23 — 26.05.2024

Marcus Lindeen, Marianne Ségol Stockholm-Paris

Memory of Mankind

théâtre — premiere

KVS BOX

Venue avec une chaise roulante à confirmer lors de la réservation en ligne ou via la billetterieAccessible aux personnes en chaise roulanteAssises sans dossiers | Français → NL, EN | ⧖ 1h30 | €20 / €16

Au fond d’une mine de sel des Alpes autrichiennes repose une archive appelée « La mémoire de l’humanité », qui a été conçue par un céramiste, Martin Kunze. Depuis 2012, il crée une série de tablettes en céramique contenant des textes et des images destinés à sauvegarder la civilisation humaine et à préserver les savoirs issus de notre époque moderne. L’espoir de Kunze est de réaliser une capsule temporelle qui pourrait traverser des millions d’années et être trouvée par les civilisations futures, qui découvriraient alors notre histoire. Mais que souhaite-t-on que l’on sache de nous dans un million d’années ? Par où commencer ? Et pourquoi une seule personne aurait-elle le droit de raconter notre histoire ? Dans un spectacle captivant, le metteur en scène suédois Marcus Lindeen et la dramaturge française Marianne Ségol entremêlent habilement l’histoire réelle de Martin Kunze avec d’autres histoires vraies. Dans l’une, un homme raconte la rare forme d’amnésie qu'il a et qui efface toute sa mémoire ; dans une autre, un∙e archéologue queer interroge notre rapport à l’histoire. En réunissant dans le même espace le public et les protagonistes de ces histoires, Lindeen et Ségol soulèvent une question existentielle : pourquoi serait-il mieux de se souvenir plutôt que d’oublier ?

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Memory of Mankind

Qu’est-ce qui vous a donné envie de créer Memory of Mankind ?
Marcus Lindeen – Lors du premier confinement, en mars 2020, j’ai découvert le projet d’un artiste nommé Martin Kunze dans un article paru dans le quotidien The New York Times ; un projet que j’ai trouvé d’emblée fou et passionnant.
Depuis une dizaine d’années, dans une mine de sel située dans les montagnes autrichiennes, Martin Kunze inscrit les connaissances de notre civilisation sur des plaques en céramique, dans l’espoir qu’un jour les gens du futur puissent les exhumer. Selon lui, ces plaques seraient le matériau le plus résistant qui soit, et devraient permettre à ces archives de l’humanité de rester lisibles pendant plusieurs milliers d’années, peut-être des centaines de milliers d’années.
Toutes les questions que soulève cette initiative extraordinaire m’intéressent : qu’est-ce qui donne le droit à Martin Kunze de raconter notre récit collectif ? Qu’est-ce qui mérite d’être rappelé, « sauvegardé » ? Au fond, qu’est-ce qui constitue notre histoire ? Dès lors, j’avais envie de traiter ces interrogations dans un spectacle.

Dans votre spectacle, il est question du projet de Martin Kunze, mais aussi d’autres histoires. Quel est leur lien ?
Marianne Ségol
– La mémoire. Comme dans nos créations précédentes, nous prenons le parti de mêler différents récits autour d’un thème commun. On entendra, en l’occurrence, le témoignage d’un amnésique atteint d’une pathologie que l’on appelle la fugue dissociative, laquelle lui fait régulièrement perdre la mémoire. Il sera question de la femme de cet individu, une autrice, qui va l’aider à recomposer ses souvenirs par le biais de l’écriture. Et, enfin, d’un archéologue queer, qui propose de raconter l’histoire autrement. Du point de vue de celles et ceux à qui l’on ne donne pas la parole. De celles et ceux qui sont généralement oublié·es du champ des études historiques.

Quel est l’intérêt de faire entrer en résonance ces récits ?
ML
– Quand je pratiquais le métier de journaliste, je me sentais frustré d’avoir à me tenir à un sujet particulier, à un format précis. Je trouvais cela contraignant et réducteur. Le théâtre permet des rencontres inédites, des rencontres qui n’auraient pas lieu dans la vraie vie. Les histoires qui s’entremêlent dans notre pièce sont des histoires vraies qui s’enrichissent, sous la forme d’une discussion, d’un échange. MS – L’enjeu consiste à mettre ces témoignages en perspective. Parce qu’ils se complètent et se problématisent. Parce que l’intime se lie à des enjeux plus généraux. Par exemple, au regard du travail de Martin Kunze, l’autrice de notre pièce devient en quelque sorte l’archiviste de son mari qui perd la mémoire. Et, comme l’artiste autrichien, elle s’arroge le droit de raconter son histoire. Elle se pose la question de ce qui doit être rappelé ou pas.

Vous optez, une fois de plus, pour un dispositif théâtral minimal: des acteur·ices non professionnel·les, une grande proximité avec le public, une scène quasi inexistante...
MS
– Absolument. La scénographie a été conçue pour que les spectateur·ices puissent pénétrer dans un espace clos, comme dans une boîte. Nous avons cherché à créer un lieu qui s’apparente à un espace de discussion. L’idée est que le public ait l’impression d’être inclus dans ces conversations, même si les spectateur·ices ne sont pas amené·es à discuter avec les comédien·nes.
ML – Nous pratiquons un théâtre qui n’est pas un théâtre de jeu, ou même un théâtre d’acteur·ice. Le texte est le moteur de l’intrigue. Je recueille les témoignages qui m’intéressent dans le réel ; je les retranscris et ce n’est qu’ensuite, dans l’écriture, que la fiction peut s’installer. Nous dirigeons et enregistrons des comédien·nes professionnel·les qui incarnent ces textes. Et après, lors des représentations, nous diffusons ces enregistrements dans les oreillettes d’acteur·ices non professionnel·les qui, à leur tour, s’approprient ces textes. Ces dernier·ères n’ont pas une très grande marge de manœuvre. La direction artistique a lieu lors de l’écriture et de l’enregistrement.

Quel est l’intérêt de cette méthode, qui est l’une de vos marques de fabrique ?
MS – Dans le théâtre habituel, le·la comédien·ne peut anticiper ce qu’iel va dire, se projeter dans les minutes à venir. Ici, les acteur·ices non professionnel·les n’ont pas besoin d’apprendre leur texte par cœur : iels sont en quelque sorte des porte-voix. Ainsi, le rapport au présent est plus immédiat.
ML – Mais pour la scène, nous choisissons toujours des gens qui ont un rapport particulier avec le sujet traité. Cette fois, celui qui campe l’archéologue est un universitaire qui travaille sur les questions queer. Martin Kunze est interprété par un astrophysicien qui mène un projet similaire. Cette thématique résonne en elleux d’une certaine manière.
MS – C’est un théâtre de texte où le mot devient le personnage principal.

Revenons-en au sujet de la pièce : la mémoire. Avec le numérique, nous laissons tous·tes des traces indélébiles sur Internet, les réseaux sociaux, les clouds... Est-ce que l’oubli n’est pas en train de s’imposer comme l’enjeu humaniste du moment ?
MS – L’oubli est consubstantiel à la mémoire. Au départ, nous voulions intégrer le témoignage d’une femme hypermnésique, c’est-à-dire une femme dotée d’une mémoire extraordinaire. Son problème à elle, c’est qu’elle n’arrive pas à raconter sa propre histoire, qu’elle ne parvient pas à faire le tri. Elle est submergée. Je ne suis pas sûre que le numérique change grand-chose à cette donnée. Les machines ont de la mémoire, mais pas de souvenirs.

Contrairement aux écrivain·es, aux cinéastes, aux peintres, le travail des metteuses et des metteurs en scène disparaît avec elleux... Est-ce que cette question de la trace vous tourmente en tant qu’artistes de spectacle vivant ?
ML
– C’est la spécificité du théâtre : son aspect éphémère... Qui est à la fois très frustrant, et en même temps très beau... J’aime l’idée de créer une œuvre périssable sur la mémoire.

  • Entretien réalisé par Igor Hansen Love

Présentation : Kunstenfestivaldesarts, KVS
Écriture et mise en scène : Marcus Lindeen | Conception : Marcus Lindeen & Marianne Ségol | Dramaturgie et traduction : Marianne Ségol | Interprètes : Jean-Philippe Uzan, Axel Ravier, Sofia Aouine, Driver | Voix : Gabriel Dufay, Julien Lewkowicz, Olga Mouak, Nathan Jousni | Musique et création sonore : Hans Appelqvist | Scénographie : Mathieu Lorry-Dupuy | Création lumières : Diane Guérin | Création costumes : Charlotte Le Gał | Casting : Naelle Dariya | Régie générale : David Marain | Technicien son : Nicolas Brusq | Technicien vidéo : Dimitri Blin | Production, diffusion, administration : Emmanuelle Ossena, Charlotte Pesle Beal, Lison Bellanger - EPOC productions
Production : Company Wild Minds | Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, Piccolo Teatro di Milano-Teatro d’Europa, T2G Gennevilliers, Festival d’Automne à Paris, Le Quai ‐ CDN Angers Pays de Loire, La Comédie de Caen - CDN de Normandie, Wiener Festwochen, Le META-CDN Poitiers, CDN Besançon Franche-Comté, Le Grand T Nantes, Le Lieu Unique Nantes, PEP Pays-de-Loire
Projet soutenu par le Ministère de la Culture – Direction régionale des affaires culturelles
Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès
Performances à Bruxelles avec le soutien de la Délégation générale du Québec à Bruxelles, de l’Ambassade de France en Belgique et de l’Institut français Paris dans le cadre d’EXTRA, programme de soutien à la création contemporaine française en Belgique

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