10 — 14.05
Dans un monde régi par l’ambition humaine et la technologie, la montagne, le désert et la mer demeurent des espaces sauvages échappant à toute domestication. Magec / the Desert repense notre rapport à la nature et révèle la sagesse des étendues arides. Du Sahara aux steppes d’Asie centrale, les déserts sont le berceau de mythes, de littérature et de savoirs ; des espaces de réflexion qui révèlent l’insignifiance humaine.
Radouan Mriziga chorégraphie le désert non comme un espace vide, mais comme une géographie du savoir, requérant de l’humilité et de la réciprocité, non de la domination. Il s’intéresse aux rythmes et écologies du désert et à ses systèmes de savoir, incarnés notamment par le cadran solaire, une mesure du temps par la lumière, l’ombre et la terre.
S’inspirant de l’artisanat, de la musique et des pratiques des peuples du désert, Mriziga sonde l’harmonie et l’interconnexion, et dévoile ce que ces vastes étendues arides ont à enseigner sur l’abondance. Il entremêle rythmes et textes, mouvement et son, dans une pratique collaborative qui génère une polyphonie de perspectives et – à l’instar des textures stratifiées du désert – résiste à la singularité. Une complexité sensorielle et intellectuelle, une invitation à se poser et à interagir avec l’intelligence de la nature.
Elias D’hollander – Magec / The Desert est le second volet de votre nouvelle trilogie. Quel est le lien avec Atlas / The Mountain, le premier volet ?
Radouan Mriziga – Les deux volets ont trait à la même recherche sur le paysage – la montagne, le désert et la mer – comme détenteur et producteur de savoir ; une recherche sur la manière d’interagir avec son environnement à l’aide de mots, de mouvements et d’esthétique. Les deux volets relèvent également du même choix artistique, celui de ba- ser le processus créatif sur le rythme. Dans Magec / The Desert, la DJ et productrice Deena jouera de la musique live et enregistrée, mais aussi avec le rythme créé par les danseur·euses. La spatialité de la performance fait égale- ment écho au paysage puisque, du haut des montagnes, nous descendons dans le désert, à mi-hauteur avec la mer.
En quoi le rythme du désert est-il différent de celui de la montagne ? Quels types de rythmes y avez-vous trouvés ?
Je ne dirais pas qu’il y a un rythme spécifique, mais oui, ils sont différents. Ce sont plutôt l’absorption ou l’écho du son qui définissent le rythme d’un paysage. Il s’agit en particulier de savoir si on entend l’eau, ou pas. La pièce s’inspire de déserts s’étendant de l’Atlantique à la Perse et à l’Inde. La musicalité de ces espaces a une qualité de sus- pension évidente qui diffère totalement de la musicalité, plus rapide, des montagnes. En raison de leur rapport différent au temps et à l’espace, ces paysages abritent notamment des animaux, des plantes, des actions humaines différents qui, tous, génèrent certains sons et certains rythmes. Les sons et les instruments qui servent à les reproduire diffèrent également.
Dans cette nouvelle trilogie, vous avez voulu aborder les paysages au travers d’une relation avec les animaux qui les habitent. Comment procédez-vous ?
Pour Magec / The Desert, tout le groupe a choisi des ani- maux avec lesquels chacun et chacune ressentait une rela- tion physique, spirituelle ou visuelle. C’est en puisant dans le désir de regarder à travers les yeux de ces animaux que nous construisons de la matière, des solos et un état corpo- rel. J’aime cette complexité. Il est impossible de connaître la perspective de l’animal, mais quelques éléments de base de son anatomie, et beaucoup d’imagination, suscitent une confiance dans cet espace opaque. Et nous savons que cela ajoute quelque chose à notre mouvement.
Vous vous intéressez également au cadran solaire, un élément que l’on peut très spécifiquement lier au désert. Comment cette idée vous est-elle venue ?
Certains déserts sont parmi les lieux les plus ensoleillés de la planète, ce qui soulève la question de la gestion des ombres. En premier lieu, l’ombre est un écosystème qui rend la vie possible. Mais l’interaction entre le soleil et l’ombre est aussi devenue un moyen de mesurer le temps. J’ai voulu ex- périmenter la présence du cadran solaire sur scène à l’aide de l’éclairage et de la scénographie. En raison de l’importance des changements de lumière dans le désert, on en prend davantage conscience qu’en ville. Même la différence entre la chaleur du jour et la fraîcheur de la nuit est physique. Le soleil dicte où marcher et où s’arrêter, et est relayé de nuit par la lune. Ces éléments ont toujours nourri l’imagination, la poé- sie et l’écriture issues du désert. En ce sens, les habitant·es du désert sont aussi celles et ceux du ciel, dans un rapport poétique. L’amplitude et l’ouverture du désert nécessitent d’établir un rapport avec le ciel pour définir l’espace sur la terre. C’est pour cette raison que j’aime l’écrivain Ibrahim El-Koni. Il dit que le désert est un espace spirituel. Les seules références qui y existent ne sont même pas « ici ».
J’imagine que cet « ici » est d’une qualité différente que la terre que nous arpentons en ville. L’instabilité du sable qui mène vers le liquide, ou vers l’air ?
Dans un sens, mais le désert est un mélange de pay- sages. Les couleurs sont très proches les unes des au- tres : il y a des dunes infinies, avec un enchaînement de variations qui en deviendrait presque méditatif. Et puis, soudain, surgissent des montagnes rocheuses avec une texture très différente. Ce qu’elles ont en commun, c’est le manque d’eau. La façon dont le désert flirte constam- ment avec la mort est sublime. Sans eau, il n’y a pas de vie. Encore une fois, c’est ce que dit Ibrahim El-Koni : le désert est un mirage entre la vie et la mort. L’organisation de la vie et du mouvement dans le désert relève de la magie.
Et pourtant, l’architecture des oasis apporte de l’eau au désert d’une façon tout aussi magique ?
C’est une question d’apparence, un concept que j’aime et sur lequel je travaille depuis un certain temps. On arpente un lieu aride, rempli de sable et de montagnes rocheuses. Et puis, soudain, voilà une petite plante verte. Et on ne sait pas si c’est réel ou si c’est un mirage. C’est magnifique de voir la puissance de la vie et de l’écosystème. Le tout petit geste de cette plante très fragile au milieu d’un endroit qui, je pense, est aussi une essence de la vie.
Quel rapport entretenez-vous, vous et les perfor- meur·euses, avec le désert ? Je suis issu d’une culture amazighe, influencée non seulement par l’histoire et la culture arabes, mais aussi par la culture subsaharienne qui a traversé le désert pour ar- river jusqu’ici. Dans le Sahara, les Amazighs-Touaregs ont sauvegardé l’écriture de la langue amazighe. Il y a tellement de belles choses dans ce rapport au désert – ses animaux, ses paysages, la façon dont le désert a fait naître toutes ces civilisations. En ce sens, le désert est un gardien de la culture amazighe ; un espace d’échange de connaissances. Marrakech, par exemple, est une porte du désert. C’est là que les connaissances de l’Afrique subsaharienne sont par- venues jusqu’aux Touaregs et dans le désert d’Afrique du Nord, pour ensuite se répandre vers le nord. Nous – Sofiane, Bilal, Hichem, Feteh, Deena, Natan, Robin et moi-même – ne venons pas directement du désert, mais avons des liens culturels avec lui, de par notre origine ou une relation an- cestrale. Ainsi, dans l’imagination du groupe, il existe un espace où nous nous retrouvons dans le désert.
Conversation menée par Elias D’hollander en mars 2025 Traduit par Diane Van Hauwaert
Elias D’hollander est chercheur à l’université de Gand, où il est affilié au groupe de recherche Studies in Performing Arts and Media (S:PAM). Ses recherches portent sur les écologies de l’architecture et de la chorégraphie dans le travail des chorégraphes Ra- douan Mriziga, Anne Teresa De Keersmaeker et Trisha Brown, ainsi que dans les pratiques architecturales.
10.05
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- 16:00
- + aftertalk modéré par Guy Gypens (EN)
12.05
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13.05
- 20:00
14.05
- 19:00
Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Théâtre Varia
Concept, chorégraphie et scénographie : Radouan Mriziga | Créé avec et dansé par : Robin Haghi, Bilal El Had, Hichem Chebli, Feteh Khiari, Sofiane El Boukhari, Nathan Félix | Musique live et création sonore : Deena Abdelwahed | Vidéo : Senda Jebali | Création costumes : Salah Barka | Assistance création costumes : Rim Abbes | Recherches : Maïa Tellit Hawad | Textes : Kais Kekli aka VIPA | Direction technique : Zouheir Atbane | Directrice production : Emna Essoussi | Directeur de la compagnie : Cees Vossen
Production : A7LA5 | Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, Sharjah Art Foundation, Festival d'Automne à Paris, De Singel, Festival d’Avignon, PACT Zollverein, Culturescapes, Tanz im August/HAU Hebbel am Ufer
Avec le soutien de la Fondation Ammodo, de la Commission communautaire flamande (VGC), des Autorités flamandes et du Tax Shelter du Gouvernement fédéral belge | Remerciements à Destelheide et L’Art Rue - Festival Dream City
