28 — 30.05.2021
Adeline Rosenstein Bruxelles
Transmission poison
théâtre / radio — premiere
Les Halles de Schaerbeek / Radio Campus / Radio Panik
Français → NL, EN | ⧖ 50min
La radio a été l’un des premiers moyens de communication capable de combiner immédiateté et distance. Pour beaucoup d’entre nous, elle a été une compagne essentielle durant ces mois d’isolement. La pratique artistique d’Adeline Rosenstein découle de longues périodes d’investigation, d’heures de conversations qu’elle transpose généralement en texte et en performances théâtrales. Basée à Bruxelles, elle a présenté son travail à l’international avec Décris-Ravage, sur le conflit israélo-palestinien et Laboratoire Poison sur la trahison dans les mouvements de résistance. Dans ce nouveau format conçu pour le festival, l’artiste est pour la première fois seule sur scène. Assise à une table face au public, elle retrace une enquête qui se déroule dans trois contextes différents et au fil de trois générations de militantisme, alternant entre sa propre voix et des enregistrements de dialogues originaux. Le théâtre devient une station de radio qui émet le son en direct. C’est ce qui fait de ce projet une double expérience : d’un côté une performance théâtrale – chaque jour différente – pour les spectateur·rices dans la pièce et de l’autre, une émission radio en direct pour les auditeur·rices à la maison. La radio n’est pas une voix détachée d’un corps mais une voix qui prend corps et se déplace sous différentes formes. Dans les Halles de Schaerbeek, on éprouve sa magie et celle de l’acte d’écouter ensemble.
Réécoutez les 3 épisodes sur Radio Panik
Transmission poison est une série de trois émissions radio consacrées à trois femmes de trois générations différentes, ayant participé aux mouvements parmi les plus progressistes de leur temps, dans des contextes politiques très différents : l’une est née au Cap Vert, l’autre en ex-Allemagne de l’Est d’un père Guinéen et d’une mère allemande, la troisième en France d’un père russe et d’une mère française.
Elles n’ont rien en commun sauf peut-être une lutte contre le monde de « l’Homme Blanc » menée à différents moments de leur vie de gauche, de culture et de mouvement. Elles auraient pu être de la même famille d’exilées, des promesses non-tenues de 3 libérations. Fille du droit des peuples, en lutte contre l’empire coloniale portugais ; fille de la dénazification de l’Europe en lutte contre le racisme de gauche ; fille de la chute du mur en lutte contre le néolibéralisme, le colonialisme, le racisme de gauche ;
Ce sont des femmes qui n’écrivent pas ou du moins, pas encore
Du moins ne jugeaient-elles pas que ce fût à elles d’écrire au moment où nous enregistrions l’entretien
Elles ont pourtant des connaissances utiles
aux changements du monde
aux métamorphoses intimes et non moins décisives,
qu’ils présupposent.
Nous voulions inviter ces femmes en lutte
à fabriquer une archive sonore
dans une optique de transmission d’expériences combatives.
Un lieu où parler un jour entier, où se taire sans questions.
Ces trois émissions sont une suite d’extraits de ces enregistrements.
Amilcar Cabral, révolutionnaire Cap-Verdien et Bissau-guinéen, assassiné par le Portugal et la trahison, c’est-à-dire par quelques agents de la police politique portugaise – a dit dans un célèbre discours : « La bourgeoisie doit se suicider en tant que classe, pour renaître travailleuse ». On a beaucoup commenté cette phrase, ce suicide qui n’entraîne pas la mort. J’essaie de l’entendre non pas comme un suicide collectif mais comme un acte individuel, une dynamique de l’intériorité qui passe par le changement lexical ou vestimentaire et d’autres choses plus intimes encore...
Le choix des mots permet d’observer ces strates historiques, par exemple la « guerre civile intérieure » traversée par ces jeunes femmes qui, pour se libérer revendiquent aussi « une violence à soi ».
S’arracher à certaines personnes et à leurs mots – ça s’appelle aussi écrire l’histoire.
Cependant ces femmes ayant multiplié les ruptures et les transformations ne sont pas héroïques, du moins ne jugent-elles que le mot héroïsme pût désigner leurs actes, pas du tout.
Vous connaissez sûrement au moins une jeune femme qui ferme la porte, ouvre la fenêtre, saute, tombe et repart en courant. Ça ne lui fait pas mal car elle atterrit sur une partie d’elle qui veut de toute façon mourir.
Elle va en rejoindre d’autres dans la danse du déchirement d'ici, pour une vie plus en cohérence – il y a de la violence dedans.
Comment sinon sortir des codes et des pratiques développées en soumission ?
Comment quitter les gens et leurs mots d’amour, comment couper les morceaux de soi qui crient après eux dans leur langue ? Ces bouts de soi, passé pas mort, elles les enfoncent dans un sac qu’elles jettent par la fenêtre, devant elles, et atterrissent dessus : il amortit la chute – il permet le courage.
Un sac de soi à jeter. Le soi poubelle.
Une jeune femme se libère, se fait mal, probablement. Ce sac jeté devant elle, ce passé trimballé, écrasé, pas mort et qui permet le courage, attend peut-être d’être désigné plus dignement.
Mais les mots qui désignent avec justesse, c’est-à-dire dignité, n'arrivent souvent qu'après les victoires. Avant, c’est trop confus. La volonté de mouvement précède les mots – comme toujours lorsqu’une chose est mal désignée, il y a de la violence dedans.
Après les défaites, ce sont souvent les traîtres qui écrivent le mieux : « On ne pouvait rien faire. Rien. On a essayé de se suicider mais on n’en avait plus la force. On a honte. On est humain. » pour paraphraser certains trucs d’anciens résistants ayant flanché, trahi, regretté.
Contre l’équation fallacieuse : « humanité = lâcheté », contre le partage de la démoralisation-poison, les récits de ces femmes nous redonnent des forces. Transmission poison – transformation.
- Adeline Rosenstein
Présentation : Kunstenfestivaldesarts-Les Halles de Schaerbeek
Transmission Poison d'Adeline Rosenstein | Réalisation : Adeline Rosenstein, David Stampfli, Hanna El Fakir | Assistante & voix off : Marie Devroux | Avec : Lilica Boal, Jeanne Maddy, Anna Raisson | Montage, mixage : David Stampfli, Hanna El Fakir | Recherche & collaboration : Jean-Michel Chaumont, Crisanto Barros, Saphia Arezki, Anouschka Trocker | Traductions : Zoé Craeye & Diogo Queiroga (portugais), Muriel Weiss (allemand) | Production : Maison Ravage | Commande du Kunstenfestivaldesarts en coproduction avec Les Halles de Schaerbeek | Remerciements : T2G Théâtre de Gennevilliers - Centre Dramatique National