20 — 24.05.2025
Saodat Ismailova Tachkent-Paris
Arslanbob: The Healing Forest
performance / cinéma augmenté — premiere
⧖ 1h | €18 / €15 | Debout, promenade en forêt de ±30min | Nombre de places limité
Arslanbob: The Healing Forest invite à la découverte immersive d’une forêt de noyers ancestrale du Kirghizistan, réputée la plus ancienne au monde. Entourée de mythes et d’histoires, elle est connue pour ses effets hallucinogènes, causés par le gaz carbonique et un composé chimique produits par les noyers. L’armée blessée et exsangue d’Alexandre le Grand y aurait trouvé un salut inespéré, ses corps et âmes guéris dans leur sommeil par la forêt mystique.
Un récit imagé par deux performeur·euses invite le public dans la forêt au crépuscule, pour une performance itinérante qui culmine dans une expérience cinématographique. Les paysages sonores, images et gestes aspirent le public dans la mémoire et les visions de la forêt. Il est question d’interconnexion entre les humains, les arbres, les plantes et les esprits ; on imagine les questions qu’Alexandre a pu se poser : qu’y a-t-il au-delà ? D’autres pays ? D’autres mondes à conquérir ?
Saodat Ismailova est une artiste visuelle et vidéaste née en Ouzbékistan. Elle mène une exploration de la forêt Arslanbob mêlant mythologie, histoire et nature dans une expérience sensorielle. Parallèlement à la performance, une œuvre vidéo de l’artiste, premier chapitre de cette exploration sur la forêt, est présentée à argos dans le cadre de l'exposition Magical Realism du WIELS.
En raison de la pluie annoncée, les représentations de ce samedi 24 mai ne pourront malheureusement pas avoir lieu. Les personnes en possession d’un ticket ont été informées par email. Questions ? Contactez notre billetterie.
Texte d'un extrait de film
Ce miracle consiste dans le fait que nous soyons tous et toutes réuni·es dans l’un des meilleurs auditoriums d’Union soviétique. Que nous soyons tous et toutes présent·es à la télévision centrale et que nous ayons l’occasion d’y transmettre à la nation toute entière l’étendue des possibilités psychothérapeutiques existantes. Avant de mener notre
action d’influence psychologique plus avant, je tiens à vous avertir que notre séance, que je considère comme ayant déjà commencé, opère littéralement à partir de la première
seconde de diffusion. Je crois que c’est dès ce moment-là que la guérison s’active.
- D’après Anatoly Kashpirowsky, Healing Session 1, 1989, Moscou
The healing forest
Filipa Ramos – Qu’est-ce qui vous a conduit en premier lieu dans la forêt d’Arslanbob ?
Saodat Ismailova – Arslanbob, qui se trouve dans le sud du Kirghizstan, se traduit par «porte du tigre». J’ai découvert la forêt d’Arslanbob au cours de mes recherches sur le tigre de Turan, qui vivait autrefois en Asie centrale et qui a disparu dans les années 1960. En réponse à cette extinction, j’ai réalisé le film The Haunted (2017). Une autre fascination pour cet endroit est qu’il s’agit de la plus ancienne et de la plus grande forêt naturelle de noyers au monde. Les noyers ont un comportement particulier: ils produisent apparemment plus de dioxyde de carbone que d’oxygène et libèrent des toxines qui peuvent provoquer des effets hallucinogènes chez les humains et les animaux. Dans notre enfance, nos aîné·es nous déconseillaient de dormir sous les noyers, car on pensait que cela pouvait attirer d’autres entités, nous faire visualiser des peurs ou nous faire hanter par de mauvais esprits. En parlant avec des personnes qui ont expérimenté l’effet du noyer, je n’ai pas rencontré d’histoires légères, mais plutôt des histoires suffocantes.
Par conséquent, dans cet espace sacré d’une ancienne forêt, riche en histoires et en légendes, qui abrite la tombe d’un important saint local, le comportement imprévisible de l’arbre, la manière dont il influe sur son environnement et les qualités hallucinogènes des noyers sont devenus l’objet de mes recherches.
Avec Arslanbob: The Healing Forest, vous montrez que le cinéma peut se faire en dehors d’un espace clos et sombre. Pourquoi avez-vous choisi une forêt?
Je travaille sur la forêt de noyers d’Arslanbob depuis 2022, et je développe toujours un film en parallèle, que j’espère terminer d’ici 2026. Lorsque j’ai visité la forêt d’Arslanbob pour la première fois, mon premier réflexe a été de réaliser un film qui capture l’acte de marcher, car la forêt elle-même nous invite à cette expérience. Lorsque j’ai reçu une invitation du Kunstenfestivaldesarts à réaliser un projet performatif dans une forêt, j’ai pensé à relier deux forêts, celle d’Arslanbob et celle où nous nous trouverons, comme si elles partageaient une relation et un dialogue invisibles. La présentation à Bruxelles explore et répète en quelque sorte un acte de marche. En développant le projet, je me suis rendu compte que la marche reflète égalementle processus de la pensée : elle repousse les limites, explore des territoires inexplorés et découvre des mystères inattendus qui peuvent relier des récits apparemment sans liens entre eux.
Il est intéressant de noter que le cinéma et les substances psychotropes naturelles ont la capacité de provoquer des hallucinations, des sortes de mirages qui disparaissent de notre champ de vision, mais pas de notre esprit, où ils restent imprimés. Ce n’est pas la première fois que vous vous intéressez aux visions et aux fantômes qui existent dans les domaines naturel et humain. J’aimerais en savoir plus sur votre intérêt...
Je suppose qu’il s’agit d’une sorte de mouvement permanent vers l’invisible, l’inatteignable et l’indéfinissable qui influence tout. Quant au cinéma, il a le pouvoir de nous transporter dans un autre univers où nous pouvons aller au-delà de nos limites physiques, au-delà des contraintes du temps et de l’espace. Le cinéma nous offre la possibilité
d’entrer dans un monde imaginaire qui, selon moi, ressemble beaucoup à l’expérience que nous vivons dans nos rêves.
Arslanbob est une promenade dans une forêt qui fait écho à la forêt d’Arslanbob et à son pouvoir enivrant. Au cours de notre voyage hallucinatoire, nous rencontrerons le chapitre le plus troublé et le plus récent de la mémoire collective de l’ex-Union soviétique par le biais de films et de gestes. En superposant un récit d’hallucination à l’hypnose, nous découvrirons la figure d’Anatoly Kashpirovsky, un hypnotiseur et guérisseur soviétique, qui est devenu très important lors de l’effondrement de l’Union soviétique. Ses séances de guérison télévisées, diffusées sur la principale chaîne de télévision, étaient suivies par des millions de personnes en quête d’une guérison à travers l’écran, mais aussi d’un gourou spirituel auquel s’accrocher en ces temps troublés.
C’est peut-être une vision que j’aurais si je m’endormais sous un noyer dans la forêt d’Arslanbob, une période de la perestroïka obsédante et suffocante, pleine de contradictions et qui a profondément marqué toutes celles et tous ceux d’entre nous qui l’ont vécue. Ce travail est également lié à la réflexion sur les manipulations et la propagande qu’on peut ressentir de manière écrasante aujourd’hui. Les sons naturels de la forêt d’Arslanbob nous sortiront toutefois progressivement de ce rêve troublant et nous ramèneront doucement au moment présent.
Deux performeur·euses guideront le public. Quel est leur rôle et quelles sont leurs instructions ? Par ailleurs, comment s’est déroulée votre collaboration avec quelqu’un·e qui ne joue pas dans un film, sans montage possible ?
Il y a deux artistes avec lesquels j’ai déjà travaillé : Muhtor Asrorov et Durdona Tilavova. Iels ont des rôles très différents dans le spectacle. Muhtor est connecté au public; il représente l’humanité et guide les participant·es à travers un voyage. La présence de Durdona est distante et presque transparente, elle incarne les souvenirs de la forêt, des feuilles, de la terre ou des esprits qui émergent lors des visions. Elle nous observe jusqu’à ce que nous, les spectateur·ices, nous sentions observé·es. C’est exactement ce que j’ai ressenti dans la forêt d’Arslanbob.
La forme performative a un sens de l’indépendance différent de celui du film. J’ai souvent remis en question la rigidité du film: une fois que l’on sort de la postproduction, le film est figé. Ici, la pièce continuera d’évoluer. De plus, un film de 25 minutes est intégré à la performance, il m’a semblé naturel de le réaliser. Cela m’a aidée à m’engager dans la forme performative, en la considérant comme du «cinéma forestier».
Pensez-vous que le cinéma et la performance permettent de transposer l’expérience d’un environnement dans un autre lieu? Qu’aimeriez-vous qu’il se passe lorsque le public participe à cette œuvre ?
J’espère que nous ressentirons la présence de la forêt, que nous nous sentirons embrassé·es par elle et qu’en quelque sorte, nous nous y immergerons, ce qui nous permettra de sentir une présence plus grande, une présence qui existait avant nous et qui subsistera après nous. Même si Arslanbob est une œuvre assez figurative, je souhaite qu’elle nous transporte dans un espace qui n’est pas centré sur l’humain, nous rappelant que nous ne sommes qu’un minuscule épisode d’une temporalité plus vaste.
J’espère également que le public se perdra dans la forêt, non pas physiquement, mais plutôt mentalement, en essayant de reconstituer les lignes et les sensations, en se demandant pourquoi nous sommes dans la forêt sans trouver de réponse définitive.
Peut-être qu’à un moment donné, nous pouvons relâcher cette recherche mentale de raisonnement et de contexte, en permettant à notre corps de se détendre et à notre esprit d’arrêter de raisonner, afin que nous puissions simplement écouter et observer. Et qui sait, peut-être que la forêt hantera certain·es d’entre nous, en nous conduisant dans un voyage; nous serons peut-être hypnotisé·es par certaines images et certains sons, ou nous découvrirons peut-être une histoire récente –une mémoire qui n’a pas encore été métabolisée et qui continue à hanter nos rêves.
- Entretien réalisé par Filipa Ramos en avril 2025
- Traduit par Annick Mkele
Filipa Ramos écrit sur l’art, le cinéma et les animaux. Elle organise des expositions, des projections et des événements en direct autour de ces mêmes sujets. Elle est chargée de cours à l’Institut Art Gender Nature de l’Académie FHNW d’art et de design de Bâle. Son dernier ouvrage, The Artist as Ecologist (2025), étudie la manière dont les artistes contemporains s’engagent dans la protection de l’environnement.
Présentation : Kunstenfestivaldesarts, WIELS
Concept : Saodat Ismailova | Interprété par : Mukhtor Asrorov, Durdona Tilavova | Compositeur : Ava Rasti, Carlos Casas | Enregistrements sonores : Melia Roger | Création costumes : Temir Malik Qobuljonov
Commandé et produit par: Kunstenfestivaldesarts
Avec le soutien de WIELS et the Socialist Anthropocene in the Visual Arts (SAVA)
Arslanbob: The Healing Forest contient des extraits des films : The Women's Kingdom (Yusup Razykov, 2000, Uzbekistan), Meeting in Samara (Nazim Abbasov, 1989, Uzbekistan), I Remember You (Ali Khamraev, 1995, Uzbekistan), Angel in Fire (Yusup Razykov, 1992, Uzbekistan), Veld (Nazim Tolyakhodzhayev, 1987, Uzbekistan), Wolves (Sabir Nazrmukhammadov, 1988, Uzbekistan), Shock (Ilier Ishmukhammadov, 1989, Uzbekistan), Blessed Bukhara (1991, Tajikistan), The Savage (1988, Uzbekistan), Male Education (Usman Saparov, Yazgeldy Saidov, 1982, Turkmenistan), Tornado (Bako Sadikov, 1989, Tajikistan), The Secret Journey of the Emir (Farid Davletshin, 1996, Uzbekistan), Destan (Bul-Bul Mamedov, 1992, Turkmenistan), The Monster (Ali Aksar Fathulin, 1988, Uzbekistan), The Presence (Tolib Khamidov, 1995, Tajikistan), The Road (Darejan Omirbaev, 2001, Kazakhstan), Needle (Rashid Nugmanov, 1988, Kazakhstan), Midnight Blues (Rashid Malikov, 1991, Uzbekistan), Cardiogram (1995, Darejan Omirbaev), The Fish in Love (Abai Karpykov, 1989, Kazakhstan), Everything is Covered in Snow (Kamara Kamalova, 1995, Uzbekistan), Luna Papa (Bakhtiyar Khudainazarov, 1999, Tajikistan), Identification of Desires (Tolib Khamidov, 1991, Tajikistan), Ultygan. Sea… come back… (Edige Bolysbaev, 1989, Kazakhstan), Mankurt (Khojaykuli Narliyev, 1990, Turkmenistan), Kammi (Janik Faiziev, 1991, Uzbekistan), Beshkempir (Aghtan Arım Kubat, 1998, Kyrgyzstan), Zikr (Shamil Japparov, 1992)
