23.05, 25.05, 27.05, 28.05.2023
Myriam Van Imschoot, Lucas van Haesbroeck Bruxelles
Nocturnes for a Society
performance immersive — premiere
Nos voix réunies tissent un tapis de sons, sous lequel nous nous glissons comme sous une couverture pour entrer dans un sommeil singulier. En arrière-plan bruissent les bruits de la ville. Myriam Van Imschoot, artiste sonore, et Lucas van Haesbroeck, scénographe, se nourrissent de l’héritage de la compositrice et activiste sonore américaine Pauline Oliveiros ainsi que d’autres traditions, qui voient dans la polyphonie une recette ancestrale pour rapprocher les gens entre elleux. Dans leur proposition, le public est activement mis à contribution. Il interagit avec les autres, avec des objets et avec l’espace, selon une partition dont surgissent, presque spontanément, des textures et des atmosphères inattendues. L’esquisse sonore créée collectivement devient l’ambiance qui nous accompagne pour une nuit, alors que la vie nocturne mène sa propre existence et continue de résonner en sourdine tout au long de la soirée et à travers les différentes phases de notre sommeil. Notre environnement, tel un havre de lumière, d’ombres, de sons, d’étoffe, de rêverie, nourrit lui aussi l’expérience, permettant de laisser libre cours aux associations que peut faire notre imagination. Une expérience sans égale.
A New Space of Our Own Making
Nocturnes for a Society propose un environnement où s’attarder et se blottir le temps d’une nuit – un lieu d’habitation entre la performance, le sommeil, le rêve et le jeu sonore. Vous êtes invité·es à occuper collectivement un espace, équilibrant l’éveil et le repos, d’intimité partagée – une intimité d’un genre rare et public.
Dans la mythologie grecque antique, Hypnos, la personnification divine du sommeil, habite à l’entrée du monde souterrain, dans une vaste grotte, en compagnie de son frère Thanatos, le dieu de la mort, et de leur mère Nyx, la déesse de la nuit. Dans les ténèbres de la grotte coule le Léthé, le fleuve de l’oubli. Des plantes narcotiques poussent au seuil de la grotte. Aucune lumière ni son ne peuvent y pénétrer.
L’expérience de Nocturnes for a Society sera toutefois différente. En déambulant dans un espace translucide et acoustiquement transparent – une oasis de lumière, d’ombre, de son et de textile – nous sommes entouré·es et empêtré·es dans les stimuli générés pas notre propre imagination : la lumière sonore incessante de la ville, reflétant la tension de notre époque, et – plus important encore – les échos de notre propre action et voix résonnant à travers la nuit.
Le sommeil est soumis à des forces socio-économiques et est donc, de fait, politique. À bien des égards, l’histoire culturelle du sommeil reflète la formation de l’être humain et de la société, s’adaptant à notre hyper-productivité et au principe d’accumulation maximale. La grotte d’Hypnos se transforme en une multitude de comportements et de gadgets, témoins des avantages et des difficultés à faire fonctionner les machines de cette civilisation.
Le sommeil collectif – courant depuis des siècles, que ce soit par absence d’aliénation ou par manque d’espace – a depuis longtemps cédé la place à la chambre à coucher individuelle : une grotte de luxe, est-on tenté de penser, pour que le dieu·la déesse autoproclamé·e Anthropos / humain puisse s’y allonger. Trains, salles d’attente et bureaux se transforment en d’improbables refuges pour une minute de sieste volée à une journée bien remplie. Bouchons d’oreille, masques de sommeil et appareils à bruit blanc tentent de protéger le·la dormeur·euse industriel·le. Les somnifères procurent une grotte d’oubli synthétique et temporaire. Les hôtels rivalisent non pas en tant que simples fournisseurs d’hébergement, mais en tant que garants d’un bon sommeil, coach personnel du sommeil et oreillers variables inclus. Une industrie du sommeil de plusieurs milliards de dollars fonctionne inévitablement en arrière-plan de ce système d’exploitation.
Une nouvelle science du sommeil révèle l’importance vitale du repos. Nous connaissons désormais le rôle crucial qu’il tient dans la qualité de vie : il soigne l’organisme, renforce la mémoire, favorise l’apprentissage, la créativité et la régulation émotionnelle. Nous éprouvons également le coût du manque de sommeil : des niveaux de stress plus élevés et les maladies inflammatoires qui en résultent, l’anxiété et la dépression, une capacité cognitive réduite, une intelligence émotionnelle et une estime de soi amoindries.
La crise du sommeil nous ouvre cependant les yeux et peut offrir une opportunité. Non pas celle de faire du business, mais celle d’envisager à nouveau la nécessité de marquer une pause et de se transformer.
Les Grecs·ques de l’Antiquité considéraient peut-être le sommeil comme une sorte d’état intermédiaire entre la vie et la mort, transmettant un topos tout aussi poétique et continu, adopté par l’art et la littérature occidentaux – le lien entre le sommeil et la mort.
Et si le sommeil s’inscrivait dans un tout autre imaginaire ? Non pas lié par fraternité à l’extinction, l’obscurité et l’oubli, mais inhérent à la potentialité de la vie et de la transformation ?
Le travail de libération du culte de la mort au centre de notre culture pourrait bien inclure le sommeil – et le rêve – lui-même. Avec l’aide de l’un de ses mille enfants, Morphée, le dieu des rêves, nous pourrions être en mesure de libérer le dieu Hypnos / sommeil de la proximité de Thanatos /mort, qui détruit la vie, et de le laisser garder un espace de récréation, de sensibilité et de connexion. Un espace de (dé)croissance et de (non-)apprentissage qui célèbre l’existence.
Qu’est-ce que cela signifie que d’occuper collectivement cet espace ? S’allonger et se lever ensemble dans une ville qui ne dort jamais, bercé·es par une polyphonie que nous avons nous-mêmes créée ? Qu’est-ce que cela fait de jouer, dormir et rêver ensemble – un nouvel espace façonné par nous-mêmes ?
Nocturnes for a Society entre en résonance avec ces questions et ouvre la voie à de nouveaux types de polyphonies. « Je m’intéresse aux imaginaires sonores que la polyphonie peut déclencher au-delà de la virtuosité, et cela inclut les imaginaires sociaux », écrivait Myriam Van Imschoot avant la pandémie. « Les références à l’‘humanisme’, à la ‘démocratie’, à la ‘montée de l’individualisme’ sont tellement caractéristiques des discours sur la polyphonie historique, mais ma résistance à ces allusions faciles est peut-être due au fait que je me sens mal à l’aise avec l’héritage de l’humanisme (‘la terreur humaniste’, comme l’appelait Merleau-Ponty) et les récits de progrès qui ont transformé les idéaux de la renaissance en un effondrement abyssal de notre planète. Je cherche une écologie de la polyphonie qui décentre l’ego humain ».newpolyphonies est à la fois le titre de la dernière performance de Myriam Van Imschoot, réalisée en collaboration avec l’ensemble vocal belge HYOID (2021), et une quête politico-artistique fondamentale : une poétique de la pratique de nouveaux modes de relation, de nouveaux modes d’écoute et de nouvelles formes de coexistence de voix et d’êtres divers, au-delà de la matrice familière du « patriarcat capitaliste suprématiste blanc » (pour utiliser l’expression synthétique de l’autrice afro-américaine bell hooks désignant les systèmes d’oppression interdépendants qui façonnent notre réalité).
Nocturnes for a Society fait un pas de plus sur ce chemin, et dans la nuit. Co-création de Myriam Van Imschoot, de l’artiste et scénographe Lucas Van Haesbroeck et d’une équipe de collaborateur·ices, chaque aspect de cette pièce de longue durée – des pratiques de groupe à la conception de la scène – a été tissé en commun lors de nombreuses sessions publiques. Fusionnant les rôles des interprètes et du public, cet espace-temps continu nous invite à un processus commun d’expérimentation avec la voix et le jeu sonore, guidé par des partitions. Hommage à l’héritage de la compositrice américaine et activiste sonore Pauline Oliveros, ainsi qu’à d’autres riches traditions qui envisagent la polyphonie comme une pratique permettant de relier les gens, Nocturnes for a Society est la manifestation actuelle d’une quête continue : une recherche de connectivité, de jeu et d’épanouissement.
« Chercher signifie simplement se mettre dans un état propice à la découverte, grâce à un coup de chance ou à un sommeil propice. Cela signifie préparer un “champ” pour l’heureuse étincelle ». (Paul Valéry, Analectes)
« L’univers n’a pas commencé par un bang mais par une floraison. » (Xi Chuan, Bloom)
- Berno Odo Polzer
- Berno Odo Polzer est programmateur, dramaturge et chercheur. Il a été le directeur artistique de MaerzMusik – Festival for Time Issues de 2015 à 2022. Sa pratique pluridisciplinaire dans les champs de la musique contemporaine, des arts visuels et sonores et de la performance combine des approches artistiques, académiques, dramaturgiques et curatoriales.
Présentation : Kunstenfestivaldesarts, KANAL – Centre Pompidou
Concept et création : Myriam Van Imschoot & Lucas van Haesbroeck | Développé avec : Christophe Albertijn, Tomoko Hojo, Bora Kim, Pierre-Benjamin Nantel, Berno Odo Polzer, Irena Radmanovic, Léa Roger, Idania Spruyt, Lieven Stockx, Iwan Van Vlierberghe | Directeur de production : Stefaan Deldaele | Assistance production : Kaat Balfoort | Directeur financier : Wim Viaene/Rossinant
Production : newpolyphonies | Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, KANAL – Centre Pompidou, Reiefestival - Brugge Plus, C-Takt, kunstencentrum BUDA
Remerciements à : Kaaitheater, P.A.R.T.S, KASK - School of Arts Gent, École nationale supérieure d’arts de Paris, KWP Kunstenwerkplaats, GMEA Albi, Perpodium, Tristero@ Gallait 80, Frederik Rombach (Verre), Daan Gysels (Bois), Ftouma Laayoune / Sew for Life avec l'assistance de Mirra Markhaëva, La Laine Fleuri/Natagora (Laine)
Avec le soutien de : la Communauté flamande, le Tax Shelter du Gouvernement fédéral belge et la Commission communautaire flamande
Nocturnes for a Society a pu être créé grâce à SESSIONS, un espace libre et créatif qui accueille les mélomanes et amateur·ices de son désireux·ses de partager idées et inspiration