23 — 25.05.2024
Łukasz Twarkowski Wrocław
Respublika
théâtre
| Anglais, Lituanien, Russe → NL, FR, EN | ⧖ ±6h | €30 / €25 | Contient de la nudité, des lumières stroboscopiques, de la musique forte, des enregistrements vidéos | Circulation libre, restauration, bar, sauna | Vous pouvez sortir librement et rentrer à nouveau
Dans Respublika, techno, cinéma et théâtre convergent pour créer un monde utopique et différent. Un groupe intergénérationnel d’acteur·ices, réuni par Łukasz Twarkowski, s’est prêté à une expérimentation radicale : une retraite de plusieurs semaines dans les forêts lituaniennes, dans le but d’échapper à la civilisation et aux tracas du quotidien. Tout en explorant les idées de revenu universel et de sociétés utopiques, les membres du groupe se sont mis à mixer ensemble, à expérimenter la vie au sein d’une communauté de ravers et le potentiel politique de la rave. Comment créer une société libre, pacifique et respectueuse de l’environnement ? Quel type de futur pouvons-nous construire ? Le metteur en scène Twarkowski a consigné tout le processus, enregistrant sur caméra leurs peurs, désirs et questions existentielles. Un matériel brut dont il a tiré un prodigieux événement de six heures. Tout au long de la performance, le public peut librement circuler, explorer l’espace, être de simples observateur·ices ou s’attabler avec l’un·e des artistes, se plonger dans le camp reconstitué, visiter le sauna méditatif et bien sûr danser ! Après tout, danser aux sons d’une rave, dans toute sa dimension sensuelle et rituelle, n’est-ce pas aussi un acte de résistance ?
“Ce n'est pas la forme immersive, ce n'est pas la forêt d'images, ce n'est pas l'état de délire, ni même l'espace unique qui donne à ‘Respublika’ sa valeur. Sa beauté réside dans son humanité - nue, sans artifice, mais d'une intimité perçante."
Menų Faktūra
"Twarkowski combine les forces de différentes formes d'art pour soulever des questions contemporaines sur les relations contradictoires entre l'individu et la société, l'économie, la nature et nous-mêmes."
7 meno dienos
Le paradis des paysans
Conversation avec Lukasz Twarkowski
À la croisée du cinéma, de la rave, des arts plastiques et du théâtre, Respublika est une exploration utopique, jamais édulcorée, de ce qui pourrait advenir. La performance n’aspire pas à enseigner, mais plutôt à immerger et à interroger. Nous avons rencontré le metteur en scène Lukasz Twarkowski; il revient sur ses sources d’inspiration, l’essor des mockumentaires et la rave comme acte politique.
Entrons dans le vif du sujet. Comment le projet Respublika est-il né ?
Le processus de création a été très long, l’idée originale étant complètement folle. Elle découle de la République de Paulava, véritable république autonome qui était située non loin de Vilnius. Fondée à la fin du XVIIIe siècle par un prêtre polonais qui avait acheté les terres et leurs huit cents paysans, elle avait sa propre armée, sa mon- naie, une sorte de service public de santé, un théâtre, des écoles. On l’appelait «le paradis des paysans». Même si la république n’est pas devenue l’État socialiste escompté, elle nous a suscité l’envie d’explorer la sensation d’être vraiment libre dans le moment présent. À cet égard, je l’ai immédiatement associée aux raves et à la création des zones autonomes temporaires –probablement les seules zones possibles de liberté totale.
Pour nous, la question était: quel serait le prochain grand changement social? La première réponse obtenue trouve sa résolution dans la notion de travail, intrinsèquement liée à l’idée du revenu de base (ou revenu universel) pour vivre dans une certaine harmonie. C’est précisément ce qui a déclenché cette expérience. Nous sommes parti·es vivre avec tous·tes les créateur·rices et acteur·rices dans les bois pendant un an afin d’interroger ce que signifie « ne pas avoir besoin de travailler ou de jouer ». C’était la liberté totale.
Le paradis des paysans, en effet. Comment cette expérience se manifeste-elle dans le spectacle ?
Nous avons essayé de transmettre à chacun·e l’étincelle de la culture rave telle que nous la connaissions – nous leur avons montré beaucoup de films sur la culture rave, appris à faire le ou la DJ, à construire le nouvel endroit. La règle de devoir organiser chaque jour une nouvelle rave s’est imposée très vite à nous.
Dans mon esprit, l’idée de ce que serait le scénario du projet s’est imposée petit à petit – l’histoire d’une micro-société qui a passé toute une année dans les bois afin d’expérimenter le revenu de base et qui au fil du temps, devient de plus en plus accro à la musique électronique et à la danse.
Je voulais recréer cette expérience pour le public.
Être ensemble et danser ensemble peut sembler absurde, mais en même temps, trouver ce lien émotionnel profond est la chose la plus précieuse que nous pouvons faire actuellement.
La rave est au cœur de votre œuvre, mais Respublika est aussi une pièce de théâtre. Comment nourrissez-vous ces deux éléments ? Et comment interagissent-ils ?
Pour garder intacte la surprise, je dirais seulement que la pièce se divise en trois parties. La première partie reconstitue l’architecture de certains lieux du passé, transposés des forêts lituaniennes à la salle de théâtre. La deuxième partie s’axe davantage sur la narration. Nous utilisons le montage en direct et la vidéo à double canal, afin de pouvoir regarder le spectacle de deux manières : de bout en bout comme un film, ou bien de participer aux événements. Une grande partie de la matière visuelle a été tournée dans les bois. Nous y sommes allé·es pour la première fois en été, ce qui était très plaisant. En hiver, les températures descendaient en dessous de zéro, ce qui rendait le tournage ardu et nuisait à l’esprit de fête. Le temps était rude et humide. La troisième partie est celle où le jeu des acteur·rices glisse petit à petit vers la rave proprement dite.
Le spectacle est également décrit comme un documentaire parodique ou mockumentaire. Parlez-nous de ce concept.
Je suis vraiment étonné du développement des constructions narratives des mockumentaires. Je pense qu’elles sont très symptomatiques de notre époque. Nous sommes tellement en contact avec l’hyperréalité que les limites sont de plus en plus floues. Dans le format du documentaire parodique, qui renégocie la frontière entre le réel et la fiction, il y a une tension très intéressante : on ne sait jamais ce qui s’est réellement passé.
Le film a la forme du documentaire, même si tout n’est pas tout à fait vrai. Ce qui rend les choses beaucoup plus intéressantes; c’est comme si on vivait une aventure imaginaire tout en faisant partie des événements en question. Cela me rappelle l’ouvrage Simulacres et simulation de Jean Baudrillard, dans lequel il évoque Disneyland, par nécessité de démontrer qu’il existe quelque chose de moins réel que la vie états-unienne. Il faut une sorte de point de référence moins réel pour prouver que notre vie irréelle est en fait réelle. Il me semble qu’il y a là quelque chose de similaire dans la philosophie du mockumentaire. Quelque part, nous pensons que les films documentaires disent la vérité, alors qu’en réalité, ils peuvent en être bien plus éloignés que n’importe quelle forme de fiction.
En même temps, on a l’impression que vous construisez une utopie. Diriez-vous qu’il ne faut pas chercher de réponses dans votre pièce, mais qu’il faut plutôt la considérer comme une expérience réflexive ?
Absolument. Nous n’apportons jamais de réponses. Nous ne les avons jamais cherchées. Nous essayons en général de tester et d’examiner de près divers phénomènes. Je pensais avoir inventé cette notion, mais récemment, j’ai découvert qu’il s’agissait en fait d’une phrase de Francis Bacon: «Si vous pouvez en parler, pourquoi le peindre?» C’est donc ainsi que nous travaillons: nous essayons de construire une expérience multisensorielle, impossible à formuler avec des mots et qui ne cherche pas de réponse.
Respublika sonne comme un titre monumental et très poli- tique, aussi. Que signifie-t-il pour vous, personnellement ?
Le titre Respublika trouve son origine première dans la République de Paulava, qui est notre source d’inspiration depuis le début. Ici, nous voulons le présenter comme un mouvement antipolitique. Parce que dans le spectacle, nous délaissons les questions politiques pour aborder la question des émotions. Nous avons gardé le nom, qui a une connotation politique et qui est aussi une sorte de marque de fabrique – Respublika, mais qui pourrait aussi être le nom d’un groupe de musique ou d’un collectif de DJ.
Dans ce contexte, considérez-vous l’art comme une forme de résistance ?
Bien sûr, mais ce qui est politique se produit à de mul- tiples niveaux – il ne faut pas que ce soit ouvertement politique pour l’être. Je veux croire que Respublika est aussi un acte profondément politique. Cependant, étant de nature assez pessimiste, j’ai l’impression que la culture a de moins en moins de résonance. C’est sans doute lié aux dernières années que j’ai passées en Pologne, où l’on constate que les nombreuses manifestations et grèves ne servent à rien et que le gouvernement d’extrême droite tue la culture.
En tant qu’artistes, nous devons alerter, nous devons parler, nous devons crier. Et je sais que je continuerai à le faire.
- Extrait d’une conversation menée en juin 2023 par Evita Shrestha et publiée sur le site Glamcult.com
Vous pouvez lire la version intégrale de cette conversation via ce lien.
Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Les Halles de Schaerbeek, Théâtre National Wallonie-Bruxelles, Théâtre de Liège
Mise en scène : Łukasz Twarkowski | Textes et dramaturgie : Joanna Bednarczyk | Interprètes : Diana Anevičiūtė, Algirdas Dainavičius, Jan Dravnel, Airida Gintautaitė, Ula Liagaitė, Martynas Nedzinskas, Valentinas Novopolskis, Augustė Pociūtė, Gediminas Rmeika, Rytis Saladžius, Rasa Samuolytė, Nelė Savičenko, Vainius Sodeika, Komi Togbonou | Scénographie : Fabien Lédé | Création vidéo : Karol Rakowski, Adomas Gustainis | Chorégraphie : Paweł Sakowicz | Composition : Bogumił Misala | Création costume : Svenja Gassen | Création lumières : Julius Kuršys, Dainius Urbonis | Régie générale : Karolis Juknys | Assistante mise en scène: Eglė Švedkauskaitė | Assistante écriture : Simona Jurkuvėnaitės | Assistant designer : Rokas Valiauga | Coach dj et mix : Karol Rakowski | Consultant cinématographique : Simonas Glinskis | Création sonore : Karolis Drėma, Adomas Koreniukas | Opérateurs lumières : Edvardas Osinskis, Dainius Urbonis | Opérateur vidéo : Adomas Gustainis | Opérateurs caméra : Šarūnas Liudas Prišmontas, Naglis Kristijonas Zakaras, Ričard Žigis | Montage vidéo : Vytenis Kriščiūnas | Producteur·ices : Vidas Bizunevičius, Lukrecija Gužauskaitė | Traduction : Vyturys Jarutis
Production : Lithuania National Drama Theatre | Coproduction : Münchner Kammerspiele
Avec le soutien du Ministère de la Culture de la République de Lituanie