14 — 16.05

Romina Paula Buenos Aires

Sombras, por supuesto

théâtre

De Kriekelaar

Accessible aux personnes en chaise roulante | Espagnol → FR, NL, EN | ⧖ 1h | €18 / €15 | Contient des références au suicide

Quelques objets et quatre acteur·ices sur scène. Sombras, por supuesto (« Ombres, bien sûr ») commence lorsque deux policier·ères atypiques arrivent au domicile d’un couple pour enquêter sur la disparition de leur fils. Oscillant entre une réalité crue et un absurde éclatant, leurs dialogues tissent une pièce fascinante qui, comme une ombre, invite à être suivie mais refuse d’être capturée.

La conversation prend un tournant inattendu quand iels évoquent le droit de se retirer de la société, le sens de la parentalité ou la prétendue capacité d’une policière à agir en tant que médium et à entrer en contact avec les disparu·es. Si les desaparecidos rappellent généralement la dictature, Romina Paula évoque ici deux cas récents de violences policières et de disparitions en Argentine. La médium serait-elle une métaphore d’une police qui en sait plus qu’elle ne le révèle à la société ?

Les acteur·ices insufflent à chaque réplique un naturalisme poignant qui oscille vers l’absurde, voire la caricature. Les personnages semblent perpétuellement ressentir le besoin de se distancier par rapport à la réalité qui les habite – comme s’ils se débattaient silencieusement avec des ombres, des luttes indicibles, des vérités non résolues. Avec grâce et poésie, Sombras, por supuesto met en lumière les parts d’ombres qui peuvent exister en chacun·e de nous. 

"Il y a une conscience présente qui remplit chaque histoire de mélancolie et, sans trahir le ton parfois dépouillé de la mise en scène, humanise les personnages, en exposant leur vulnérabilité et leur conscience de la nécessité de parler de ce qui leur arrive." - Ezequiel Obregón, 2024, Fervor

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«Ce penchant particulier à travailler est sans aucun doute à la fois une force et une faiblesse.»
R.W. Fassbinder

Sombras, por supuesto est la quatrième pièce de la Compañía El Silencio. Nous travaillons ensemble depuis dix-huit ans. Il y a quatorze ans, nous étions sur le point de venir présenter notre second spectacle au Kunstenfestivaldesarts, mais à cause d’un malentendu cela n’a finalement pas pu se faire. Depuis, bien des choses se sont passées et ont changé. Nous avons aussi eu la chance d’avoir, à nous deux, cinq enfants. Cinq garçons et filles nous ont rejoints.

Pour nous, le cinéma et le langage visuel de Fassbinder ont toujours constitué une véritable source d’inspiration. Lorsque j’ai entamé l’écriture de cette nouvelle création, j’ai choisi de partir de sa pensée et de son imaginaire, en particulier de son film Die dritte Generation («La troisième génération») sorti l’année de ma naissance. Celui-ci raconte l’histoire d’un groupe terroriste aux motivations politiques assez floues, dont les membres entrent dans la clandestinité en prenant de fausses identités, bien plus marquantes que les leurs à l’origine.

Nous nous sommes inspiré·es du style de jeu, très en lien avec le théâtre, des acteur·rices de Fassbinder ainsi que de sa préoccupation quant aux questions concernant les migrant·es. Nous reprenons par exemple ses réflexions sur les tensions entre personnes opprimées, un thème qui est toujours d’actualité.

D’une certaine façon, le spectacle prend donc la forme d’un polar. Il aborde des thèmes actuels pour ouvrir le débat sur l’un des plus grands tabous : des enfants qui meurent, au sens propre comme au figuré. Que penser d’une société qui se révèle incapable de prévenir et de comprendre la mort de ses propres enfants?

Il n’est pas toujours nécessaire d’expliquer un spectacle ou de dire en avance de quoi il est fait. Mais comme nous avons entamé le processus, j’aimerais quand même raconter certaines choses, car ces histoires sont intrinsèquement liées au tissu social argentin et je dois les restituer ici.

En 2017, Santiago Maldonado, un jeune homme de 28 ans, disparaît en Patagonie, la grande région qui forme le Cône sud de l’Argentine. Le jour de sa disparition, Maldonado a participé aux côtés de Mapuches, les premiers habitants de ces terres, à un barrage routier pour défendre 4 leur territoire. Une intervention musclée de la police a dispersé le barrage, après quoi le jeune homme a disparu. Rapidement, cette disparition a retenu l’attention de toute l’Argentine qui a exigé son retour. Au bout de 77 jours, on a retrouvé son corps dans une rivière. La police a prétendu qu’il aurait traversé cette rivière le jour de la manifestation pour échapper à la police et qu’il s’y serait noyé. Mais sa famille et les procureurs affirment qu’il a été victime de violences policières et que les forces de l’ordre ont jeté son corps à l’eau.

La disparition et la mort tragique de Santiago Maldonado, un jeune homme idéaliste qui parcourait le pays avec son sac à dos, animé par sa foi en un monde plus juste, symbolisent une réalité d’une récurrence effroyable en Amérique latine, où de tels incidents provoqués par une violence policière démesurée sont matière courante. Santiago Maldonado est désormais une icône pour une génération de jeunes qui préfèrent le lien avec la nature aux écrans et aux cryptomonnaies.

Notre spectacle ne relate pas l’histoire de Santiago Maldonado, mais chaque Argentin·e qui le voit revit cette tragédie et ressent à nouveau la douleur qu’elle a suscitée: une façon d’être au monde et d’en être brutalement éliminé. Malgré une esthétique qui flirte parfois avec le pop art et le kitsch, l’ensemble de l’œuvre de Fassbinder est profondément politique et constitue un réquisitoire contre la bourgeoisie, son agressivité passive et son silence.

Nous ne sommes plus si jeunes, mais nous espérons que les générations qui nous suivent trouveront la force, avant tout, de survivre, et qu’elles pourront considérer le monde avec humour et amour, et croire que le changement est possible, quelles que soient leurs identités et leurs origines.

 

  • Romina Paula, avril 2025
  • Traduit par Isabelle Grynberg
→ see also: Jeunes publics

Présentation : Kunstenfestivaldesarts, De Kriekelaar
Mise en scène : Romina Paula | Acteur·ices : Esteban Bigliardi, Walter Jakob, Susana Pampin, Pilar Gamboa | Scénographie et lumières : Sebastián Arpesella, Romina Paula | Musique : Germán Cohen | Photographie : Sebastián Arpesella | Techniciens : Sebastián Francia | Assistance générale : Lucia Villanueva
Production : Sebastián Arpesella - Compañía El Silencio | Coproduction : Paraíso

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