28 — 30.05.2021
Encyclopédie de la parole / Joris Lacoste, Pierre‑Yves Macé, Sébastien Roux & Ictus Paris / Bruxelles
Suite n°4
musique / installation
Many languages → FR, NL, EN | €14 / €11 | Installation en boucle. Entrée toutes les 15 min. Vous pouvez choisir votre créneaux horaire. | ⧖ 2h en boucle
Après Suite n°1, 2 et 3, Encyclopédie de la parole crée la dernière partie de sa série très acclamée. Pour Suite n°4, le collectif retourne à la source, la matière première qui constitue la base des itérations passées : les voix enregistrées de leur riche collection de sons. Ce ne sont plus les acteur·rices qui font revivre les voix perdues, mais les orateur·rices même qui reviennent du passé pour parler avec leurs propres voix. Malgré cette absence physique, les personnages sont d’une présence palpable. À l’instar des fantômes, ils resurgissent d’un lieu lointain et font entendre leur voix. Préparez-vous à un voyage mental qui utilise toutes les ressources du théâtre; une installation sonore et visuelle où les voix sont accompagnées par les compositions de l’ensemble bruxellois Ictus. En mettant l’accent sur l’agilité et la musicalité infinies de la parole humaine, Suite n°4 est une célébration de ce qui est le plus vivant et le plus fugace pour l’être humain. Une manière de reproduire, pour la dernière fois, toutes ces voix précieuses mais souvent peu accessibles.
Voir aussi : Bring your kids
Interview de Joris Lacoste
Le projet de l’Encyclopédie de la parole est intimement lié à la musique. Peux-tu nous rappeler le cheminement qui t’a conduit à la Suite n°4 ?
L’Encyclopédie de la parole est un projet qui travaille à révéler la forme de la parole, sa dimension sonore, sa musicalité. Au début du projet en 2007, l’enjeu n’était pas encore de faire des spectacles mais simplement de construire une collection sonore en collectant des enregistrements de parole autour de différents phénomènes tels que la cadence, l’espacement, la mélodie, la saturation, le résidu, etc. On a commencé avec le concours de collecteur·euses venu·es de tous horizons, et la première année on organisait chaque mois une séance d’écoute aux Laboratoires d’Aubervilliers où on invitait un·e musicien·ne ou artiste sonore – c’est ainsi que j’ai rencontré Pierre-Yves Macé et Sébastien Roux – à composer une pièce sonore à partir de la collecte : l’idée était déjà d’essayer d’écouter la parole la plus ordinaire avec une oreille plus attentive à la musique qu’aux mots, tout au moins de déplacer notre écoute du quoi vers le comment, du sens vers le son.
Un peu plus tard, quand on a eu l’idée de faire des spectacles, on a assez naturellement adopté les codes de la musique et du concert. Dans Parlement, Emmanuelle Lafon est debout face au public, avec un pupitre et un micro, dans une relation à la salle qui s’inspire du récital, voire de la posture de la chanteuse pop. Suite n°1 prend la forme d’un chœur parlé de vingt-deux interprètes dirigé·es par un chef. À partir de Suite n°2, la musique intervient plus directement : pour cette pièce j’ai proposé à Pierre-Yves Macé de composer des accompagnements vocaux pour certaines scènes. Depuis ce moment on réfléchit avec Pierre-Yves aux possibles rapports entre musique et parole, comment la musique peut illustrer, colorer, commenter une parole, en révéler la forme en soulignant ce qu’elle a de régulier ou au contraire en accentuant son imprévisibilité. Dans tous les cas la musique opère un « cadrage ». Cette réflexion nous a mené à la Suite n°3, où la musique est omniprésente puisque toutes les paroles interprétées sont accompagnées au piano dans ce qui s’apparente à un petit opéra.
Avec Suite n°4, on conduit le processus à son terme puisque la musique est devenue à ce point centrale qu’il n’y a même plus d’acteur·rices présent·es sur scène. Cela dit, c’est peut-être paradoxalement la pièce la plus théâtrale du cycle, dans la mesure où elle joue beaucoup moins avec les codes de représentation de la musique. L’enjeu premier pour moi est en effet de réussir à faire du théâtre malgré l’absence d’acteurs. Cela passe par une certaine manière de surjouer les codes classiques du théâtre, par exemple le découpage en actes, la scénographie, un certain usage de l’espace et de la lumière, et surtout une certaine fiction-
nalisation voire une dramatisation des réalités contenues dans les enregistrements.
Vous vous créditez tous les trois sous le terme « composition » dans le générique : pour toi, la composition dramaturgique, pour Pierre-Yves, la composition instrumentale, et pour Sébastien, la composition électroacoustique.
Déjà pour Parlement et la Suite n°1, je m’étais crédité en « composition », je trouvais ça plus juste que « texte » ou que « dramaturgie », dans la mesure où la « partition » du spectacle est littéralement une composition sonore. Pour Suite n°3 et Suite n°4 il a fallu trouver une manière de distinguer mon travail de celui de la composition musicale. On a choisi de garder pour nous trois le terme de composition, mais en précisant pour chacun son objet. Il s’agit toujours de composer, mais avec des matériaux et des pratiques différentes. Cela exprime peut-être aussi quelque chose de la manière dont nous collaborons tous les trois, qui est particulièrement intriquée, dans une sorte d’horizontalité qui est assez rare au théâtre, où la musique se trouve la plupart du temps dans une position subalterne.
Comment compose-t-on une telle pièce qui semble déroger aux lois du genre ? De quelle manière sélectionnes-tu les documents sonores ?
L’écriture commence par la collecte : il faut d’abord trouver des enregistrements, les sélectionner, les couper, les transcrire, parfois les traduire. C’est un peu comme un casting de personnages. Il faut rencontrer des centaines de candidat·es pour n’en garder au final qu’une quarantaine ou une cinquantaine. C’est une phase très longue, qui se fait avec le soutien de précieux·ses collaborateur·ices (ici Elise Simonet, Oscar Lozano Perez et Julie Etienne) et de dizaines de correspondant·es dans de nombreux pays.
Cette recherche se fait à partir d’axes dramaturgiques induits. Ce n’est jamais un thème, je ne fais pas une pièce sur quelque chose. Mon travail n’est pas à proprement parler documentaire, même s’il n’utilise que des documents réels. Pour la Suite n°4, c’est l’idée d’absence-présence intrinsèque à l’enregistrement qui nous a guidés : car une voix enregistrée est toujours, au fond, un fantôme qui revient nous parler au présent. C’est le pouvoir propre de l’enregistrement que de redonner vie à des voix du passé. Nous avons donc cherché des documents qui nous faisaient entendre quelque chose de cela.
Ce n’est pas du tout aléatoire, ça ne relève pas non plus du cut-up. C’est le royaume de la sérendipité. Les documents du spectacle sont des documents qui sont passés dans ma vie, à un moment où l’autre, soit parce que je suis allé à leur rencontre, soit de façon plus involontaire. C’est le résultat d’une enquête qui a été menée pendant deux ans, et durant laquelle on a traversé différents contextes, différents paysages. On aurait fait la pièce deux ans plus tôt ou plus tard, les documents auraient été différents.
En quoi ce type d’écriture touche-t-il la notion d’auteur·rice ? Est-il distancié ?
C’est vrai que c’est quelque chose d’assez particulier que d’écrire à partir de matériaux trouvés : on se saisit de paroles réelles qui ont été dites un jour quelque part dans le monde, et on les déplace telles quelles dans l’espace du théâtre. Mais travailler à partir d’enregistrements n’a rien de neutre : il faut les sélectionner, les couper, les agencer, les mettre en scène, les accompagner, etc. On est loin du ready-made. Même si la pratique diffère de l’écriture au sens traditionnel, le geste reste celui d’un·e auteur·rice. Et ce n’est peut-être même pas si différent de l’écriture dramaturgique classique : après tout, les mots aussi sont des objets trouvés.
Les mots des autres deviennent tes mots, tu finis par les signer. Certes, c’est du vol ! Mais je ne crois pas trop à la posture du·de la créateur·rice ex-nihilo. Vinaver aussi revendique une écriture à partir de documents, ou encore le Peter Weiss de L’Instruction, sans parler des objectivistes en poésie comme Reznikoff ou Zukovsky. Ce genre de pratique n’a rien de nouveau, sauf peut-être que nous poussons d’un degré la littéralité, puisque nous nous approprions et reproduisons non plus seulement le texte des mots, mais toute la dimension prosodique de la parole. Il s’agit en effet toujours pour nous de faire entendre comment le sens (ou plutôt du sens) peut se construire au-delà ou en-deçà des mots : dans un bafouillement, un accent mis sur une syllabe, un suspens, une accélération. Ce qui se dit et se représente alors est à la fois du texte et plus que du texte.
J’ai la même relation avec mes enregistrements qu’un dramaturge avec ses personnages. C’est la raison pour laquelle je tiens au terme de « théâtre » pour définir ce que je fais, plutôt que par exemple « performance » ou « poésie ». On ne demande pas au·à la dramaturge de s’identifier personnellement avec tous ses personnages. Une bonne pièce de théâtre est faite de tout. Je ne cherche pas à juger mes personnages. Un bon personnage n’est pas un personnage bon : c’est un personnage vrai. C’est un autre aspect de notre travail avec l’Encyclopédie : faire attention à ce que la dimension morale ou politique ne fasse pas d’emblée écran, et savoir reconnaître de beaux personnages même chez des adversaires politiques ou des êtres moralement corrompus.
Tu mets de côté l’idée d’une narration, mais la Suite n°4 comme tous les projets de l’Encyclopédie nous racontent quelque chose du monde dans lequel nous vivons. Un récit éclaté ?
Oui je pense que la pièce raconte au fond une histoire, certes pas vraiment linéaire ou continue, mais c’est ainsi que je reçois les paroles qui nous entourent : moins dans la succession que dans la superposition, le zig-zag, la disjonction, la multi-dimension. Raconter une histoire faite de ces multiples histoires consiste à trouver des moyens de faire tenir ensemble des paroles, des registres, des situations très diverses : c’est un processus d’harmonisation des différences. Ce que ça raconte, peut-être, c’est moins le monde lui-même que la manière fragmentée et médiatisée dont nous l’expérimentons.
- Extraits de l’interview de Joris Lacoste par Stéphane Roth pour la création de la pièce au Festival Musica à Strasbourg en septembre 2020.
Présentation : Kunstenfestivalsdesarts-Kaaitheater
Conception : Encyclopédie de la parole, Ictus | Composition dramaturgique : Joris Lacoste | Composition musicale instrumentale : Pierre-Yves Macé | Composition musicale électro-acoustique : Sébastien Roux | Mise en scène : Joris Lacoste | Collecte des documents : Joris Lacoste, Oscar Lozano Pérez, Elise Simonet | Son : Stéphane Leclercq, Alexandre Fostier | Lumière, scénographie : Florian Leduc | Création graphique, vidéo : Oscar Lozano Pérez | Régie plateau : Wilfried Van Dyck | Collaboration artistique : Elise Simonet, Oscar Lozano Pérez, Nicolas Rollet | Conseil chorégraphique : Marie Goudot | Production, administration : Edwige Dousset, Garance Crouillère, assistées de Victoire Costes | Avec : Hugo Abraham (contrebasse, basse électrique), Tom De Cock (percussion), Chryssi Dimitriou (flûtes), Luca Piovesan (accordéon), Jean-Luc Plouvier (clavier électronique), Eva Reiter (viole de gambe, flûte Paetzold), Primož Sukič (guitare électrique, mandoline, banjo) | Production: Echelle 1:1 (compagnie conventionnée par le Ministère de la Culture et de la Communication / DRAC Île-de-France et par le Conseil régional d’île-de-France), en partenariat avec Ictus (ensemble soutenu par la Commission Européenne, la Communauté Flamande - Vlaamse Overheid et Vlaamse Gemeenschapscommisie) | Avec la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre de son programme New Settings | Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, Festival d’Automne à Paris, MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Théâtre National de Strasbourg, Wiener Festwochen, Ensemble Ictus, Teatro Municipal do Porto, Le Quartz - Scène Nationale de Brest, Festival Musica | Avec la participation du DICREAM | Pièce accueillie en résidence aux Subs, Lyon, Saison 2019-20, à la MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis et au Théâtre National de Strasbourg | Collecteurs invités : Harris Baptiste, Charlotte de Bekker, Tom Boyaval, Sachith Joseph Cheruvatur, Sibel Diker, Julie Etienne, Lucas Guimarães, Otto Kakhidze, Priscila Natany, Nicolas Rollet, Ghita Serraj, Prodromos Tsinikoris, Ece Vitrinel | Avec l’aide de : Naby Moïse Bangoura, Anne Chaniolleau, Maria Cojocariu, Hélène Collin, Pauline et Balthazar Curnier-Jardin, Guillaume Deloire, Monica Demuru, Maria Clara Ferrer, João Fiadeiro, Karin de Frumerie, Fanny Gayard, David-Alexandre Guéniot, Hanna Hedman, Oleg Khristolyubskiy, Anneke Lacoste, Kathy Kyunghoo Lee, Sabine Macher, Federico Paino, Jin Young Park, Sergiu Popescu, Kittisak Pornpitakpong, Irina Ryabikina, Bernhard Staudinger, Giorgia Vignola, Ling Zhu | Performances à Bruxelles dans le cadre d'EXTRA (2020) avec le soutien de l'Institut Français et de l'Ambassade de France en Belgique