12 — 14.05.2022

Jelena Jureša Gand

APHASIA

performance — premiere

KVS BOX

Venue avec une chaise roulante à confirmer lors de la réservation en ligne ou via la billetterieAccessible aux personnes en chaise roulante | Anglais, Serbo-Croatian → NL, FR | ⧖ ±1h10 | €16 / €13 | debout, pas de sièges

APHASIA, qui est le titre de la nouvelle création de Jelena Jureša, désigne en termes médicaux l’incapacité de parler ou de trouver les mots exacts. APHASIA reconstitue une soirée au cœur d’une boîte de nuit, dans une ville ayant connu la guerre, une trentaine d’années après celle-ci. Parmi la foule en sueur qui fait la fête, une femme qui danse reconnaît soudainement le DJ. Elle observe attentivement ses mouvements, les comparant à ceux qu’elle a connus il y a trente ans, et reconnaît petit à petit le visage d’un criminel de guerre qui n’a jamais été condamné : « l’homme qui donne des coups de pied aux morts ». Dans APHASIA, Jureša, accompagnée des musiciens Alen et Nenad Sinkauz et de la danseuse-comédienne Ivana Jozić, questionne les dynamiques de polarisation, d’obéissance à l’autorité et la tentation de la violence de groupe. Dans un décor de boîte de nuit, elle nous confronte à l’absurdité qui résulte du silence collectif entourant des crimes et dans lequel les passant·es jouent un rôle central. Que signifie être un·e témoin et un·e participant·e silencieux·euse à la violence ?

Voir le site web aphasia.be

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Aphasia

Prologue

APHASIA est une performance à la croisée de la musique, du cinéma, du récit et de la danse. Le public, plongé dans l’atmosphère d’une boîte de nuit, participe physiquement à une enquête intime sur la violence, l’univers des criminel·les de guerre et de leurs témoins, et la responsabilité individuelle. L’attention du public est progressivement déplacée d’un film d’archive vers un DJ set, un solo de danse et un concert. Le tout est entrecoupé de réflexions de la narratrice sur « les monstres et nous ».

Malgré le fait que les criminel·les bénéficient déjà d’une attention accrue des médias par rapport à celle accordée aux victimes, et malgré le risque de compréhension pour les actes des criminel·les que comporte l’exposition exhaustive de leurs motifs, l’autrice croate Slavenka Drakulić publiait en 2004, en marge du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à La Haie, Oni ne bi ni mrava zgazili (« Ils ne feraient pas de mal à une mouche »), un témoignage poignant sur les criminel·les de guerre et le « nous ». Dans ce texte – qui renvoie sans équivoque à ce qu’écrivait Hannah Arendt à l’occasion du procès d’Eichmann, 40 ans plus tôt – Slavenka Drakulić livre un compte rendu minutieux de son enquête sur les mécanismes qui transforment un individu sympathique et affable – ce·tte gentil·le voisin·e – en criminel·le.

Le point de vue moral que nous adoptons, en tant que témoins distant·es, sur la psychologie d’une personne confronté·e à la guerre ou à des troubles sociétaux, repose sur notre capacité à distinguer le bien du mal. La recherche a cependant révélé qu’un pouvoir situationnel peut prendre le pas sur le pouvoir individuel. Dans certaines circonstances précises, et soumis·es à une pression sociale intense, des personnes ordinaires peuvent commettre les crimes les plus atroces.

Chuchotements et rumeurs autour des actes criminels et leurs témoins ; chaque révolution a sa propre bande-son.

Le point de départ – « un gamin du quartier »

Le point de départ de la performance est une anecdote concernant DJ Max, à la fois pionnier de la musique électronique à Belgrade et protagoniste d’une des photos les plus tristement célèbres de la guerre en Bosnie, où on le voit donner des coups de pieds dans la tête d’une musulmane précédemment assassinée par les forces paramilitaires serbes. Prise par le photographe américain Ron Haviv et publiée dans le monde entier, la photo a été vue par des millions de gens. Susan Sontag a écrit à son sujet, Godard en a réalisé un court-métrage et plusieurs journalistes l’ont citée comme l’illustration parfaite de tout ce qu’il y a à savoir sur la guerre.

Après la guerre, les photos de Ron Haviv ont rejoint la vaste collection de matériel photo et vidéo servant de preuve – souvent d’importance décisive – à charge des criminel·les dans les procès du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie à La Haie. Plusieurs procédures, à commencer par celle à l’encontre de Slobodan Milošević, se sont appuyées sur cette photo pour démontrer la responsabilité du commandement des autorités serbes dans les crimes commis en ex-Yougoslavie. Plusieurs témoins ont identifié le soldat comme étant Srđan Golubović, un ancien membre de la Garde des volontaires serbes, se faisant appeler Max sur le champ de bataille, et DJ Max à Belgrade.

Dans l’unique interview qu’il a donnée, DJ Max dit venir d’un beau quartier de Belgrade. Il y dit encore que s’il devait être condamné à mort, il utiliserait son seul coup de fil pour appeler sa mère. Et que, de tous ses défauts, le pire est qu’il n’est pas du matin, qu’il est de mauvaise humeur jusqu’à midi. C’est en début d’après-midi qu’il a donné les coups de pied dans la tête de la femme assassinée. Dans l’interview, il ne mentionne pas qu’il a participé à la guerre. À la question « Qui es-tu ? Qui est DJ Max ? », il répond « un gamin du quartier ».

Populisme : Des chaussures un peu trop petites

Le processus transformant une personne en criminel·le est progressif. Par de petits pas souvent insignifiants, pris·es dans une interaction complexe d’acteur·rices et de facteurs, les criminel·les progressent dans un continuum de violence. En commettant des crimes, ou lorsqu’iels y sont impliqué·es, les auteur·rices se transforment, apprenant pas à pas une chose dont la plupart ne se savaient pas capables.

La création d’APHASIA provient principalement de l’envie que nous avions d’approfondir la notion des criminel·les, de la complicité, en expérimentant en direct le rôle de témoin. Que signifie être témoin ? Dans le cadre perturbant d’une boîte de nuit, nous sollicitons directement le public et l’interrogeons sur la dynamique de groupe, la polarisation et l’obéissance à l’autorité. À travers des moyens de séduction théâtraux – un set de musique live par Alen et Nenad Sinkauz, et la performance et danse d’Ivana Jozić – l’équipe d’APHASIA s’intéresse aux mécanismes de séduction dont se nourrit le populisme : soudain, tout devient possible, tout est autorisé ; c’est comme enlever des chaussures trop petites.

Former un groupe en créant une distance avec les autres

Toute discussion relative à la musique comme arme de séduction ou de torture impliquera de parler de l’interaction existant entre la musique, les émotions humaines et le corps. Dans APHASIA, nous attirons l’attention sur la musique non seulement comme un outil pour connecter et mobiliser des groupes sociaux, mais aussi comme un moyen capable d’appeler à agir – et à appeler aux armes – au nom d’une nation ou d’un État. Nous y observons aussi la façon dont, par la création de liens et d’un sentiment d’appartenance à une communauté à travers le temps, est créé l’« autre » indispensable, et mise en œuvre la logique du « nous » contre « eux ».

  • Jelena Jureša, avril 2022

Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Kaaitheater, KVS
Concept et mise en scène : Jelena Jureša | Performeur·ses : Ivana Jozić, Alen Sinkauz, Nenad Sinkauz | Chorégraphie : Ivana Jozić et Quan Bui Ngoc | Musique : Alen et Nenad Sinkauz | Son : Hrvoje Pelicarić | Adaptation des textes : Asa Mendelsohn, basés sur un monologue de Barbara Matejčić (Aphasia film et installation filmique, 2019) | Conseils dramaturgiques : Thomas Bellinck et Sara Oklobdžija | Archives cinématographiques : Royal Belgian Film Archive (CINEMATEK), Filmarchiv Austria, International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia (ICTY), Österreichische Mediathek, ZDF archive Berlin | Concept vidéo et montage : Jelena Jureša | Effects spéciaux : Dejan Šolajić | Scénographie : Stef Stessel | Lumières : Stef Stessel, Simon Neels | Conseils scientifiques : Christophe Busch | Direction technique : Simon Neels | Soutien technique : Maxim Maes | Programmation : Merel Vercoutere (KAAP) | Coordinateur·ices du projet : Sandra Raes Oklobdžija (ROBIN) & Rolf Quaghebeur (KAAP) | Aide à la production : Kaat Balfoort, Jachym Vandenabeele | Design des costumes: Anne-Catherine Kunz | Réalisation des costumes: Salvatore Pascapè | Surtitrage et traductions : Babel Subtitling
Production : KAAP en collaboration avec ROBIN | Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, ROBIN, De Singel, Workspacebrussels, Hannah Arendt Institute | Développé à Co-laBo | Avec le soutien de : Vlaamse Overheid, MOUSSEM, Nomadic Art Centre, Royal Academy of Fine Arts (KASK), School of Arts of University College Ghent

Cette performance est développée à partir du film APHASIA, 2019

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