29.05 — 01.06.2024

MEXA São Paulo

The Last Supper

théâtre / performance — premiere

La Balsamine

Venue avec une chaise roulante à confirmer lors de la réservation en ligne ou via la billetterieAccessible aux personnes en chaise roulante | Portugais → NL, FR, EN | ⧖ ±1h30 | €20 / €16 | Peut contenir de la nudité

MEXA était l’une des révélations du Kunstenfestivaldesarts en 2023. Le collectif, fondé en 2015 après la montée de violences dans les refuges pour personnes sans-abri de São Paulo, est basé à la Casa do Povo, un centre culturel juif révolutionnaire. Au fil des ans, certain·es membres de MEXA les ont quittés, d’autres pensent qu’iels partiront bientôt. La continuité de ce groupe peut-il être un moyen d’entretenir leur mémoire ? Inspiré par la Cène, MEXA nous convie à une performance-banquet sur le devoir de continuer à partager les histoires de celleux qui ne sont plus parmi nous. Autour d’une longue table, le groupe se prépare au départ d’un·e membre – voire peut-être à la fin du groupe – en partageant la nourriture avec les spectateur·ices, assis·es à table et dans les gradins. Au fil des plats et des récits, les vies des membres de MEXA se mêlent à des références religieuses : la transformation du corps du Christ et la transition de genre de certain·es, la présence montante des églises évangéliques au Brésil, la précarité de la vie et la promesse que nous faisons de continuer, tel·les de nouveaux·elles évangélistes, à faire vivre l’histoire des autres après leur départ. MEXA transforme le théâtre en célébration avec une réinterprétation explosive de la Cène, un moment d’union et de solidarité.

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La dernière cène

Ce soir, vous assisterez à la composition d’un tableau, une méta-peinture susceptible d’éveiller un inquiétant sentiment de déjà-vu, évoquant une apparition mystique qui vous est certainement familière. Il s’agit de la vision d’un repas avec des convives assis derrière une longue table qui s’étend horizontalement dans un cadre architectural sobre et austère. Un personnage à la solennité majestueuse siège au centre. Son apparente sérénité mélancolique est démentie par la crispation douloureuse de sa main gauche. L’intensité discrète condensée dans ce geste semble orchestrer les expressions et les poses contrastées des individus qui le flanquent de part et d’autre. La tension est à son comble dans cet instant dramatique de la dernière cène où le Christ annonce la trahison imminente de l’un des apôtres. Anticipant son propre martyr et sa gloire posthume, il tend les bras vers le pain et le vin pour instituer l’Eucharistie, une fois que ses disciples auront repris leur souffle après cette révélation prémonitoire. Chaque protagoniste incarne une passion exacerbée : surprise, étonnement, suspicion, détresse, indignation sont immortalisés dans ce théâtre à échelle humaine.

Entre 1495 et 1498, Léonard De Vinci peint La Cène sur le mur du réfectoire du monastère Santa Maria delle Grazie à Milan. Malgré les tribulations de son histoire et son état de conservation déplorable, cette œuvre est la représentation par excellence de cet épisode biblique considéré comme la première messe. Image aux nombreuses vies, périples et survivances, elle est toujours objet de dévotion, attirant des pèlerins des quatre coins du monde, prêt·es à acheter une tasse ou un tote-bag en souvenir de leur épiphanie devant la peinture adorée. Des reproductions ont circulé dans tous les formats et tous les médiums, alimentant la foi des fidèles ou l’ironie des athées d’hier et d’aujourd’hui.

L’image de ce dîner est imprégnée dans les mémoires  des artistes de MEXA et habite leurs imaginaires. Pour l’une, elle active une réminiscence synesthésique d’une après-midi de son enfance chez sa grand-mère qui en détenait une copie. Pour une autre, elle est la première pièce de sa collection privée qu’elle a consenti à échanger contre une paire de talons, du parfum et du hair spray. Par une coïncidence fortuite, un fac-similé se retrouvera même sur le mur de la cantine d’une maison d’accueil à São Paulo, au Brésil, où certaines performeuses ont partagé leurs premiers repas aux débuts du collectif en 2015, fondé suite à des agressions contre des personnes racisées et/ou LGBTQIA+.

Depuis, le groupe s’est élargi et crée des actions performatives entre théâtre, danse, comédie musicale et talk-show. Ces présentations hybrides subvertissent et queerent la tragédie grecque ou l’histoire de l’art occidental dans des mises en récit d’épopées et de cosmogonies autofictionnelles. En s’appropriant la célèbre fresque et en la cannibalisant, MEXA propose une scolastique transgressive de ce canon qui perpétue les régimes oppressifs de normalité en le confrontant, sans modération et avec un humour féroce et sournois, à la violence des histoires personnelles de ses membres. Dans un nouvel exercice prospectif, le groupe revient sur sa trajectoire et son avenir toujours incertain, prédisant la disparition possible du groupe ou de quelques-unes de ses performeuses. Après avoir revisité l’Odyssée d’Homère au Kunstenferstivaldesarts l’année passée, MEXA fait de La Cène le point de départ de sa nouvelle pièce, construite comme un essai de théologie viscéral et d’iconologie mis en musique et à table. L’œuvre leur sert de support à une exégèse impie sur l’épisode biblique et sur les mystères de la transsubstantiation de l’expérience vécue au quotidien, de sa représentation et de sa transformation en effigie pérenne. Dans cette spéculation déglutinée sur son propre destin en tant que collectif, MEXA esquisse et élabore sa présence mnémonique et visuelle future. Quel rituel pourrait assurer la pérennité du groupe ou lui garantir une promesse de salut ? Quelle image, aussi évocatrice que celle du partage du pain et du vin, ou que la symbolique du crucifix réminiscent du sacrifice du Christ, serait en mesure de cristalliser l’identité et la vision du collectif pour la postérité ?

Détrompez-vous, vous qui êtes venu·es pour prier des icônes d’une supposée immaculée précarité. Votre voyeurisme est l’invité d’honneur à la table de MEXA. Transcendez vos a priori : voilà de quoi dépend votre rédemption. Déjouant les attentes et les projections, ce n’est pas la pénurie mais plutôt l’opulence baroque qui caractérise cette méditation dansée sur la survie, une célébration sur la résilience et l’abondance à l’image du fastueux buffet qui vous attends. Le groupe pose la question de l’agentivité des artistes face à un public dont les références et le profil sociologique divergent profondément des leurs, en tout cas dans leur majorité. En vous rendant complices de sa mise en scène ambiguë et insidieuse, de ses subjectivités et de ses identités plurielles non-normatives et non-hégémoniques, le collectif promeut une confrontation inconfortable – perméable aux imprévus, aux adaptations et aux tensions éventuelles. Et, tout comme les figures évanescentes du tableau de De Vinci, ce théâtre du réel pourrait s’effondrer ou disparaître devant vos yeux, ou même, être annulé avant même que vous n’ayez eu la chance de faire l’expérience de leur festive extravagance.

Puisqu’à la table de MEXA chaque repas est potentiellement le dernier, que la composition de ce tableau lors de ce banquet-performance soit un festin pour les sens et pour l’esprit. Partagez un dîner avec les Eves et les Adams de l’apocalypse et témoignez de la mise en place d’une liturgie commémorative qui leur assure une part d’éternité, laissant derrière elles des reliques de leurs tirades mémorables, de leurs chorégraphies exubérantes et de leurs anecdotes succulentes. Recevez chair et sang pour que ces images s’imprègnent miraculeusement dans vos cœurs et vos esprits. Êtes-vous prêt·es à prendre part à cette dernière cène avant qu’on n’en devine plus qu’un soupçon esquissé sur un mur, ou qu’on n’en retrouve plus qu’une trace dans un texte de brochure de festival ?           

  • Olivia Ardui, avril 2024

La performativité et les intersections entre arts visuels et vivants sont au centre de la pratique d’Olivia Ardui. Elle a travaillé comme curatrice au Musée d’Art de São Paulo (MASP) et à l’Institut Tomie Ohtake au Brésil, et a intégré l’équipe curatoriale de la 12e Biennale de Cuenca en Équateur. Actuellement, elle fait partie du département d’histoire de l’art de l’UCLouvain tout en développant des projets d’expositions indépendants.

Présentation : Kunstenfestivaldesarts, La Balsamine
Création : MEXA | Mise en scène et dramaturgie : João Turchi | Interprètes et co-créateur·ices : Aivan, Alê Tradução, Anita Silvia, Daniela Pinheiro, Dourado, Patrícia Borges, Suzy Muniz, Tatiane Arcanjo | Création et performance vidéo, direction technique: Laysa Elias | Mise en scène et coaching mouvements : Lucas Heymanns | Musique et création sonore : Podeserdesligado | Création lumières : Iara Izidoro | Production et direction artistique : Lu Mugayar | Productrice exécutive : Francesca Tedeschi | Création costumes : Anuro Anuro e Cacau Francisco | Scénographie : Vão | Coaching vocal : Dourado | Collaboration dramaturgique : Olivia Ardui | Recherches et conseils artistiques : Guilherme Giufrida
Production : MEXA | Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, Casa do Povo, Kampnagel - Internationales Zentrum für Schönere Künste
Remerciements à : Esponja, Benjamin Serousse, Marcela Amaral, Felipe Martinez, Gustavo Colombini

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