09 — 12.05

Alberto Cortés Malaga-Madrid

Analphabet

théâtre

Théâtre Les Tanneurs

Venue avec une chaise roulante à confirmer lors de la réservation en ligne ou via la billetterieAccessible aux personnes en chaise roulante | Espagnol → FR, NL, EN | ⧖ 1h10 | €18 / €15 | Contient de la nudité

Le fantôme Analphabet habite les lieux de cruising et de rencontres gays. Il apparaît sur scène en racontant des histoires, comme celle de deux amants qui se disputent au coucher du soleil, pour qui il imagine chanter des chansons.

Marica andaluza (« pédale andalouse »), c’est ainsi qu’Alberto Cortés s’autoqualifie, ce qui éclaire la perspective décalée depuis laquelle il a développé son langage singulier. Dans une prose envoûtante, Cortés nous raconte l’histoire de ce fantôme qu’il façonne comme un personnage qui soigne les relations toxiques. Puisant dans sa propre expérience, il revendique ici pleinement le qualificatif « irrationnel » ayant un jour servi à l’insulter. Il s’inspire de La decadencia del analfabetismo de José Bergamín pour critiquer une société qui sacrifie les poètes au profit de l’ordre rationnel où tout serait éclairé, organisé, lisible et figé, comme l’alphabet.

Sur scène, accompagné de la violoniste Luz Prado, Cortés est magnétique ; son corps vibre, les mots coulent en lui comme du sang, comme les phrases d’un poème, comme les hommes dans les bois, la nuit. Du cruising à la poésie, Analphabet cherche à sauver un monde perpétuellement menacé par un excès de lumière. Peut-être n’y a-t-il pas de mots, pas assez de lettres, pour décrire une nuit qui enserre la promesse d’une expérience inoubliable.

read more

«Ce qui existe déjà, ne peut s’écrire », a dit Alberto Cortés. C’est donc ici que devrait s’interrompre l’écriture de ce texte, puisque Analphabet existe déjà. C’est déjà un mythe incarné qui apparaît devant nous – nous, le public qui le regarde et qui bientôt l’admirera. Il serait même contreproductif de coucher un millier de mots sur le papier afin d’intellectualiser ce qui pousse quelqu’un·e à fuir la raison et à se réfugier dans l’intuition, la poésie, l’émotion des amant∙es qui sè- ment la discorde dans des paysages à la beauté sublime. Des amant∙es qui ne pensent pas en synopsis mais s’aban- donnent à la sueur entre Éros et Thanatos. Alberto se devait de créer un mythe qui répondrait aux choses que nous ne savons pas, ni ne comprenons.

Le mythe existe déjà et se manifeste sous la forme d’un esprit. Pas tant comme un fantôme, mais plutôt comme la métaphore d’un être errant qui serait resté coincé dans les pliures du temps. « C’est un esprit qui apparaît dans certains environnements naturels précis », explique Alberto, « pour chanter et conter ses peines aux couples confrontés à de l’abus, à de la maltraitance, aux disputes ; tous les moments les plus difficiles au sein d’un couple. Nous risquons parfois de rester coincé∙es à cet endroit-là de la relation : blessé·es, sans parvenir à les surmonter. » Avec son corps praxitélien, tel une statue qui accèderait soudain au mouvement, Alber- to invoque l’esprit, laissant la poésie parcourir ses muscles. Un dédoublement survient. Mais ouvertement, devant le public, le spectre et le danseur finissent par s’unir dans un seul corps. Un nouveau sujet scénique surgit, tant dans la pièce que dans la trajectoire propre du créateur malaguène, qui touche ici à l’essence de son être scénique.

Cette essence est la synthèse d’années passées à re- chercher un dialogue entre le corps et la parole. Un dialogue dans lequel se troublent les frontières jusqu’à ce qu’il soit impossible de savoir si c’est le corps qui actionne la parole ou la parole qui actionne le corps. « Comprendre mon corps m’a pris longtemps. Il s’est manifesté pour la première fois lorsqu’il a compris qu’il était gay et, plus tard, lorsqu’il a compris son rapport à la parole, et plus précisément à la poésie. La parole et le corps ne deviennent qu’un. » […] […]

Des amant·es intenses, méprisé·es, tourmenté·es. Comme ces romantiques allemand·es qui ont tant interpel- lé Alberto Cortés presque depuis l’enfance, et qui sont pour lui fortement assimilés aux personnages du folklore andalou, tout aussi intenses et dramatiques. « Iels entretenaient un rapport très tourmenté à l’émotion : celui ou celle qui ne se suicidait pas, mourait de chagrin à 20 ans. Tout cela me rappelait le folklore andalou. » Alberto ajoute toujours une touche de malice, d’« andaloucisme », de drame et de séduc- tion queer, mais ici, il est Analphabet, l’esprit qui souhaite être libre de toute marque du langage ordonné et domesti- qué. L’artiste amant a comblé sa mémoire émotionnelle faite de blessures avec des paysages naturels, des montagnes et des plages, et cherche aujourd’hui à se réconcilier avec ces paysages à la manière du romantisme allemand. José Bergamín et l’ode à la spontanéité créatrice de son essai La decadencia del analfabetismo sont une autre référence importante dans le travail de Cortés. « Bergamín explique à merveille et avec passion que la poésie est l’ennemie de l’alphabet. La poésie est une langue maternelle non soumise à l’ordre logique, elle est la langue du peuple, et du peuple andalou pour moi.

L’analphabète est pour lui une source de sagesse poé- tique à laquelle n’accèderont jamais la raison ou l’intellec- tualisation. Ma poésie et l’endroit où je me situe sur scène sont de cet ordre-là.»

Alberto Cortés se considère redevable de Rimbaud ou d’Emily Dickinson. Sa poésie entremêle l’atavisme andalou, des réminiscences lorquiennes bien malgré lui, et même la poésie de sa compatriote María Zambrano. Sa poésie à lui est par contre tout en action, écrite pour être dite de- vant un public. Et, en toute honnêteté, elle n’aurait pas la même résonance sans la compagnie géniale de Luz Prado, qui dessine à l’aide de son violon des contours invisibles sur lesquels se promènent les mots qu’exsude la peau d’Alberto. La maison de l’esprit Analphabet ne saurait être autre qu’im- matérielle, et y pénétrer, un coup de poignard salvateur. 

Álvaro Vicente, février 2025 

Álvaro Vicente est auteur de théâtre et journaliste spécialisé dans les arts de la scène. Il a fondé le magazine Godot et l’a dirigé pendant 10 ans. Il est aujourd’hui directeur du magazine Dramática publié par le Centro Dramático Nacional. 

Textes traduits par Diane Van Hauwaert

09.05

  • 20:30

10.05

  • 18:00
  • + aftertalk modéré par Castillo (Espagnol → EN)

11.05

  • 20:30

12.05

  • 20:30

Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Théâtre Les Tanneurs
Concept, dramaturgie, textes, mise en scène et interprétation : Alberto Cortés | Violon et conversations : Luz Prado | Création lumières : Benito Jiménez | Technicien·nes lumières : Benito Jiménez, Cristina Bolivar | Son : Óscar Villegas, Pablo Contreras | Coordination technique : Cristina Bolívar | Enregistrement piano : César Barco | Scénographie : Víctor Colmenero | Costumes : Gloria Trenado | Regard externe : Mónica Valenciano | Photographie : Clementina Gades | Vidéo : Johann Pérez Viera
Production : El Mandaíto | Coproduction : TNT Terrasa Noves Tendències, Centro de Cultura Contemporánea Condeduque, FITEI-Festival Internacional de Teatro de Expressáo Ibérica, Centre de les Arts Lliures de la Fundació Joan Brossa, Festival Iberoamericano de Teatro de Cádiz
Avec le soutien de Azala, Graner, Goethe-Institut Madrid, Escena Patrimonio, Festival de Otoño, Programa de Residencias Artísticas de la Agencia Andaluza de Instituciones Culturales, Ayuntamiento de La Rinconada
Performances à Bruxelles avec le soutien de l’Ambassade d’Espagne en Belgique

website by lvh