13 — 18.05.2024

Gurshad Shaheman, Dany Boudreault Limoges-Montreal

Sur tes traces

théâtre — premiere

Théâtre Les Tanneurs

Venue avec une chaise roulante à confirmer lors de la réservation en ligne ou via la billetterieAccessible aux personnes en chaise roulante | Français → NL, EN | ⧖ ±2h | €20 / €16 | Contient des références au suicide et à des aggressions sexuelles

Dany Boudreault est né dans un milieu rural aux bords du lac Saint-Jean au Québec ; Gurshad Shaheman a grandi en République islamique d’Iran, où il a passé les douze premières années de sa vie. À partir d’une liste de lieux et de personnes – famille, premièr·es amours, ami·es, ennemi·es – qui ont marqué les ébats et les combats de leurs jeunesses, Boudreault et Shaheman se donnent pour mission de remonter le fleuve de la vie de l’autre à contre-courant afin d’en proposer un portrait inédit. À l’instar des deux auteurs-performeurs qui ont souvent dû opérer des choix difficiles entre plusieurs récits, les spectateur·ices peuvent choisir en direct l’histoire qu’iels souhaitent suivre à l’aide d’un casque audio. Boudreault et Shaheman nous offrent mutuellement les clés de leurs archives personnelles, dans une écriture hybride qui oscille entre le carnet de voyage et l’enquête de personnalité. En parlant de l’autre, on finit inévitablement par parler de soi, mais aussi et surtout des autres. Par-delà les océans, les récits intimes et politiques s’entrelacent et cherchent à trouver écho en chacun·e de nous. Un double portrait d’artiste original par deux créateurs invités pour la première fois au festival, en première mondiale.

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Sur tes traces

Vous êtes littéralement partis sur les traces l’un de l’autre, quel chemin avez-vous suivi chacun de votre côté?
Gurshad Shaheman
– Nous avons initié le projet par un voyage commun à Sarajevo, en octobre 2022. Une ville que nous ne connaissions pas et dont nous ne parlions pas les langues. Nous avons bien sûr été marqués par les stigmates de la guerre, encore très présents, et par la séparation bien distincte entre la partie turque et la partie austro-hongroise, qui illustrait en quelques sortes la nécessité de notre démarche l’un vers l’autre... Nous nous sommes racontés nos vies et nous avons établi, l’un pour l’autre, une liste de personnes et de lieux à visiter. En juin 2023, nous avons calé nos voyages en même temps. Je suis parti à Montréal et au bord du lac Saint-Jean, où Dany est né. J’ai rencontré ses collègues, ses amis et sa famille. Sa sœur m’a fait visiter l’ancienne ferme familiale. J’y étais au moment où le nord du Canada flambait, mon roadtrip avait l’odeur d’un feu de forêt. Mon chemin se situe donc entre le portrait de Dany et le carnet de voyage.
Dany Boudreault – Je suis allé à Lille, à Paris, à Toulon et en Turquie. J’ai longtemps essayé d’aller en Iran mais les relations diplomatiques sont très mauvaises avec le Canada. Nous avons donc décidé que je me rendrais à la frontière turco-iranienne et de voir en quoi cette impasse pouvait aussi être un levier d’écriture. J’ai été exposé à une véritable tour de Babel, j’avais un interprète en farsi pour parler avec l’oncle et les tantes de Gurshad mais, avec l’une d’elles, j’ai quand même pu parler l’allemand, et l’anglais avec un ancien amant... Ce pèlerinage vers l’Autre est aussi une manière de découvrir de nouveaux territoires, physiques et symboliques.

Vous avez donc rassemblé beaucoup de matière, d’éléments à utiliser dans votre pièce, quel a été votre processus d’écriture?
DB
– Énormément de matière ! Cela implique des choix, parfois difficiles. Mais à un moment donné, ces rencontres deviennent des éléments dramaturgiques : il est moins question de la place que la personne occupe dans notre vie et de l’intimité qui nous y relie que de l’équilibre global du texte. Le public aussi aura à choisir... de toute façon, on se trompe toujours sur ce qu’on n’a pas choisi!
GS – Après nos voyages respectifs, nous nous sommes retrouvés trois semaines à Montréal pour défricher et établir ensemble un plan. Nous avons ensuite écrit notre texte chacun de notre côté. Il s’agit de deux monologues, où chacun s’adresse à l’autre: je lui raconte mon voyage et Dany me raconte le sien, simultanément. Les spectateur·ices sont muni·es d’un casque et choisissent qui iels veulent écouter. Iels peuvent passer de l’un à l’autre mais quand iels se branchent sur moi, je parle de Dany, et inversement. Il y a des histoires qui sortent du lot, quand la tante de Dany me dit: «il y a deux artistes dans la famille, Dany et son cousin thanatologue », et qu’elle me décrit tout ce qu’il est capable de faire d’un corps, c’est évident qu’on a repris ce récit dans la pièce. La manière dont elle le raconte, la comparaison entre la thanatologie et le théâtre, art éphémère dans les deux cas, c’est fantastique.

Pourquoi avoir choisi de séparer les deux récits par une écoute au casque?
GS
– Quand nous avons eu l’idée de ce spectacle, il y a trois ans, le monde était plus paisible : il n’y avait pas la guerre en Ukraine, Mahsa Amini n’avait pas été assassinée en Iran et la situation n’était pas la même à Gaza. Dans un monde qui se polarise de plus en plus, la perception de nos identités change malgré nous. Dany et moi devions déjouer les étiquettes de nos origines : le Québec et l’Iran, l’Orient et l’Occident qui se regardent. On va me présenter plus volontiers comme Iranien que comme Français, parce que c’est le pôle le plus loin, le plus exotique, la société aime jouer sur cette opposition. Nous avons donc choisi de mettre à mal cette binarité, de façon radicale et ludique, en proposant aux spectateur·ices de choisir entre l’Orient et l’Occident. Mais quand tu choisis l’un, il te parle de l’autre. La démarche, c’est d’essayer de comprendre comment l’autre a été formé, ce qui l’a forgé... Avec le casque, il y a un effet d’intimité très fort.
DB – C’est aussi un spectacle sur les frontières, sur le privilège d’être mobile: dans un certain circuit on peut l’être, mais pas dans l’autre, pourquoi? L’impossibilité que j’ai eue d’aller en Iran parle aussi de l’impossibilité pour Gurshad d’y retourner.
GS – Puisque je ne peux pas retourner en Iran j’y envoie un ami, mais même cette tentative se solde par un échec. Dany est allé en Turquie parce que l’azéri, ma langue maternelle, appartient au groupe des langues turques ; mon père n’a pas pu quitter l’Iran pour le rejoindre et Dany a quand même décidé d’aller jusqu’à la frontière iranienne, sans toutefois pouvoir la franchir. Cela me touche beaucoup... Quand j’avais 11 ans, ma mère, tous les matins, faisait la queue devant l’ambassade de France pour son visa, ça a duré des mois : elle faisait la queue dans le simple espoir de pouvoir y entrer, même l’enceinte de l’ambassade de France nous était inaccessible... Le fait que Dany se retrouve dans une situation similaire, c’est très fort.

Pouvez-vous nous décrire le dispositif scénique?
GS
– Le dispositif est frontal. Sur tes traces se déroule derrière un tulle dans une sorte d’appartement qui pourrait être celui de Sarajevo. Tous les murs sont en voilage, plus on découvre la géographie de l’autre, plus on avance dans l’appartement, plus ça se dévoile. Rien n’est direct, tout est réminiscence, rejoué pour l’autre. Il y est aussi beaucoup question d’ombres : les ombres des personnes qui nous ont construit et qui revivent à travers nous... Nous sommes l’émetteur du récit que nous avons chacun écrit, mais aussi le support de projection pour les figures du récit de l’autre.

Quelles sont, pour vous, les significations véhiculées par Sur tes traces?
DB
– C’est une histoire de gémellité, de symétrie, il s’agit de voir en quoi nos douleurs chantent ensemble et comment on peut s’en consoler. C’est une déclaration d’amour. Quand on aime quelqu’un, on cherche toujours les affinités, mais c’est une illusion. Il faut embrasser les différences et arrêter d’être obsédés par les ressemblances.

  • Entretien réalisé par Maïa Bouteillet, avril 2024.

Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Théâtre Les Tanneurs
Texte, mise en scène et interprétation : Gurshad Shaheman et Dany Boudreault | Assistant mise en scène : Renaud Soublière | Création sonore : Lucien Gaudion | Scénographie : Mathieu Lorry-Dupuy | Lumières : Julie Basse, assistée de Joëlle Leblanc | Dramaturgie : Youness Anzane, Maxime Carbonneau | Régie générale : Pierre-Éric Vives | Costumes : Bastien Poncelet | Stagiaire scénographie : Léa Salesse | Administration : Emma Garzaro | Direction de production : Julie Kretzschmar | Production pour le Québec : Jérémie Boucher | Guide/interprète de Dany Boudreault en Turquie : Saeed Mirzaei | Transcription : Khadija Fadhel
Un projet des compagnies La Ligne d’Ombre et La Messe Basse
Production déléguée : Les Rencontres à l’échelle – B/P | Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, Festival TransAmériques, Maison de la Culture – Scène nationale d'Amiens, Théâtre Les Tanneurs, Le Manège – Scène nationale de Maubeuge, le Quai – CDN Angers Pays de la Loire, le CCAM - Scène nationale de Vandoeuvre-lès-Nancy, Théâtre de la Bastille, Festival d’Automne à Paris, Théâtre Prospero
Avec le soutien de la DRAC Hauts-de-France, le CALQ, le CAC, la Fondation Cole, le CAM 
Remerciements : Le Phénix – Scène nationale de Valenciennes et le Théâtre de L’Union – CDN de Limoges
Gurshad Shaheman est artiste associé au Théâtre Les Tanneurs
Performances à Bruxelles avec le soutien de la Délégation générale du Québec à Bruxelles, de l’Ambassade de France en Belgique et de l’Institut français Paris dans le cadre d’EXTRA, programme de soutien à la création contemporaine française en Belgique

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