16 — 18.05

Mette Ingvartsen Bruxelles

Delirious Night

danse — premiere

Cultuurcentrum De Factorij

Venue avec une chaise roulante à confirmer lors de la réservation en ligne ou via la billetterieAccessible pour des personnes en chaise roulante avec assistance | ⧖ 1h | €25 / €20

Alors qu’elle peut aussi se montrer menaçante et troublante, la nuit est collectivement célébrée comme un espace de plaisirs et de joie. Quelle est la nature de ce répit nocturne qui suspend temporairement les contraintes et obligations du quotidien ? Après The Dancing Public, la chorégraphe Mette Ingvartsen – invitée pour la première fois au festival – poursuit sa recherche sur les manies dansantes dans l’histoire.

Dans cette création, neuf performeur·euses s’adonnent à une nuit extatique faite de danse et de musique, inspirée de la liberté anonyme des bals masqués, des carnavals sauvages et des fêtes décadentes. Leurs corps sont agités par des accès incontrôlables de danses contagieuses et engloutis dans un océan de sensations, tantôt luttant contre un fort courant, tantôt se laissant emporter par les vagues furieuses. Comment les excès et le lâcher-prise peuvent-ils pousser une foule à l’action ?

Ingvartsen attribue les excès du corps à la fatigue, au stress et à la surcharge émotionnelle engendrés par le désir actuel de transgression et de transcendance. Sur la musique live de Will Guthrie, les corps naviguent sans peine entre hédonisme et exorcisme, entre joie et tristesse, dans une envoûtante complicité. Une ode intense à la nuit libératrice.

"Quand Mette Ingvartsen entreprend quelque chose, elle veut tout en comprendre." - Mia Vaerman, 2023, the low countries

"L'énergie de Mette Ingvartsen est contagieuse, sa danse parfois agitée ou plus mesurée, démantelant surtout la sensualité et offrant à son corps une liberté pure." - Butterwort (à propos de The Dancing Public), 2022, Butterwort

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Manies dansantes en temps de crise 

Pouvez-vous nous retracer la genèse de Delirious Night? Quelles furent les forces motrices, les lignes directrices de cette nouvelle recherche?

Dans Delirious Night, nous explorons la nuit comme un espace dans lequel les règles sont suspendues et dans lequelles états émotionnels –souvent réprimés dans la vie quotidienne – peuvent trouver un mode d’expression. La chorégraphie s’inspire de l’idée que les affects et les émotions ne sont pas exclusivement les nôtres, mais nous façonnent aussi de manière collective. Il s’agit de quelque chose de communicatif qui a un effet non seulement individuel, mais également sociétal et politique.

La pièce s’inspire de récits et d’états physiques dérivés de ces événements historiques appelés des épidémies de danse, manies dansantes ou chorémanies –des moments lors desquels des corps se sont mis à danser dans l’espace public de manière inexplicable, excessive et souvent incontrôlable. On a établi le lien entre ces événements, observés dans les rues de l’Europe médiévale, à des moments de détresse extrême – inondations, disettes épidémies de peste, bouleversements politiques, etc., pour ne citer que quelques-unes des causes qu’en donnent les diverses interprétations historiques. Alors que les explications restent multiples et incertaines, ce qui m’intéresse personnellement, c’est ce que nous montrent ces épisodes de danse irrépressible quant à la façon dont les corps absorbent une crise et y réagissent sur le plan émotionnel. Un sujet que je trouve étrangement pertinent pour l’époque présente.

Nous vivons dans un monde de plus en plus déstabilisant, nous faisons face à des catastrophes environnementales, à de l’injustice sociale et à des remous politiques. J’ai le sentiment que nos corps sont de plus en plus susceptibles d’être affectés par ces conditions et incapables de résister à la pression qu’elles provoquent. Dans ce contexte, je m’intéresse à la manière dont la danse pourrait servir de remède, d’antidote spéculatif aux défis de notre époque, ou de moyen pour nous sortir de la misère émotionnelle.


Pour cette pièce, vous avez réuni une nouvelle équipe de danseur·euses. Comment avez-vous partagé vos recherches avec iels ?

Au départ, je voulais partager neuf manies dansantes historiques avec iels et structurer la pièce autour de neuf scènes différentes. L’une des références utilisées est la danse dite de Kolbeck, de 1021, un mythe selon lequel des gens auraient dansé jusqu’à en mourir après avoir été maudits à l’extérieur d’une église. Ce récit incarne aussi la résistance contre le pouvoir institutionnel dominant de l’époque, à savoir l’Église. Voilà qui en fait un cas intéressant à étudier aujourd’hui, alors que les formes de gouvernance étatique et de pouvoir économique sont plus diffuses et moins tangibles.

Lesdits «Bals des folles» qui se tenaient à La Salpêtrière, à Paris, dans les années 1880, sont une autre référence. Le Dr Charcot ne les a pas inventés, mais il a contribué à les populariser. Ces réunions permettaient aux patientes hystériques –souvent des femmes internées pour avoir été trop expressives, trop érotiques ou trop peu conformes – de danser à un bal où la bourgeoisie parisienne était également invitée pour socialiser avec ces personnes. Si je me suis intéressée aux activités de Charcot, c’est parce que dans l’une de ses publications, il a explicitement relié les crises d’hystérie de ses patientes aux manies dansantes du Moyen-Âge. Et parce que j’ai trouvé l’aspect performatif de son approche à la fois inquiétant et fascinant.

Pour Delirious Night, nous avons aussi étudié les danses des convulsionnaires du cimetière de Saint-Médard à Paris, où l’on croyait que la danse pouvait apporter une guérison miraculeuse. La tarentelle italienne constitue un autre exemple de danse maniaque censée guérir les effets d’une morsure d’araignée venimeuse. Apparemment, la personne mordue dansait, tandis que le reste de la communauté sou tenait ce processus de guérison en jouant de la musique. Ce faisant, une guérison individuelle et collective survenait. Cette idée de la danse en tant que force curative, que remède salutaire au niveau social, est devenue un élément essentiel de ma réflexion sur la pièce.


Vous avez invité le percussionniste Will Guthrie, avec lequel vous aviez déjà collaboré auparavant. Comment la musique a-t-elle influencé la pièce ?

Avec Will, nous avons articulé la recherche sonore autour de quatre moyens fondamentaux: la batterie, la danse, les claquements de mains et le chant – des activités dérivées des descriptions de diverses manies dansantes. La musique de Will explore les états extatiques et les structures rythmiques qui génèrent différentes réponses énergétiques chez les danseur·euses. Nous avons travaillé sur la danse «irrépressible», dans laquelle ses percussions interprétées sur scène se mêlent à de la musique électronique, ce qui engendre un dynamisme incessant. Lorsque cette danse imparable finit par épuiser les danseur·euses sur le plateau, leurs voix prennent le relais et tentent de créer une polyphonie vocale que l’on pourrait comparer à la sonorité d’une manifestation –une expression de résistance, mais peut-être aussi porteuse d’un certain degré de désespoir. Nous avons travaillé sur cette idée de la polyphonie et avons développé jusqu’à cinq différentes pistes vocales simultanées afin de
créer une expérience sonore à la fois chaotique et structurée.


Vous collaborez à nouveau avec l’éclairagiste Minna Tiikkainen. Comment avez-vous envisagé ensemble la scénographie de Delirious Night ?

Pour la scénographie, Minna et moi, nous sommes inspirées de la façon dont le théâtre était joué au Moyen-Âge: sur des chariots qui pouvaient se déplacer d’une place de village à l’autre. Cette idée de scène itinérante, une sorte de «théâtre pop-up», a influencé notre choix d’utiliser du matériel d’échafaudages urbains – des structures qui se montent, se démontent et se déplacent facilement, à l’instar des chariots du théâtre médiéval. Ce matériel évoque en outre les espaces transitoires qu’on utilise de nos jours pour des rassemblements, tels que des fêtes technos dans des forêts ou des prairies. Un autre élément central de la scène est l’arbre de mai, traditionnellement le point focal autour duquel se concentraient des danses collectives. Au lieu des guirlandes habituelles qui s’étendent à partir de l’arbre ou du mât pour créer des danses complexes, nous avons imaginé des lignes lumineuses qui rayonnent vers l’extérieur, renforçant ainsi l’idée d’un espace qui rassemble les gens –une sorte de toit ou d’auvent sous lequel on se réunit pour danser. Minna poursuit la conception de l’éclairage, et travaille aux couleurs, aux atmosphères et à l’intensité afin de donner à l’expérience la puissance d’un rituel ou d’un rassemblement collectif.


Comment avez-vous abordé le travail avec les masques pour cette pièce?

J’ai collaboré avec Jennifer Defays, qui a créé bon nombre des masques de toutes pièces, mais qui a aussi adapté et modifié des masques existants. Pour moi, les masques ont différentes significations dans la société d’aujourd’hui. J’y vois d’une part un lien avec l’anonymat et les stratégies visant à éviter la surveillance, la possibilité de se déplacer sans être vu·e ou reconnu·e dans un monde où la reconnaissance faciale est constante et omniprésente. D’autre part, ils font partie de la culture urbaine : des musiciens et des artistes en font usage pour détourner l’attention de leur identité individuelle. De même que lors de manifestations où les gens se camouflent pour se protéger et rester anonymes. Dans Delirious Night, j’utilise de surcroît des masques en vue d’éviter l’hyperindividualisme lié au capitalisme contemporain et aux pressions exercées par l’exposition personnelle dans les réseaux sociaux. En couvrant le visage, les masques nous permettent, en tant qu’artistes, de nous défaire de nos identités individuelles et de faire partie d’un ensemble plus grand, et aussi de faire
prendre au collectif le dessus sur l’individuel. La plupart de mes créations portent sur la manière de penser différemment la collectivité, et ce spectacle recherche en particulier un type de collectivité polyphonique, où il y a de la latitude pour de multiples voix et pour des dissonances.

Qui plus est, le fait de porter un masque est tout simplement libérateur –il permet l’expérimentation au sein de la pièce et le travail avec des états vertigineux, délirants et contagieux, j’espère.

 

 

  • Interview réalisée par Wilson Le Personnic,le 15 mars 2025.
  • Traduite par Isabelle Grynberg.

 

Wilson Le Personnic est rédacteur indépendant. Il écrit pour des journaux et des théâtres et a fondé en 2014 le site maculture.fr, qu’il a dirigé jusqu’en 2024.

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Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Kaaitheater, Cultuurcentrum De Factorij
Concept et chorégraphie : Mette Ingvartsen Ingvartsen | Avec : Dolores Hulan, Júlia Rúbies Subirós, Fouad Nafili, Jayson Batut, Mariana Miranda, Olivier Muller, Zoé Lakhnati, Thomas Bîrzan, Elisha Mercelina | Musique live et composition : Will Guthrie | Création lumières : Minna Tiikkainen | Dramaturgie : Bojana Cvejić | Costumes : Jennifer Defays | Textes et paroles : Mette Ingvartsen, GRLwood, Sari et Romy Lightman | Directeur technique : Hans Meijer | Ingénierie sonore : Milan Van Doren | Technicien lumière : Bennert Vancottem | Techniciens en tournée : Jan-Simon De Lille, Filip Vilhemsson | Responsable de production : Oihana Azpillaga Camio | Administration : Joey Ng | Communication : Jeroen Goffings | Management : Ruth Collier
Production : Great Investment | Coproduction : Kunstenfestivaldesarts, Kaaitheater, Kunstencentrum VIERNULVIER, Charleroi danse, Le Lieu Unique, Cndc Angers, PACT Zollverein, Theater Rotterdam, La Comédie de Clermont-Ferrand, Théâtre National de Bretagne, Le Quartz, Festival Madrid en Danza, Perpodium, Festival d’Avignon
Résidences : Charleroi danse, Rosas, Le Lieu Unique, P.A.R.T.S. 
Avec le soutien de la Fondation Ammodo et de la Fondation d’entreprise Hermès 
Great Investment est soutenu par les Autorités flamandes, la Commission communautaire flamande (VGC), le Tax Shelter du Gouvernement fédéral belge et le Conseil danois des arts

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