17 — 19.05

Satoko Ichihara Tokyo

KITTY

théâtre

Théâtre Les Tanneurs

Venue avec une chaise roulante à confirmer lors de la réservation en ligne ou via la billetterieAccessible aux personnes en chaise roulante | Japonais, Coréen, Cantonais → FR, NL, EN | ⧖ ±1h50 | €20 / €16 | Contient des actes de violence sexuelle, de viol et des références à l'abus d'alcool

Dramaturge et metteuse en scène, Satoko Ichihara sonde avec audace et subtilité les tabous et contradictions sexuelles de la société japonaise. Dans sa nouvelle création, KITTY, elle imagine une société peuplée de chats blancs, un univers parallèle effroyablement proche du nôtre. Elle y trace avec humour et finesse une analogie entre le traitement réservé aux animaux et l’objectification des femmes, se basant sur des recherches sur le trafic sexuel, la position de la femme dans la société actuelle et la consommation de viande.

KITTY soulève des questions incisives sur les dérives, aussi absurdes que comiques, de la surconsommation, du patriarcat, du capitalisme et de l’homogénéisation du désir par la pornographie. Le bétail dont la reproduction est destinée à produire de la nourriture, la sexualisation qui piège les femmes, ou encore les conditions de travail exécrables dans la course au profit y sont abordés. Le mot « kawaii » (mignon) revient tout au long de la pièce, avec des significations très diverses. Interprétée par des comédiennes originaires du Japon, de la Corée du Sud et de Hong Kong, cette pièce énergique et satirique agit comme une onde de choc. Une redéfinition radicale de la vie et de la sexualité, à ne pas manquer. 

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Entretien avec Satoko Ichihara

Yannaï Plettener – Quelle a été votre source d’inspiration pour ce spectacle ? Vous avez notamment voyagé en Corée, et rencontré des travailleuses du sexe.

Satoko Ichihara – J’ai eu envie d’aller à leur rencontre après ma lecture du livre Le trou noir du trafic sexuel, de la militante coréenne abolitionniste Shin-Park Jin-young. Pour elle, les travailleuses du sexe sont avant tout des victimes, alors que de mon côté, j’avais lu des livres qui défendaient leurs droits au même titre que les autres travailleuses.

À Séoul, dans le quartier de Yeongdeungpo où se concentrent les activités de prostitution, je suis passée devant une cabine dédiée aux relations sexuelles. En jetant un coup d’œil à l’intérieur, j’ai remarqué un rideau arborant comme motif une célèbre mascotte de chat blanc commercialisée dans le monde entier. Ses yeux noirs ont croisé mon regard. Ce personnage n’existe qu’en tant que produit, il est un symbole de la société de consommation. Or, dans ce monde où tout est commercialisable, il m’a semblé naturel que le sexe devienne aussi un produit. Cette mascotte est donc à l’origine de mon inspiration pour KITTY.


Pourquoi avoir choisi de créer la pièce avec trois comédiennes qui viennent de pays différents (Japon, Corée du Sud, Hong Kong) ?

J’avais noué une amitié avec deux des actrices sur un autre projet en 2018. Nous avons constaté que, malgré notre ressemblance physique, notre appartenance à la même génération ou nos références culturelles communes, nous avions des opinions différentes sur le travail du sexe et la pornographie. En outre, une particularité de cette mascotte de chat est qu’elle n’a pas de bouche. Quand on possède un produit où elle est représentée, on peut donc la faire parler dans sa langue à soi, et projeter sur elle ses propres émotions. C’est pour toutes ces raisons qu’il m’a paru intéressant de monter KITTY avec trois comédiennes d’origines différentes qui incarnent le même personnage. Comme la mascotte, le personnage de la jeune femme sur scène est vide, et acquiert un contenu avec les voix qui se superposent à elle.


Comment l’intelligence artificielle (IA) est utilisée afin de dissocier la voix et le corps des interprètes ?

Nous avons fourni à une IA un échantillon de la voix de chaque actrice. Cette IA a ensuite produit des enregistrements du texte dans les trois langues, et avec les trois voix, qui ont finalement été remixés par notre créateur sonore, Masamitsu Araki, pour donner ce que vous entendez dans le spectacle. Pour les mouvements, nous avons utilisé une technologie de motion capture sur une première proposition corporelle des interprètes. Nous avons décalé sur ordinateur les positions des capteurs par rapport à la réalité : par exemple, le capteur de la tête était placé sur l’épaule, et ainsi de suite. Cela a produit un mouvement complètement désarticulé, que les interprètes reprennent telle une chorégraphie dans le spectacle. En combinant la voix synthétique et le mouvement remanié, je souhaitais créer un état dans lequel les actrices sont complètement vides, telle une mascotte commerciale. Cette approche se situe également dans la continuité de ma création précédente, Yoroboshi, dans laquelle les interprètes manipulaient des poupées.


Dans le spectacle, le personnage principal exprime à plusieurs reprises qu’il est «impossible d’échapper à la pornographie». Qu’entendez-vous par là ?

Le marché japonais de la pornographie est l’un des plus importants au monde. On y trouve une grande diversité de productions, et l’on peut dire que presque toutes les scènes de la vie quotidienne ont déjà été détournées dans un film pornographique. De manière générale, il n’y a rien dans cette société qui ne soit pas lié au sexe ni à la consommation. Cette phrase renvoie ainsi à ce double phénomène : tout est fait pour susciter en permanence notre désir, sexuel ou de consommation. Il n’y a nulle part où se réfugier.


La pièce établit un lien entre notre rapport à la sexualité, et notre rapport aux animaux et à la consommation de viande. Qu’est-ce qui a suscité ce rapprochement ?

Pendant mes recherches en Corée, j’ai vu des travailleuses du sexe attendre leurs clients dans des vitrines éclairées par une lumière rouge. Or, la même lumière était utilisée pour éclairer la viande crue sur les étals de boucherie. Ainsi, ce sont deux lieux où l’on vend de la chair, humaine ou animale. De la même façon, dans le langage, nous utilisons le lexique de l’alimentation pour parler de sexualité, par exemple avec le verbe manger pour désigner certains actes, ou l’expression «plaisir charnel».


Avec ces personnages des chats blanc inspirés de cette mascotte, vous travaillez sur le concept de kawaii. Qu’est-ce que ce mot évoque pour vous ?

Le mot kawaii évoque dans le langage courant quelque chose de mignon, et par extension d’enfantin et de faible. Mais, pour moi, cela évoque au contraire quelque chose de fort, de volontaire, qui est relié à la notion de survie. En effet, certains animaux gardent leurs caractères juvéniles, notamment pour être protégé, ce qu’on nomme la néoténie. C’est aussi pour cela que les enfants ont une apparence physique « mignonne » qui suscite en nous une envie de prendre soin d’eux. C’est le fruit d’une stratégie de survie. La mascotte de chat blanc n’est pas un personnage faible: c’est justement son apparence kawaii qui l’a placé au sommet de la pyramide en le rendant adorable. Et peut-être que les filles qui possèdent des produits à son effigie ont le sentiment de partager cette force avec elle.


Que sont les host clubs, et pourquoi avoir voulu parler de ce phénomène ?

Je ne pouvais pas parler de prostitution sans parler des host clubs. Dans le quartier de Kabuki-chō à Tokyo se trouvent de nombreux bars à hôtes dans lesquels des hommes divertissent des femmes. Depuis quelques années, d’innombrables femmes, parfois mineures, finissent par se prostituer pour payer le coût extravagant de ces clubs, ou des travailleuses du sexe s’endettent en les fréquentant. Elles cherchent à obtenir l’amour de ces garçons. Et dans cette ville, tout peut s’acheter, sauf l’amour inconditionnel.

 

 

  • Propos recueillis par Yannaï Plettener pour le Festival d’Automne à Paris en avril 2025.
  • Traduits du japonais par Aya Soejima.

 

 

Yannaï Plettener est comédien, metteur en scène et rédacteur pour la revue Pleins Feux.

Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Théâtre Les Tanneurs
Textes et mise en scène : Satoko Ichihara | Avec : Sung Soo-yeon (Creative VaQi), Yurie Nagayama (Seinendan), Birdy Wong Ching Yan (Artocrite Theater), Yuka Hanamoto (Yuka Hanamoto × Moe Matsuki) | Musique : Masamitsu Araki | Costumes : Shie Minamino (Osushi) | Scénographie : Tomomi Nakamura | Création lumières : Rie Uomori (kehaiworks) | Vidéo : Kotaro Konishi | Dramaturgie : Takaaki Kumakura | Régie générale : Yuhi Kobayashi | Chargé·es de production : Rika Kihara, Mizuki Kakita, Shunsuke Manabe | Design promotionnel : Eiko Sasaki | Surtitrage anglais : Aya Ogawa 
Production : ROHM Theatre Kyoto 
Avec le soutien de ROHM Theatre Kyoto (Kyoto City Music Art Cultural Promoting Foundation), Kyoto City | En coopération avec Kinosaki International Art Center (Toyooka City)
Avec l'aide de la Saison Foundation

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