18 — 21.05.2024

Begüm Erciyas Bruxelles-Berlin, Moe Satt Yangon-Amsterdam

Hands Made + Nothing But Fingers

performance / danse — premiere

De Kriekelaar

Venue avec une chaise roulante à confirmer lors de la réservation en ligne ou via la billetterieAccessible aux personnes en chaise roulanteAssises sans dossiers | Néerlandais, Français, Anglais | ⧖ 1h30 | €20 / €16 | À l'intérieur et extérieur

Deux performances, proposées ensemble dans un même programme, invitent à repenser la relation à nos mains et à réfléchir à leur rôle dans le présent, le passé et le futur. 

Dans Hands Made de Begüm Erciyas, les mains du public occupent une place centrale : guidé·es par une bande sonore, les spectateur·ices observent une de leur main et celle de leurs voisin·es, ce qui leur permet d’explorer des sentiments d’intimité et d’aliénation. Isolées du reste du corps, nos mains deviennent le centre d’une réflexion sur le travail manuel et le toucher. À quoi s’affairent-elles ? Qui ou quoi toucheront-elles à l’avenir ? En attirant notre attention sur notre toucher, de nouveaux rapports de proximité s’installent et la perception de ce qui nous entoure en sort modifiée. 

Nothing But Fingers est une performance du plasticien Moe Satt, qui a développé une recherche sur les gestes de mains utilisés dans la communication de chasse en Afrique du Sud et dans la danse traditionnelle de Birmanie et d’Asie du Sud-Est, où les gestes humains peuvent adopter des formes animales. Avec la danseuse Liah Frank, il explore le potentiel expressif des mains et leur faculté à diriger l’énergie à travers le corps. Une chorégraphie délicate, dans laquelle les mains commandent le reste du corps jusqu’à l’abandon total.

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Hands Made

Dans Hands Made, les mains du public occupent le devant de la scène. Séparées du reste du corps, mais dans une proximité intime l’une de l’autre, elles sont au centre d’une spéculation sur le passé et l’avenir des mains, du travail manuel et du sens du toucher. À quoi ces mains se sont-elles déjà adonnées et que feront-elles à l’avenir ? Qui ou que toucheront-elles?

Dans son Traité des sensations (1754), Étienne Bonnot de Condillac développe l’idée que le toucher est un sens fondamental sur lequel se fondent tous les autres. Selon le philosophe français, les êtres humains ne possèdent à la naissance que le sens du toucher; toutes les expériences sensorielles postérieures en découlent. Par le toucher, les individus acquièrent la conscience d’elles et d’eux-mêmes et de leur environnement, leur permettant de comprendre les concepts de l’espace, des quantités et du mouvement. Afin d’étayer sa thèse, Condillac conçoit une expérience de pensée : imaginez une statue qui prendrait vie et ressentirait le monde pour la première fois. Un par un, elle découvre ses sens : l’odeur, le goût, l’ouïe et la vue. Ce n’est cependant qu’une fois qu’elle aura acquis le toucher qu’elle pourra entrer en contact avec son environnement. En touchant d’autres choses, la «statue» n’acquerrait pas seulement la conscience de son environnement, mais aussi celle de sa propre forme et de sa propre densité. Ainsi, le toucher fournit le matériau brut à partir duquel la statue serait en mesure de construire des perceptions, permettant la cognition et la connaissance.

De la même manière, le fondateur de la phénoménologie Maurice Merleau-Ponty décrit le toucher comme un aspect fondamental de l’expérience humaine. Plutôt que d’établir une hiérarchie des sens, Merleau-Ponty souligne l’interconnexion complexe entre la perception et le toucher. Le toucher n’est pas une sensation purement physique, mais un mode d’interaction avec le monde indissociable de notre présence corporelle et situationnelle. Pour Merleau-Ponty, le toucher est un processus dynamique qui nous permet d’établir notre présence au monde, forgeant des connexions intimes entre nous-mêmes et l’environnement, éclairant ainsi la nature incarnée de notre existence.

Pour illustrer cette thèse phénoménologique de la perception et de l’incarnation, Merleau-Ponty conçoit l’expérience de pensée suivante: lorsqu’une main touche l’autre, l’expérience renferme une ambiguïté et une réciprocité in- 6 trinsèques. La main qui touche est simultanément touchée, brouillant ainsi la limite entre le sujet et l’objet, le soi et l’autre. Cette interaction intime révèle l’entrelacement de la perception et de l’action: la main qui touche ne ressent pas uniquement la texture et les contours de l’autre main, mais aussi le fait d’être elle-même touchée. Ce toucher mutuel illustre la nature incarnée de la conscience: notre ressenti est toujours situé et évalué par notre présence corporelle.

  • Jonas Rutgeerts, avril 2024

Jonas Rutgeerts est dramaturge et chercheur dans le domaine de la danse. Depuis 2019, il conduit une recherche postdoctorale à la faculté des Arts de la KU Leuven.

Nothing But Fingers

Même si je dis que c’est urbain, ça ressemble vraiment
À une forêt profonde/
Je ne suis pas sûr moi-même
Comment se transformer en chasseur et en proie/
Le perdant tombera de la scène de chasse-danse
Si tu as la force de chasser, tu seras récompensé/
Comme un éléphant, comme un cerf parmi une foule
Sois un tigre et survis /
Tu es né pour porter la douleur dans tes sabots...

Extrait de la chanson Hunting Dance de Lay Phyu [adapté du birman].

Nothing But Fingers est un projet de recherche qui explore la relation entre les êtres humains et les animaux. J’ai commencé à travailler avec des gestes et des mouvements de la main en 2005. Mon intérêt pour les représentations d’animaux par des gestes est lié à mes études universitaires en zoologie à l’université d’East Yangon, où j’ai obtenu une licence. Nothing But Fingers est en quelque sorte une métaphore, ou une trace, de mon expérimence dans ce contexte.

L’idée initiale provient d’Hunting Dance, une chanson de rock birman. Les deux mots du titre ont été considérés comme des entités distinctes, « chasse» et «danse», tandis que le travail de création s’est appuyé sur deux ouvrages : le premier portait sur la culture de la chasse en Afrique depuis l’âge de pierre jusqu’à nos jours, l’autre sur la danse au Myanmar. Les chasseurs utilisent des signes de la main pour se signaler l’animal qu’ils ont repéré, tandis que la danse traditionnelle du Myanmar comporte de nombreuses représentations d’animaux. Comme les deux cultures utilisent les mêmes figures, j’ai sélectionné celles qui étaient similaires dans les deux livres et les ai recréés avec mes propres mains. J’ai photographié chacune d’entre elles et les clichés ont ensuite été assemblés en un montage photographique. Ce dernier a été exposé aux Lokanat Galleries à Yangon en 2006. Lors de la pandémie de Covid-19, j’ai décidé de revisiter mes premiers travaux. Le tirage photo de Hunting & Dancing a été transformé en sculptures par le moulage des gestes de mes mains. J’ai ensuite collaboré avec un danseur traditionnel pour tourner une vidéo de performance mettant en scène les sculptures.

Depuis 2022, je suis artiste en résidence à la Rijksakademie d’Amsterdam, où j’ai entamé une collaboration avec la danseuse Liah Frank. Ensemble, nous avons créé une performance intitulée Nothing But Fingers, basée sur les étapes précédentes de Hunting & Dancing et sur les images que j’ai tournées au Myanmar. Liah et moi avons sélectionné neuf gestes chacun·e – certains sont identiques, d’autres différents – et avons composé Nothing But Fingers comme un entrelacement de pièces en solo. La danse est délicate et gracieuse, tandis que le son n’est que le sifflement de nos corps en mouvement, faisant de Nothing But Fingers une pièce méditative qui génère des représentations douces et fortes, uniquement par la trans-formation des doigts.

  • Moe Satt, avril 2024

Présentation : Kunstenfestivaldesarts, De Kriekelaar

 

Hands Made

Concept et mise en scène : Begüm Erciyas | Collaboration artistique : Jean-Baptiste Veyret-Logerias, Lieven Dousselaere, Matthias Meppelink | Création sonore : Lieven Dousselaere, Matthias Meppelink | Scénographie : Élodie Dauguet | Dramaturgie : Jonas Rutgeerts | Voix : Britt Hatzius (EN), Rosie Sommers (NL), Jean-Baptiste Veyret-Logerias (FR) | Manager de production : Maru Mushtrieva | Construction décor : Studio Zuidervaart | Remerciements spéciaux à : Gaëtan Bulourde, Robert Ochshorn
Production : Outline | Distribution : Something Great | Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, DeSingel, Tangente St.Pölten Festival für Gegenwartskunst, PACT Zollverein, SPRING Performing Arts Festival
Résidences : Kunstenwerkplaats KWP, Tokyo Arts and Space, La Ménagerie de Verre, Kunstencentrum BUDA
Avec le soutien de Flanders State of the Art et le Tanzpraxis stipend of the Senate Department for Culture
Performances à Bruxelles avec le soutien du Goethe-Institut

 

Nothing But Fingers
Performance : Moe Satt, Liah Frank
Production : Studio Moe Satt

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