope | Conception lumière : Paul Chambers | Assistante à la conception lumière : Jordana Natale | Direction technique : Jenny Huot, Darah Miah | Diffusion : A Propic – Line Rousseau, Marion Gauvent, Lara van Lookeren
Production : Bent Hollow Cie | Production déléguée : Parbleux | Coproduction : Atelier de Paris – CDCN, Centre Chorégraphique National d’Orléans- Direction Maud Le Pladec, Centro Servizi Culturali Santa Chiara Trento, Charleroi-Danse, Festival TransAmériques | Partenaires et soutiens à la création : Parbleux, Clara Furey est artiste associée de l’Usine C pour la période 2021-2024
Développé en collaboration avec le Fonds National de Création du Centre National des Arts du Canada
La création de cette œuvre est rendue possible grâce à l’appui financier du Conseil des arts du Canada, Conseil des arts et des lettres du Québec, Conseil des arts de Montréal
Performances à Bruxelles avec le soutien la Délégation générale du Québec à Bruxelles