10 — 13.05.2024
Nacera Belaza est connue pour ses chorégraphies méticuleuses, minimalistes et envoûtantes. Née en Algérie et résidant actuellement en France, elle a développé une pratique chorégraphique qui traduit des influences et des traditions de danse diverses en des partitions cinétiques captivantes qui ne peuvent laisser indifférent·e. C'est de la danse dans sa forme la plus pure, qui s’expérimente plus qu’elle ne se comprend. Dans Le Cercle (2019) et L'Onde (2021), précédemment présentées au festival, elle travaillait successivement deux des principes de recherche fondamentaux de son œuvre, le cercle et le rythme. Avec La Nuée, Belaza réunit pour la première fois ces deux principes : d’une part, la puissance du cercle dans l’espace qui trace sa propre orbite autour d’un centre immuable, comme si on y organisait le désordre de vies disparates ; d’autre part, le rythme qui creuse le temps et soulève les corps pour leur accorder une liberté fulgurante. Une confrontation qui se transforme en une pratique rituelle et s’ouvre sur un mouvement perpétuel, voire une faille vers l’infini. Une expérience unique à ne pas manquer, avec une énergie incroyable contenue par le public assis en cercle autour des danseur·euses.
Le rythme et le cercle
En 2022 vous avez fait une résidence itinérante aux États-Unis avec La Villa Albertine, qu’êtes-vous allée chercher aux États-Unis?
Sur le plateau, je cherche toujours à retrouver une forme d’inconnu, des trajets corporels inédits, une certaine façon de me laisser faire, de me mettre dans une situation d’écoute. C’est un état que je travaille au cœur même de mes créations, mais qui se relie difficilement à ma manière de vivre. Je me suis beaucoup interrogée sur ma démarche, ce que je venais faire aux États-Unis, la nécessité de faire autant de kilomètres pour trouver l’inspiration, le sens même que pouvait avoir une telle résidence. Je tenais vraiment à rencontrer des amérindiens, car j’ai toujours ressenti une certaine proximité avec ces peuples qui voient dans toute chose créée une dimension sacrée, l’invocation des esprits. C’est un état du corps et de l’esprit qui m’a toujours touchée, et qui me rappelle étrangement quelque chose qu’on peut retrouver chez les Algérien·nes. Après avoir vécu une colonisation violente, la décennie noire, c’est un peuple qui ne se projette plus, replié sur lui-même, qui porte en lui une profonde tristesse, une blessure. Je me souviens qu’en dansant là-bas, cela devait être en 2001 ou 2002, on me disait que la danse contemporaine n’était pas dans l’identité algérienne, j’entendais des choses comme « Nous, notre identité, c’est la danse traditionnelle, ce n’est pas la danse contemporaine. On ne veut pas s’ouvrir à ça ». C’est quelque chose que j’ai ressenti aussi chez les Amérindiens. Cela empêche de voir à quel point ces peuples sont reliés de façon spirituelle, notamment par le chant et la danse. À Minneapolis, peu avant mon départ, on m’a proposé d’assister à un pow-wow, événement où plusieurs communautés de natif·ves américain·es se retrouvent dans la nature pour partager des moments de danse au sein d’un gigantesque cercle. Tous·tes les participant·es, avec leurs spécificités, appartiennent à ce cercle dont le rythme commun est entretenu par les musicien·nes. Le cercle et le rythme : ça a été le début de ma recherche.
Vous aviez déjà travaillé avec ces deux motifs dans vos précédentes créations. Comment La Nuée les réunit?
Le rythme – dans Le Cercle ou Sur le fil – me mettait dans un certain état, proche de la transe, tandis que le cercle – dans L’Onde par exemple – a plutôt tendance à créer un déploiement, une élévation. Je ne voyais donc pas comment conjuguer deux états si éloignés l’un de l’autre. Lors de ce pow-wow j’ai compris : chacun·e a son propre rythme à l’intérieur du cercle, mais le cercle est formé par tous ces rythmes. En revenant en France j’ai entamé une étude autour de cela. Mais si les participant·es du pow-wow avaient chacun·e leur propre danse dans le parcours du cercle, j’opère une autre fusion en plaçant le cercle et le rythme à l’intérieur même des corps.
Que se passe-t-il dans le corps quand ces deux forces cohabitent ?
Habituellement je suis interprète dans mes pièces et je peux dire exactement ce qu’il se passe dans mon corps. Pour celle-ci, je suis majoritairement à l’extérieur mais je sais qu’il y a un tiraillement entre deux directions. C’est compliqué: le cercle est une force centrifuge et le rythme appelle le sol et la verticalité. Tout le travail du·de la danseur·euse c’est de pouvoir conjuguer ces deux choses ; malheureusement je vois bien qu’iels vont plus facilement vers le cercle et, en même temps, on ne cherche pas une superposition des deux forces. Il faut donc fabriquer de toutes pièces un nouveau mouvement. Aller vers ce qui n’existe pas encore, trouver une troisième voie, c’était le but de ma recherche.
La musique semble aussi contenir une double direction: la pulsation des percussions et l’élan de la voix. Avez-vous aussi collecté ces matières sonores aux États-Unis?
Ce qui est drôle c’est que j’ai écrit ma pièce L’Onde avec des musiques inspirées des pow-wow, mais celle-ci pas du tout! On aimerait établir un lien logique, or ce ne sont pas ces musiques qui se sont imposées à moi. Pour cette pièce, l’idée qui s’est formée est celle de l’absence de mélodie : des rythmes, des pulsations qui se distordent, un travail de claps, d’applaudissements, qui ne sont pas toujours réguliers. Puis apparaissent ces voix qui sont dans une double nature, à la fois chants et cris, et qui deviennent presque des battements d’ailes lorsque tu les accélères. Je tourne autour de ces choses-là, y compris dans la lumière où les danseur·euses sont souvent décentré·es, à l’orée et au bord.
Vous avez formulé le désir d’inviter une personne locale à rejoindre l’équipe dans les villes où vous allez présenter La Nuée. Pourquoi?
C’est un vœu ancien. À Freiburg en Allemagne, nous étions en train de créer La Traversée. Ça faisait déjà huit mois qu’on répétait avec les danseuses et en arrivant la directrice me dit qu’iels ont l’habitude de faire travailler les artistes avec des amateur·ices. Mon premier réflexe a été de me dire : « Surtout pas ! Pourquoi maintenant ? Ça va changer tout le travail ». Mais heureusement j’ai cette deuxième voix qui me sauve bien souvent, qui m’a dit : « Tu n’en sais rien, reste ouverte ». J’ai donc accepté. Les amateur·ices étaient extrêmement justes, mais surtout, les danseuses professionnelles ont été délogées dans leur partition. Il y avait des inconnu·es dans tous les sens du terme. Dans La Nuée l’idée est donc d’introduire une personne pour rester sur le qui-vive. De façon très concrète nous n’avons pas encore commencé car pour le moment tout est chaotique pour tout le monde. Cet élément perturbateur arrivera par la suite car j’aime penser qu’une création ne se fige jamais à la première représentation.
- Entretien réalisé par Léa Poiré en mars 2024 pour la MC93
La première question est extraite d’une interview réalisée par Raphaël Bourgois pour le magazine de la Villa Albertine, l’entretien complet peut être lu ici.
Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Charleroi danse
Chorégraphie, conception son et lumière : Nacera Belaza | Interprétation : Paulin Banc, Antoine Boisson, Eva Studzinski, Magdalena Hylak, Aurélie Berland, Lora Judokaite | Régie générale : Christophe Renaud | Régie son : Marco Parenti
Production : Association Jazz Ame – Compagnie Nacera Belaza | Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, Charleroi danse, Festival d’Automne à Paris, MC93-Bobigny, Chaillot – Théâtre National de la Danse, Maison de la danse, Lyon – Pôle Européen de Création, Villa Albertine – Ambassade de France aux États-Unis, Compagnie DCA / La Chaufferie | Avec le soutien de l’ACCN et de l’A-CDCN dans le cadre de La Danse en grande forme : Cndc-Angers, CCN-Malandain Ballet Biarritz, La Manufacture – CDCN Nouvelle-Aquitaine Bordeaux La Rochelle, le CCN de Caen en Normandie, Boom’Structur, Comédie de Clermont-Ferrand, Centre chorégraphique national de Grenoble, MC2 : Maison de la Culture de Grenoble, Le Phare-CCN du Havre Normandie, CCN – Ballet national de Marseille, CCN d’Orléans, Le Gymnase CDCN Roubaix Hauts-de-France, La Place de La Danse – CDCN Toulouse / Occitanie, La Briqueterie CDCN du Val-de-Marne
Accueil studio : Chaillot – Théâtre de la danse
La Compagnie est soutenue par la Direction régionale des affaires culturelles d’Ile-de-France – Ministère de la Culture et de la Communication au titre de compagnie conventionnée et par la Région Ile-de-France au titre de la permanence artistique et culturelle
Performances à Bruxelles avec le soutien de l’Ambassade de France en Belgique et de l’Institut français Paris dans le cadre d’EXTRA, programme de soutien à la création contemporaine française en Belgique