05.05, 06.05, 08.05, 09.05.2018

El Conde de Torrefiel Barcelone

LA PLAZA

théâtre — premiere

Kaaitheater

Espagnol → NL, FR | ⧖ ±1h30 | € 18 / € 15 (-25/65+) | Rencontrez les artistes après la représentation du 6/05

Viscéral, brillant, décalé, le théâtre d’El Conde de Torrefiel est sans conteste une des grandes révélations de ces dernières années. Depuis maintenant trois éditions, le collectif barcelonais a conquis le public du festival avec un dispositif scénique au potentiel plastique et philosophique impressionnant. Ses pièces déroulent une succession de tableaux vivants au-dessus desquels défile un texte d’une lucidité redoutable. De cet écart entre image et sens surgit la violence souterraine de nos modes de vie contemporains. Dans leur nouvelle création, présentée en première mondiale au Kunstenfestivaldesarts, El Conde de Torrefiel envisage le plateau comme une place publique où s’enchaînent des évènements imprévisibles : le « futur ». LA PLAZA propose alors un voyage vertigineux entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, à travers un espace-temps qui met à l’épreuve les lois de la physique et nous permet de regarder notre époque depuis une autre dimension. Un mouvement cosmique et spéculatif profondément troublant et, sans hésiter, un des temps forts du festival !

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Textes par Pablo Gisbert (El Conde de Torrefiel) sont disponibles en français auprès de Actualités Editions: Pablo Gisbert, La possibilité qui disparaît face au paysage suivi de Guérilla, traduits de l’espagnol par Marion Cousin

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Outre un pur besoin personnel de vous exprimer, quelles sont vos intentions quand vous créez un objet artistique destiné à un public varié, et dans votre cas international ? Avez-vous quelqu’un de particulier en tête, comme le recommande Stephen King, qui affirme qu’on ne peut pas plaire à tout le monde, et qu’il écrit donc en ne pensant qu’à sa première lectrice, son épouse ?

Tanya Beyeler C’est en effet ce qui est en train d’arriver. Au début, quand nous avons commencé à faire des pièces, nous pensions beaucoup au public, ce qui est de moins en moins le cas à présent. Ce n’est pas de l’indifférence, je ne peux pas le contrôler, c’est tout. Une fois qu’on a compris ça, on ne se préoccupe plus autant de l’avis du public. La seule chose importante, c’est d’établir une communication. Même si je m’efforce à ce que tout ce qui a été fait et dit soit parfaitement compris, chacun le ressent, le reçoit et l’analyse ensuite de façon différente. Je n’ai aucune emprise là-dessus. 

Quelle est votre intention quand vous créez quelque chose que vous allez partager ? Sur quoi travaillez-vous en ce moment ? Dans quel but ? 

TB Pour l’instant, c’est encore le chaos. Pour moi, il s’agit surtout de l’idée du futur comme présent. Le futur se décide maintenant. Quelles sont les conséquences de l’état actuel des choses ? Avoir une vision sur le long terme, penser en termes de transmission, de planification. Moins dans un présent individuel que là où tout ceci nous amène, quelles sont les conséquences de tout ce qui se passe ? Il y a un environnement bizarre, tendu ; où nous mène-t-il ? Qui planifie notre avenir ? Le futur n’existe pas dans le présent. Ce n’est pas quelque chose d’utopique, mais quelque chose qui se planifie, maintenant. Il y a des choses qui se préparent en ce moment, en sommes-nous conscients ? 

Depuis le cycle qui avait semblé prendre fin avec GUERRILLA, où vous étiez parvenus à affiner vos outils à merveille, êtes-vous à la recherche de ce qui ne fonctionne pas, comme m’en avait fait part Pablo il y a quelques mois ?

TB Nous cherchons d’autres formes. Nous sommes dans un processus où nous avons l’impression de partir de zéro. Cela correspond aussi à la vitalité que nous ressentons. Nous passons un peu d’une planification familiale à une planification créative. Il y a une manière de penser beaucoup plus avancée, une forme planifiée. Nous ne pouvons pas ne pas le faire. 

Pablo Gisbert Il s’agit aussi beaucoup de la confiance que nous avons dans les autres. L’idée de réunir des gens et de travailler avec eux, même le simple fait de les choisir, est une forme de création puisque je ne choisis pas n’importe qui, mais dix personnes avec lesquelles je veux travailler, et de ce fait, je les sépare du reste du monde : « Vous dix, on va travailler ensemble. » La confiance envers les autres artistes, pour moi, c’est libérateur. L’idée de pouvoir vraiment compter sur la créativité des autres est un pas de géant. La confiance en est renforcée. Les pièces que nous avons présentées à l’Arts Santa Mònica et au Festival SÂLMON< de Barcelone, ils les ont écrites de A à Z. Et, pour moi qui suis écrivain, il s’agit de faire confiance à la créativité du cerveau de l’autre.

Comparé à GUERRILLA, où ils étaient témoins d’une violence extrême, certains ont trouvé dans Las historias naturales (pièce à l’origine de LA PLAZA) une violence latente. Votre discours n’est-il pas en train de se radicaliser ?

TB Personnellement, chaque minute, le monde et mon entourage me provoquent. À cause de ça, je n’arrête pas de me poser des questions. C’est mon problème, chacun a le sien, mais moi, je le vis comme une provocation. Les gens, les commentaires, les opinions, des provocations. Je me sens agressée et brusquée. À un moment donné de la pièce, on parle d’Andy Warhol et de sa démarche créative consistant à observer le monde et le restituer tel qu’il est. Cette agressivité que je perçois et reçois, cette provocation continue des autres, cela m’affecte. Et je la restitue telle quelle. Il existe une tendance du mur Facebook, où chaque personne et commentaire va dans mon sens. Mais le monde n’est pas comme ça. Face à tout ça, comment nous positionnons-nous ? Je me bats en permanence avec d’autres réalités, et c’est ce qui me construit en tant que personne, bien plus que tout ce que je pense, ce que je suis et ce que je crée. Dans le fond, je suis à 90 % le résultat de ces autres réalités, additionnées à mes minuscules volontés, convictions. 

PG Quand Warhol te présente un hamburger, une canette de Coca-Cola ou Marilyn Monroe, il te donne ce que tu désires. Il te jette un objet au visage, et en le simplifiant et le réduisant, il te dit : regarde, voilà ce que tu veux. Nous vivons tous autour de ce hamburger, de Marilyn Monroe à son époque, aujourd’hui c’est plutôt Kim Kardashian, de ces icônes que nous désirons, tous, tout le temps. Ce qui me fait rire depuis quelque temps, c’est de constater que nous tous, qui vivons dans ce monde occidental qui fuit le communisme, sommes en fait communistes. Nous écoutons tous la même musique, portons les mêmes marques, mangeons la même nourriture, parlons des mêmes livres, vivons dans les mêmes villes, avons les mêmes thèmes de conversation, les mêmes discours, les mêmes films… Nous sommes ultra-communistes. Aussi néolibéraux que communistes, ultra-communistes. Mais par le biais du capitalisme. C’est quelque chose de très très bizarre. La vie nous apprend qu’on ne peut pas tout réduire à un présent. Il faut lever les yeux, s’élever un peu au-dessus du moment présent. Grâce à ça, on voit la vie familiale, professionnelle, de couple et artistique non comme un aujourd’hui, mais comme une courbe dans le temps. Dans notre monde, celui de la création artistique, je me suis mis récemment à voir les pièces comme un tout. On voit ce que pensait l’artiste en 2016, quand il fait une nouvelle pièce en 2018. Et on comprend tout. C’est comme Rothko. Il a commencé par les couleurs, et quelques mois avant son suicide, il ne peignait plus que dans les noirs. Et toi, de là-haut, tu vois comment un artiste en arrive à se suicider grâce à son oeuvre, qui a commencé en couleurs et a évolué vers des tons violets, sombres, et juste avant la fin, noirs. Des tableaux noirs et il se tue. Finalement, l’art n’est rien de plus qu’une volonté émotionnelle, ultra-émotive, de comprendre quelqu’un d’autre. Il n’est en rien intellectuel, il est émotion.

 

Vous devez maintenant préparer la première de LA PLAZA. Vous en êtes à votre quatrième saison de M.C. D’ailleurs, que signifie M.C. ?

TB M.C., c’est le projet. Tout comme GUERRILLA, qui a commencé par une conférence au Espai Nyamnyam à Barcelone pour arriver à l’oeuvre présentée au Kunstenfestivaldesarts en 2016, nous venons de lancer M.C., dont nous avons fait une première ébauche à Athènes, puis au musée Reina Sofía en mai, à l’Arts Santa Mònica et aujourd’hui au SÂLMON<. Cette façon d’avancer pas à pas, c’est notre processus artistique. Maintenant, nous avons une première avec une tournée, des coproducteurs, et nous devons participer à ces dynamiques. Mais cela ne veut pas dire que nous passons directement à ce stade, nous faisons d’abord des recherches et nous nous permettons ces extraits que nous présentons au public. LA PLAZA nous renvoie encore à cette idée d’espace public, où l’on aborde des thèmes et où l’on est confronté à toutes les contradictions propres au public. D’où ce titre. C’est aussi pourquoi nous traitons des sujets qui, dans le fond, parlent à chacun d’entre nous, sous des angles différents. Chacun aura sa propre opinion et le vivra à sa manière. Ça, nous ne pouvons pas le contrôler. Et c’est ce que nous souhaitons évoquer. Nous voulons que notre scène ressemble à une place, un espace où l’on présente, rend public, expose quelque chose.

Quelque chose à ajouter à cet entretien ?

PG Hier, à trois heures et demie du matin, j’étais dans une voiture avec un ami, quand il a prononcé cette phrase qui m’a semblée tellement vraie : “au sujet de l’indépendance de la Catalogne, je suis capable de changer trois fois d’avis dans la même journée”. La vague d’émotion, de perception, le chaos sont tels que tu n’arrives pas à prendre position. Et tu te retrouves à changer d’avis trois fois le même jour, suivant, dans l’endroit où tu vis, la personne à qui tu parles, le bar où tu vas prendre ton café, la personne qui te vend ton journal, les amis avec qui tu fumes le cigare, avec qui tu bois une bière ; tu changes d’avis tout le temps. C’est de la pure schizophrénie. Je pense que LA PLAZA tranche avec tout ce que nous avons fait jusqu’à présent, car je ne suis pas d’accord avec ce que nous allons écrire. Je me déresponsabilise. Tout ce que je peux écrire, je peux également le nier. Et cela me semble libérateur. Les artistes ne sont ni des hommes politiques ni des curés. Nous ne devons endoctriner personne. Nous ne connaissons aucune vérité. De tous les métiers du monde, nous sommes les seuls capables d’affirmer que ce que nous faisons est un mensonge. Aucun homme politique ne dit : je mens. Aucun curé ne dit à la messe : Dieu est un mensonge. Les artistes peuvent le faire et c’est libérateur. LA PLAZA sera une pièce où je me déresponsabiliserai de tous les thèmes abordés, comme si nous étions chacune des personnes que nous voyons maintenant. Bars, ambiances, classes sociales, ethnies, langues… Ils parlent tous de façon différente. L’art est-il un jeu ? Vous le voyez aussi comme un jeu dont vous vous déresponsabilisez ? 

TB Bien sûr que non. Il est affaire de goût personnel. J’ai envie de voir quelque chose et je le fais. Ça plaira à certaines personnes et pas à d’autres. Mais, bien entendu, il s’agit de mon propre jeu, pour moi. Parce qu’au bout du compte, c’est nous qui travaillons des heures dessus, donc nous ne pouvons pas penser seulement à son destinataire. Il faut que ce soit un plaisir pour nous, quelque chose qui nous amuse, que nous aimons. Et, bien sûr, chacun est libre ensuite de bien ou mal le recevoir. 

PG Il faut comprendre que toute forme artistique, tout ce que l’êtrehumain crée, qu’il s’agisse d’art, de musique ou de religion, est une expérience esthétique. La communion, n’est-ce pas un plaisir esthétique ? Chansons, textes, lumières, odeurs, costumes, répétitions, poésie, le ciel et l’enfer, l’amour… Tout cela n’est-il pas en soi un plaisir esthétique ? Qu’est-ce qui n’en est pas un ? Un match de football avec ses hymnes, chansons, couleurs, dynamiques, vêtements, lumières, chorégraphies, est un plaisir esthétique. Les personnes cherchent à s’évader de leur corps, car il ne leur suffit pas. Le football, l’art, la religion, c’est du pareil au même. Il s’agit de trouver des dieux partout, et surtout, nous voulons sortir de nous-mêmes, nous élever que ce soit grâce au football, à l’art ou à la religion, parce que nous ne supportons pas notre simplicité. 

TB J’aimerais ajouter quelque chose. Tout le monde ne jure que par le concept de liberté d’expression. Mais on peut le regarder à 360 degrés, et la liberté d’expression, c’est pouvoir dire n’importe quoi, y compris des choses qu’il ne faut pas ou nuisant au bien commun. La place est ce lieu de bavardage. Nous avons tous la liberté de dire ce que nous voulons, mais parfois nous le faisons sans réellement penser aux conséquences, sans anticipation, et il s’agit vraiment d’énormités. La liberté d’expression permet également ceci : proférer des énormités. Et nous en sommes abreuvés. Qu’on regarde la télé, qu’on lise les journaux ou qu’on prête l’oreille dans la rue, on n’entend que ça. C’est ça aussi, la liberté d’expression. Qu’est-ce qu’on fait de tout ça ? Des concepts de démocratie, de liberté d’expression, de « tout est permis » ? Chacun est libre de faire ce qu’il veut. C’est comme la grande question de société : où commence ta liberté et finit la mienne, et vice-versa ? La liberté d’expression ne concerne pas que les bien-pensants, mais aussi des individus comme Trump et Le Pen qui tiennent les propos qu’on leur connaît et ont la liberté de le faire. Beaucoup de gens les soutiennent, et ils se sentent plus forts. Il est très réducteur de se limiter au bien-penser, au politiquement correct. Comment est le monde ? Je dois m’affranchir de mes limites et de mes croyances. Il faut essayer de s’approprier cette idée. Mon opinion personnelle, ce que je crois, ne signifie absolument rien, n’a aucun poids. Cela va bien plus loin. Je ne changerai pas le monde seule. Voilà. Je n’ai rien d’autre à dire.

Extrait de l’entretien accordé par El Conde de Torrefiel à Rubén Ramos Nogueira à Barcelone, publié le 22/02/18 sur TEATRON, site web consacré aux arts vivants.

Écrit & développé par El Conde de Torrefiel, en collaboration avec les performeurs
 

Mise en scène Tanya Beyeler & Pablo Gisbert
 

Textes Pablo Gisbert
 

Avec Gloria March Chulvi, Albert Pérez Hidalgo, Mónica Almirall Batet, Nicolas Carbajal, Amaranta Velarde, David Mallols & locals

Scénographie El Conde de Torrefiel & Blanca Añón 

Accessoires & costumes lanca Añón & performeurs
 

Création lumières Ana Rovira
 

Création sonore Adolfo Fernández García
 

Régisseur général Isaac Torres
 

Présentation Kunstenfestivaldesarts, Kaaitheater
 

Production Kunstenfestivaldesarts, El Conde de Torrefiel
 

Coproduction Alkantara & Maria Matos Teatro Municipal (Lisbonne), Black Box Teater (Oslo), Centre Georges Pompidou – Les Spectacles Vivants & Festival d’Automne à Paris, Festival GREC (Barcelone), Festival de Marseille, HAU Hebbel am Ufer (Berlin), Künstlerhaus Mousonturm Frankfurt am Main, FOG Triennale Milano Performing Arts, Vooruit (Gand), Wiener Festwochen (Vienne), Zürcher Theater Spektakel (Zurich)   

Avec le soutien de Zinnema (Bruxelles), Festival SÂLMON, Mercat de les Flors & El Graner – centre de creació (Barcelone), Fabra i Coats, centre de creació Barcelona 

Diffusion & tour manager Caravan Production 

Soustitres avec le soutien de ONDA 

Merci à Embassy of Spain in Belgium | Spain Arts & Culture Belgium
 

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