18 — 22.05.2022
L’Éléphant de Bouchra Ouizguen est un corps collectif. Son existence fragmentée est formée par les mouvements de quatre interprètes qui lui prêtent leurs voix et leurs identités. Oscillant entre force et fragilité, les danseuses créent une chose perpétuellement en passe de disparaître, évoquant la fragilité du présent, voire l’éléphant lui-même, dont l’espèce est menacée d’extinction d’ici la fin de la décennie prochaine. Bouchra Ouizguen est une figure majeure de la danse et de la chorégraphie contemporaine au Maroc où elle s’engage depuis toujours dans le développement d’une scène chorégraphique locale. Après les oiseaux de Corbeaux – qui fut l’un des spectacles majeurs du Kunstenfestivaldesarts 2015 et fit ensuite le tour du monde – Bouchra Ouizguen nous revient avec une nouvelle création. En puisant dans la richesse orale des interprètes, elle propose une chorégraphie fascinante qui prend la forme d’un concert. Les mouvements y coexistent avec les voix et les percussions, telle une chanson monochrome qui s’ouvre petit à petit sur un paysage plus coloré. Au fond, Éléphant nous interroge sur comment nous pouvons garder espoir face à la disparition des choses.
Éléphant
Avec Éléphant, Bouchra Ouizguen continue à sonder et interroger en nous l’humain dans la force de la présence du corps, dans son épaisseur, dans ses épanouissements, ses enroulements et ses contestations, dans les manifestations culturelles qu’il porte et qui le modèlent depuis un temps d’avant le temps…
Toutefois, cette nouvelle création se détache résolument des précédents travaux de la chorégraphe à travers de nouveaux partis pris où elle affirme sa volonté d’une exploration plus radicale au côté d’une équipe artistique renouvelée.
Accompagnée par des artistes chanteuses et musiciennes issues de la tradition populaire marocaine et collaboratrices de longue date, Bouchra Ouizguen est à la recher-che de nouveaux (dés)équilibres avec un casting inédit qui confronte sans se mêler des univers et imaginaires très affirmés.
Explorant pour la première fois de manière radicale le son, uniquement live, à travers la voix et les percussions que manient avec force et aisance les interprètes marocaines, Bouchra Ouizguen invite aussi à un retour aux émotions et aux sons bruts, semblant surgir de temps immémoriaux. Les chants se mêlent ainsi aux cris, aux râles et aux pleurs et semblent émaner d’un chœur antique dont les bruits assourdissants convoquent leur cortège de souvenirs enfouis.
Tantôt avec sobriété et retenue, tantôt avec éclats et fureur, la différence est magnifiée, reçue comme un cadeau dont Bouchra Ouizguen s’attèle à révéler le caractère précieux et subversif aussi bien au sein de l’individu que du collectif. Les artistes de la Compagnie s’emploient à transmettre cette puissance, cheminant toujours un peu plus profondément vers l’humain en chacun. Là où le collectif et l’échange donnent sens à l’intériorité des femmes et des hommes.
« Passant par la maison, la maison de Layla,
je baise ce mur-ci, cet autre, et celui-la.
À trop aimer les murs perdrais-tu la raison ?
Non pas les murs mon cœur, les gens de la maison. »
- Majnun
« Cours à l’heure paisible dans les tortueux méandres de ton être
Clame haut le semblable et le différent, aussi haut que le soleil
Chante les impossibles pensées qui naissent de l’oisiveté
Pense le beau ! Pense le laid ! Pense les lieux et les normes et les lois !
En attendant les prochaines colères du vent. »
- Chant à l’Indien, Khireddine Mourad
Bien que cela fasse des années que je créé des spectacles, je ne cesse de remettre en question la légitimité à poursuivre cette voie et à remonter une pièce. Si elle est loin d’être une évidence, c’est pourtant au sein même de ces doutes que surgit mon désir de me réengager dans la voie de la création. Les notions d’inconnu, de rêves, de fragilité, de vérités, de masques qui sont au cœur de l’existence ne cessent de contaminer mon processus chorégraphique et d’alimenter mon imaginaire créatif. Une pièce surgit aussi bien du vide et du silence que du chaos de mon esprit et des doutes qui l’envahissent… Tout l’enjeu consiste alors à cheminer progressivement et collectivement vers une forme que j’espère toujours empreinte de liberté.
Éléphant, je l’ai d’abord rêvé pour des hommes et des femmes extra-ordinaires que j’aurais pu croiser au détour d’une rue ou lors d’un voyage. Ils font écho à mes héros ordinaires – paysans, jardiniers, femmes de ménage – peuplant mon quotidien. Ce sont en premier lieu les interprètes de la Compagnie, artistes expérimentées issues de la tradition populaire, que j’ai rencontrées dans la région du sud du Maroc au fil des années et qui ne cessent de m’inspirer depuis lors.
Que serions-nous sans des passeurs de tous âges et de tous temps ? Le tâtonnement et le cheminement sont une aventure à la fois individuelle et collective. La différence, la friction avec l’inconnu, les risques encourus et le choix d’un destin commun nourissent cette quête individuelle au même titre que la nature et les environnements de chacun·e, qu’ils soient réels ou fantasmés. C’est dans la poussière, avec les oiseaux, dans les forêts, les déserts, les cabarets, la rue que les autres m’inspirent.
Le son et la musique participent de cette mythologie rêvée en convoquant magiquement des espaces temporels qui, suivant le cours des choses, tendent irrémédiablement à disparaître : chants et musiques puisés dans le répertoire populaire marocain ramenés à la vie par un chœur de musiciennes venu du fond des âges…
Éléphant est la suite de mes créations. Il est aussi un commencement, une sorte d’espoir quand tout ce qui nous entoure tend à disparaître. Je cherche ce qui se transmet, ce qui parle d’humanité. Un acte collectif où pourrait exister un cheminement vers soi, qui ne renie pas l’être humain.
- Bouchra Ouizguen
Présentation : Kunstenfestivaldesarts, De Kriekelaar
Direction artistique : Bouchra Ouizguen | Danseuses et chanteuses : Milouda El Maataoui, Bouchra Ouizguen, Halima Sahmoud, Joséphine Tilloy | Scénographie lumineuse : Sylvie Mélis | Production, Administration : Mylène Gaillon
Production : Compagnie O | Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès dans le cadre du programme New Settings
Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, Festival Montpellier Danse, Festival d’Automne à Paris, Les Spectacles vivants – Centre Pompidou, Wiener Festwochen, ERT Emilia Romagna Teatro, Arab Fund for Art and Culture, HAU Hebbel am Ufer, Kampnagel, Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de France au Maroc
Financé par Cultural Foundation – Abu Dhabi