25 — 29.05.2025

Mila Turajlić Belgrade

Non-Aligned Newsreels: Fragments from the Debris

conférence-performance / live documentary

Beursschouwburg

Accessible pour des personnes en chaise roulante avec assistance | Anglais → FR, NL | ⧖ 1h | €16 / €13

Trente ans après la dissolution de la Yougoslavie, des archives longtemps oubliées refont surface, révélant l’héritage perdu du mouvement des non-alignés. Fondé en 1961 à Belgrade à l’initiative du président yougoslave Tito, lors d’une conférence de 25 nations et 17 mouvements de libération, le mouvement offrait une alternative aux deux blocs antagonistes de la guerre froide. Soutien de la décolonisation, du désarmement et de l’antiracisme, il reste toutefois absent de l’histoire occidentale.

Avec Stevan Labudović, le cameraman que Tito a envoyé en mission clandestine filmer des mouvements de libération, la documentariste Mila Turajlić a exhumé des documents de l’agence yougoslave Newsreels. Ses séquences inédites, sous-tendues de récits oraux et d’archives personnelles, forment la base de cette performance documentaire. VJing, improvisation et mise en récit transforment la recherche archivistique en acte de réflexion collective. En recomposant des fragments, la performance invite le public à réfléchir aux défis de l’étude d’archives isolées et à raviver leur potentiel politique. Dans un voyage à travers des récits fragmentaires et des luttes oubliées, Turajlić éveille notre curiosité et nous invite à repenser les rêves non réalisés d’un monde décolonisé et leur pertinence actuelle.

"Une histoire orale dans le meilleur sens du terme." - Kester Freriks, 2022, Theaterkrant

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Faire parler les archives des non-alignés

Mila Turajlić a passé des années à fouiller les archives cinématographiques yougoslaves, travaillant en collaboration avec Stevan Labudović, caméraman du président yougoslave Tito. Les images de Labudović, longtemps oubliées et ignorées en Occident, montrent les déplacements du maréchal en Afrique et en Asie à l’époque bouleversante de la naissance du mouvement des non-alignés. Le travail de Mila Turajlić nous plonge au cœur d’une bataille épique d’images, nous confrontant à la mémoire décoloniale d’une époque où le cinéma donnait la parole à un monde en pleine mutation.

En superposant ces images ressurgies du passé à des histoires orales, des enregistrements sonores et des archives personnelles, Mila Turajlić relève le défi de donner une voix à ces projets politiques.

Les archives Labudović

Des bobines de films dorment sur les étagères des archives de la Filmske Novosti à Belgrade, ancienne capitale de la Yougoslavie. Elles regorgent d’images oubliées de liesses populaires, de sommets politiques, et parfois de luttes armées anticoloniales. Mila Turajlić les exhume une à une et part à la rencontre de celui qui les a filmées : Stevan Labudović. À partir de 1954, de Belgrade à Alger en passant par New York, ce filmeur passionné a capté sur pellicule, pour le compte de Tito et de la Yougoslavie, les combats anti-impérialistes et l’opposition à l’idée d’un monde bipolaire partagé entre l’Est et l’Ouest.

Ces images racontent l’émergence du « Tiers-Monde » sur la scène internationale et d’une utopie politique : le mouvement des non-alignés. Une époque où l’on croyait que le cinéma pouvait écrire l’histoire. La 1re étape du projet de Mila Turajlić a consisté en la production d’un diptyque de films documentaires basé sur les bobines de Stevan Labudović, Non-alignés: Scènes des archives Labudović et Scènes des archives Labudović : Ciné-Guérillas (2022). Par la suite, le projet a été diffusé sous diverses formes : des installations vidéo, des ateliers de projections muettes, des performances… Le processus évolutif de cette recherche est documenté et rendu accessible au public via la plateforme en ligne nonalignednewsreels.com.

Le mouvement des non-alignés

Fondé en 1961 lors de la conférence de Belgrade dans l’esprit et la continuité de la conférence de Bandung de 1955, le mouvement des non-alignés a regroupé les pays qui ne souhaitaient pas s’inscrire dans la logique d’affrontement Est-Ouest, mais au contraire favoriser l’indépendance effective des pays du Sud dans le cadre de la décolonisation.

25 pays d’Asie, d’Afrique et du Proche-Orient ont participé à sa création, ainsi que la Yougoslavie.

En 2016, 120 pays en sont membres, et si son influence politique a décru après la fin de la Guerre froide, ce mouvement continue encore de jouer un rôle important. De nouvelles mouvances, dans le sillage du mouvement altermondialiste, s’inspirent de ses principes et des luttes qu’il a incarnées pour prôner une mondialisation plus conforme à l’intérêt des pays du Sud.

Entretien avec Mila Turajlić

Selon vous, qu’est-ce qu’une archive ?

L’archive, c’est de la mémoire, de l’identité. C’est le vecteur d’une pensée. Il existe dans mon pays une volonté de gommer l’Histoire. Les rues sont débaptisées, des bâtiments rasés… Pour moi, travailler avec les archives devient un geste de résistance contre l’effacement. Mon travail même est une archive qui permettra, je l’espère, à ma génération et aux générations successives de se souvenir d’elles-mêmes.

En quoi les images d’archives de Stevan Labudović sont-elles particulières ?

Parce qu’elles flottent dans l’Histoire. La Yougoslavie n’existe plus. Le socialisme n’existe plus. Elles sont doublement orphelines, au sens idéologique et politique. Elles ont perdu leur nord comme les Yougoslaves après l’effondrement de leur République.

Pour quelles raisons Stevan Labudović a-t-il filmé la guerre d’Algérie ?

À l’époque, l’objectif était de créer un documentaire sur l’Armée de Libération Nationale pour le diffuser à l’international et surtout le montrer à l’ONU dans le cadre d’une lutte diplomatique et politique en faveur des non-alignés. Il s’agissait aussi de documenter comment la lutte s’organise et étudier les techniques de guérilla.

Un travail de propagande ?

De contre-propagande. Stevan Labudović se voyait comme un combattant. Pour ma part, j’ai justement cherché à interroger ce statut de l’image, créée comme vecteur d’une lutte politique.

Qu’est-ce que votre collaboration avec Stevan Labudović vous a apporté ?

Je me suis retrouvée dans une situation assez extraordinaire : pouvoir travailler des archives filmées avec l’homme qui a capté ces séquences. Sans lui, il serait très difficile de lire ces images orphelines. Il m’a également donné accès à une dimension intime et personnelle de la guerre d’Algérie. J’ai donc pu regarder ces archives à travers les yeux et l’engagement de l’homme qui filme.

Quelle position politique votre travail sur les archives Labudović occupe-t-il ?

Ce travail ne se situe ni dans un camp, ni dans l’autre. En me penchant particulièrement sur l’idéologie politique et militaire des pays non-alignés, j’ai surtout essayé de comprendre comment, comme eux, chercher une 3e voie. Ouvrir un espace critique entre 2 positions pour trouver une position indépendante.

La solidarité transnationale en politique et par le biais du cinéma apparaît comme l’une des dimensions clés du non-alignement. Comment comprenez-vous sa présence dans le cinéma contemporain, ainsi que dans votre propre pratique ?

Au début des années 2000, j’ai eu le sentiment qu’il se passait quelque chose dans le monde du documentaire, à savoir une recherche de formes de représentation du monde qui mèneraient à tisser des liens entre celles et ceux qui se situent politiquement à la périphérie, afin de créer ce que j’appelle une « parenté mondiale ». Je pense que c’est ce qui m’a donné envie d’entrer dans cet écosystème et de réaliser des films documentaires : il y avait un langage en construction, qui était un langage de compréhension, cette idée que nous pouvons montrer nos expériences vécues, que nous pouvons dégager les universalités de toutes ces expériences, et que ces films voyageront et construiront une sorte de compréhension globale.

Pour certains, Stevan Labudović restera toujours le « propagandiste du dictateur ». C’est normal, mais j’ai fait ce que j’ai pu pour que son héritage soit perpétué d’un point de vue différent. La profondeur des images filmiques de Stevan est telle qu’il est impossible que je puisse un jour réaliser une œuvre qui atteingne cette importance ou ce niveau. Ce fut donc pour moi une grande leçon d’humilité. Mais pouvoir faire voyager et vivre l’histoire et le travail de Stevan a été un immense cadeau et une énorme responsabilité.

Sources : la définition du Mouvement des Non-Alignés provient du Monde Diplomatique ; l’entretien avec Mila Turajlić a été réalisé par Francis Cossu en juillet 2023

Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Beursschouwburg
Textes, mise en scène et performance : Mila Turajlić | Direction artistique : Barbara Matijević
Production : Par avion et Théâtre National de Bretagne, Centre Dramatique National (Rennes – France) 
Performances à Bruxelles avec le soutien de l’Ambassade de France en Belgique et de l’Institut français à Paris dans le cadre de IF Incontournable

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