07.05, 08.05, 10 — 12.05.2005
Avec II, l'artiste performeur Kris Verdonck provoque une rencontre entre le théâtre et les arts plastiques. Il crée un parcours composé de cinq pièces, réparties dans les différents espaces des Kaaitheaterstudio's.
Cinq histoires qui racontent la vie et la mort. Certaines évoquent l'idée de l'Apocalypse, d'autres invitent les acteurs à prendre place dans les antichambres de l'inconscience. De l'action dramatique, il ne reste que l'essence : les comédiens se transforment en machines. Ils deviennent une nature morte, à la frontière entre l'homme et l'objet, fragilisés, dans les chambres froides de l'Unheimlichkeit ....
Une installation/performance en cinq parties
de Kris Verdonck
Les différentes formations qu'a suivies Kris Verdonck- arts visuels, architecture et théâtre - se retrouvent dans son travail : on peut situer ses créations à la frontière entre les arts plastiques et le théâtre, l'installation et la performance, la danse et l'architecture.
Suspendu dans l'atmosphère, comme gelé
Dans la pratique artistique actuelle, les mots « multidisciplinaire » et « mutli-média » s'emploient de manière récurrente, parfois à tort et à travers. Ce qui intéresse Kris Verdonck dans son travail, ce n'est pas tellement la juxtaposition de disciplines et de médias mais plutôt la rencontre de leurs essences souvent opposées, et la recherche de moments et de lieux où ces contradictions s'affrontent. Comme un surfer qui reste un instant au sommet de la vague. Au point où l'ascension vire à la chute. Suspendu dans l'atmosphère, comme gelé. Un des paradoxes fondamentaux que Kris Verdonck « met en scène » de manière constante et littérale est l'opposition entre, d'une part, la représentation et la reproductibilité technologiques et, d'autre part, le caractère unique de la présentation théâtrale, l'immédiateté de la performance vivante, la véracité de ce qui est montré et regardé.
L'art est aujourd'hui un des domaines dans la société où l'on cherche avidement un nouveau rapport à la technologie, qui détermine et oriente de plus en plus notre vie quotidienne. Dans son travail, Kris Verdonck ne veut pas seulement utiliser les nouvelles technologies et les médias dans un contexte théâtral - ce qu'impose trop souvent la mode actuelle - mais il fait du problème de l'impact grandissant de la technologie sur la vie quotidienne le sujet même de sa pratique. Cet impact va d'ailleurs largement au-delà de l'utilité et du confort mais touche à des questions existentielles de la condition humaine, comme la quête du sens de la vie et du monde.
Coupé d'une réalité familière
Quelle relation l'homme peut-il, veut-il ou doit-il entretenir avec la machine, le robot, la technologie ? A chaque interaction que l'homme crée avec la machine, il se défait d'une partie de son contrôle sur la situation, la pratique, l'événement. Cette relation de confiance met en péril le libre-arbitre de l'homme. Cette soumission à la machine connaît toute une série de gradations : cela va de la dépendance au GSM dont on ne peut plus se passer, à la dépendance vitale d'une personne reliée à un appareil de respiration artificielle. Quel qu'en soit le degré, cette relation de dépendance vis-à-vis de la machine contient toujours, de manière latente ou visible, une forme de panique. La panique naît d'une situation où le familier disparaît, où l'on n'a plus de repères, où l'on ne sait plus ce qui se passe dans son corps et/ou dans son esprit, où l'on est livré à l'inconnu. De là l'atmosphère d'« Unheimlichkeit » qui caractérise le travail de Kris Verdonck. Le mot « unheimlich » - c'est Freud qui mit en évidence ce sentiment - se traduit difficilement : étrange, incompréhensible, mystérieux, angoissant, lié à des forces surnaturelles. Un-heim-lich signifie littéralement : celui qui n'a pas de maison, qui n'a sa place nulle part. Qui est coupé d'une réalité familière.
La relation de l'homme à la machine a été plusieurs fois, au cours de l'histoire, comparée à sa relation avec Dieu. L'essence divine consiste, en effet, dans le contrôle sur toute chose, l'omnipotence. L'homme, en tant qu'être imparfait, imprévisible, incontrôlable et mortel aspire au domaine du parfait, du contrôlable, de l'immortel. Il désire le mécanique : il veut fabriquer le robot ou être le robot pour échapper à son imperfection et à sa mortalité.
Les acteurs, les personnages de Kris Verdonck se situent dans l'œil du cyclone de ce désir. Ils opèrent la transition entre l'homme et la machine. Ce sont des « presque-cyborgs ». Mais leur tragédie réside justement dans ce « presque ». Ce sont des créatures hybrides, en pleine transition et souffrant de n'être ni l'un ni l'autre.
Homme = machine
Peut-on vraiment présenter sur la scène des images futuristes « désincarnées » ? Peut-on montrer des personnages dont la fonction est assumée par un objet ? Voilà entre autres les questions que se pose Kris Verdonck. Dans des installations précédentes, cette question était envisagée dans deux perspectives : l'homme qui devient machine et la machine qui devient humaine.
Dans Dancer # 1 par exemple, une molette présente un comportement incontrôlé - et par conséquent humain ? - dû à un excès d'énergie. Dans un certain sens, la chose acquiert une âme : elle devient un danseur qui danse à en crever, une machine qui meurt. Dans In les acteurs restent dans un aquarium pendant une heure ; le bruit de leur respiration et de leurs battements de coeur est accentué. Ils se retrouvent dans la situation d'un objet « noyé » ; une sorte d'ivresse hypnotique s'empare d'eux, un désir de ne plus être (actif), de s'abandonner aux événements.
Dans Heart, une femme, chaque fois que son cœur émet 500 battements, est projetée contre un mur par un fil relié à son corps. Une échographie agrandie de son coeur est visible à l'écran. A cause de la tension qu'elle subit, il lui est évidemment impossible de contrôler ses battements de coeur : elle doit se livrer à la machine de son propre coeur, au moment sublime et imprévisible où le fil reçoit une secousse et où elle est projetée contre le mur. Et ainsi de suite.
Les personnages que Kris Verdonck met en scène se trouvent dans un état de solitude complète : un profond isolement où ils sont seuls avec leur tête. Un flot de pensées se libère et s'amplifie de manière ininterrompue. Parallèlement à ces flots de pensées, Kris Verdonck utilise souvent du texte dans ses installations et ses performances, élément qui renvoie une fois de plus à un contexte théâtral. Il s'agit le plus souvent de textes d'auteurs solitaires et rebelles comme Samuel Beckett, Rainald Goetz ou Heiner Müller.
II
Dans II, créé pour le KunstenFESTIVALdesArts, Kris Verdonck rassemble aux Kaaitheaterstudio's cinq « moments ou situations » : deux installations (événements sans présence humaine) et trois performances (événements avec présence humaine).
Box est une installation : dans un cube en verre se trouve la source lumineuse la plus puissante qui soit techniquement possible sur une si petite surface ; le projet a été élaboré avec les ingénieurs de Philips Lighting (Turnhout). Les spectateurs, pourvus de lunettes noires protectrices, sont conduits dans l'espace. Pendant qu'ils regardent la lumière, ils entendent la voix de l'acteur Johan Leysen qui récite les textes apocalyptiques Verkommenes Ufer et Landschaft mit Argonauten de Heiner Müller. La lumière qui, d'habitude, nous fait voir, nous rend ici aveugle. Cela pourrait être l'éclair d'une explosion atomique, un éclair éblouissant et ininterrompu qui annonce la fin du monde.
Man est une performance : un danseur porte une sorte de casque sur la tête qui empêche toute impression visuelle de l'atteindre. Sur le casque est montée une petite caméra. Via le système digital « The vOICe » l'homme entend un flot constant de bruits. « The vOICe » a été conçu par des ingénieurs hollandais pour permettre aux aveugles de « voir » : les impulsions visuelles enregistrées par la caméra sont converties en données auditives. L'homme doit déchiffrer ces données auditives pour pouvoir se déplacer dans le monde. Sa « privation sensorielle » se transforme et il se retrouve « presque noyé » dans un excès d'impulsions inconnues où il doit littéralement se frayer un chemin.
Dans Patent Human Energy une femme est couchée sur le dos, comme un fakir, sur un lit muni de longues barres en fer ; des barres sont également fixées au-dessus d'elle. Aux extrémités des barres, là où elles touchent son corps, sont attachés de petits microphones. Ceux-ci enregistrent tous les signaux (bruits, température,...) qui proviennent de son corps et les convertissent en impulsions que nous, spectateurs, pouvons percevoir avec nos sens. Le titre Patent Human Energy fait référence au brevet du même nom qui fut déposé en juin 2004 par l'entreprise américaine Microsoft. Le brevet concernait une méthode et un appareil, développés par eux, permettant d'utiliser la force et les impulsions du corps humain comme une sorte de clavier d'où certain appareils, par exemple un GSM ou une montre-bracelet, peuvent puiser leur énergie.
Rain est une installation. Du plafond, à partir d'une vingtaine de points différents, tombent des gouttes brûlantes à intervalles irréguliers. On dirait des petits lampions ou des lucioles qui tombent et s'éteignent. Comme dans Box, cette pluie de feu renvoie à l'image de l'Apocalypse où le monde se disloque et où se produisent des phénomènes « unheimlich » sur lesquels l'homme n'a plus de prise.
Enfin, dans Duet, deux danseurs sont suspendus en l'air à une sorte de grue. La machine décrit de lents mouvements circulaires. L'homme et la femme sont attachés à la machine de telle manière qu'ils doivent s'enlacer, se soutenir, s'aider comme deux danseurs dans un pas de deux classique. La machine tournant sur elle-même, l'attraction des deux corps par la pesanteur est sujette à des changements constants. Les deux personnages doivent s'en remettre à eux-mêmes et à la machine pour garder l'équilibre.
Ces cinq installations/performances se déroulent à différents endroits aux Kaaitheatherstudio's. Le spectateur suit, avec l'aide d'un guide, un parcours dans le bâtiment. Ses sens sont également mis à l'épreuve ; ainsi, l'excès d'impressions (visuelles dans Box, auditives dans Man) le prive de ses capacités normales. Tantôt, il participe activement à l'événement, tantôt, il reste spectateur. Dans son « travail », le spectateur devra choisir entre « s'abandonner » et « essayer d'examiner/de comprendre ». Il est invité à définir tout seul ses points de référence. Dans ce sens, II évolue précisément dans la zone de transit entre le théâtre et les arts plastiques.
Avec:
Carl Vermeersch, Sandy Williams, Karolina Wolkowiecka, Sanne Wutzke
Dramaturgie:
Marianne Van Kerkhoven
Direction technique:
Raphaël Rubbens
Ingénieur son:
Bart Aga
Box:
Construction:
Plasma Magma
Voix:
Johan Leysen
Merci à:
De Warande & Philips Lighting Turnhout, Ir. Leo Mariën, Danny Vandeput
Man:
Avec:
Sandy Williams
Construction:
Raphaël Rubbens
Création lumières:
Luc Schaltin
Costumes:
Ann Weckx
Merci à:
Jean-Luc Ducourt
Patent Human Energy:
Avec:
Karolina Wolkowiecka
Création lumières:
Luc Schaltin
Costumes:
Ann Weckx
Merci à:
Espeel Roeselare, Kathleen Mertens
Rain:
Construction:
Marc Depauw
Duet:
Avec:
Carl Vermeersch, Sanne Wutzke
Création décor:
Raphaël Rubbens, Hans Luyten
Construction:
Plasma Magma
Musique:
Bart Aga
Création lumières:
Luc Schaltin
Costumes:
Ann Weckx
Merci à:
Hoger Instituut Dans / Hogeschool Antwerpen, Cathy Weybers
Production:
stilllab vzw
Coproduction:
Kaaitheater (Bruxelles/Brussel), Festival La Bâtie (Genève), KunstenFESTIVALdesArts
Producteur exécutif:
Margarita Production
Avec le soutien de:
Ministerie van de Vlaamse Gemeenschap, Vlaamse Gemeenschapscommissie van het Brussels Hoofdstedelijk Gewest
Merci à:
iMAL, Toneelhuis, x-med-k
Présentation:
Kaaitheater, KunstenFESTIVALdesArts

