07.05, 08.05, 10.05, 13 — 16.05.2016

Sarah Vanhee, / CAMPO Bruxelles / Gand

Oblivion

performance

La Raffinerie

Anglais → NL, FR | ⧖ 2h30 | € 16 / € 13 | Meet the artist after the performance on 8/05

Imaginez un lieu où vous vous reconnectez avec tout ce que vous aviez jeté, abandonné ou effacé. Les objets, les pensées, les relations dont vous vous étiez défaits et que vous aviez oubliés sont tous de retour. Ils sont les vôtres, vous tenez à eux. Vous revenez en arrière, revalorisez, réinvestissez. Tout vaut quelque chose… Artiste belge dont la pratique est liée à la performance, aux arts visuels et à la littérature, Sarah Vanhee a marqué le festival avec de singuliers projets in situ comme Lecture For Every One (2013) et Untitled (2014). Pour sa nouvelle création Oblivion, elle a gardé tout ce qu’elle aurait normalement jeté en un an de vie personnelle et professionnelle, et elle en a fait un spectacle. A partir de quand nos déchets ne sont-ils plus nos déchets ? Vanhee examine depuis un point de vue ontologique la façon dont un corps vivant négocie ses propres rebuts. Très engagé physiquement, conceptuellement fascinant, Oblivion est une lente célébration de choses ressuscitées.

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« Les déchets, ça peut réellement être beau »

Imaginez-vous garder un an durant tout ce que vous auriez normalement jeté, des pourriels aux pots de yaourt. L’artiste Sarah Vanhee l’a fait. « C’est totalement irréalisable, mais tellement intéressant précisément pour cette raison. »

La poubelle, le bouton « effacer », les toilettes : tous ces outils qui nous délestent quotidiennement de nos détritus ou de nuisances ont acquis un tout autre statut chez Sarah Vanhee. Elle a rangé tout déchet non périssable dans des caisses, archivé toute idée mauvaise ou inutile, sauvegardé toutes les versions de chaque texte. Mais n’ayant pas vraiment envie de voir débarquer une équipe de désinfection, elle a préféré photographier ses déchets organiques et tenir un journal intime sur ses défécations.

« Surtout hors de chez moi, cela a donné lieu à des situations parfois gênantes : photographier des restes de plats dans un restaurant, transporter un sac de détritus dans l’autobus… Soudain, j’ai senti une affinité secrète avec les glaneurs qui inspectent les bennes à ordures dans la rue. Nous jetons tellement de choses sans réfléchir qu’il m’a fallu sept mois pour me rendre compte qu’il me fallait aussi conserver le verre. Ou que ces restes de framboises dans la passoire étaient aussi des déchets. C’est vraiment devenu une sorte d’accoutumance. »

Ce qui s’est confirmé quand Vanhee a mis fin à sa rage de conservation, au début de ce mois. « Je ne me sens absolument pas libérée, au contraire, c’est oppressant. Je me sens même physiquement mal. Ce moment où je décide consciemment de garder quelque chose me manque : ne plus sélectionner ce qui a de la valeur et ce qui n’en a pas, ne plus donner une chance à toutes les choses telles qu’elles sont. Je me suis même mise à parler sérieusement à un pot de yaourt. C’est très émouvant tous les souvenirs que cela fait remonter. À présent, j’ai chaque fois l’impression de jeter des relations entières. »

Son butin et ses idées, Vanhee les expose ces jours-ci dans Oblivion, le premier spectacle dans l’histoire nationale du théâtre à mentionner dans la distribution une « gestionnaire de déchets ». Linda Sepp a entreposé chronologiquement tous les objets et déchets numériques pendant toute une année. « Elle était à la fois ma collectionneuse et mon archiviste. Après les représentations, elle remballe tout dans des caisses et c’est donc elle qui détermine la façon dont je vais tout redéballer et quelle résonance aura la prochaine représentation, en fonction d’où elle range les bouteilles. »

Propagande d’hygiène

Aussi absurde que puisse paraître cette expérience, aussi riches sont toutes les associations d’idées qu’elle suscite. Vanhee a appris à aborder très différemment le contrôle. « Quand on n’élimine plus rien, ne purge plus rien, on obtient un flux continu qu’on ne maîtrise pas. Qui vit cela prend conscience que le sentiment de contrôle est factice. Il se pourrait aussi que nous n’ayons plus besoin de quoi que ce soit de neuf. C’est une conception très inquiétante, parce que nous ne sommes pas programmés de la sorte. Nous construisons toute notre identité sur le fait de rejeter des choses et d’en acquérir de nouvelles, non pas sur notre mémoire. Nous vivons avec un grand déséquilibre entre ce que nous laissons derrière nous et ce qui se profile devant nous. »

Avec des livres comme History of shit et Waste and want, Vanhee s’est plongée dans l’histoire sociale des déchets. Elle a compris qu’il fut un temps où les ménagères ne jetaient rien, mais fabriquaient du savon et des bougies avec leurs cheveux. Elle a appris qu’entretemps la gestion des déchets est un commerce colossal et florissant, l’un des plus grands secteurs d’exportation des États-Unis.

« La société du tout-jetable est une invention des années 50 et 60. L’idée d’avoir besoin d’une machine pour tout et que sa durée de vie doit être de plus en plus courte est allée de pair avec toute une propagande d’hygiène qui mettait les gens en garde contre de petits monstres invisibles qui nous assaillent. Savez-vous qu’autrefois dans les gares, il y avait un seul gobelet métallique pour boire et que tout le monde s’en servait ? Comment se fait-il qu’on ait si rapidement considéré les gobelets jetables en plastique comme une évidence ? »

Joyeusement sursaturé

Ce n’est pas tant la question morale qu’écologique et philosophique qui intéresse Vanhee : comment abordons-nous les choses ? « Quand on retarde le moment de jeter quelque chose, on se rend compte à quel point tout est lié. Une fois nos déchets mis à la poubelle, nous les croyons partis, de même que nous simplifions tout en le rendant invisible. Mais quelque part en Inde, nos déchets s’amoncellent sur une montagne où des gens viennent fureter. Si nous étions plus conscients de ces rapports géopolitiques, la panique aiguë à propos du flux de réfugiés serait moins superficielle. »

Dans Oblivion, Vanhee étale sur scène, près de trois heures durant, tout ce dont elle se défait. « J’espère que le public se sentira joyeusement sursaturé, comme cette expérience démodée d’une longue sensation de satiété après avoir beaucoup et bien mangé, mais sur le plan intellectuel et sensuel. Peut-être est-ce là ma plus grande surprise : la beauté pure du paysage de déchets que je déploie sur scène. Tous ces déchets, c’est vraiment beau. »

Wouter Hillaert

De Standaard/DS2, article anticipant la première du spectacle, 12 novembre 2015

Concept & performance

Sarah Vanhee

Son

Alma Söderberg, Hendrik Willekens

Regard externe

Mette Edvardsen, Berno Odo Polzer

Coach voix

Jakob Ampe

Assistante de production

Linda Sepp

Interviews

Claire Frament, Audrey Vandecauter

Traduction

Isabelle Grynberg (FR), Marika Ingels & Sarah Vanhee (NL)

Production

CAMPO (Gent)

Merci à

Manyone, Pianofabriek Kunstenwerkplaats, Kaaitheater

Présentation

Kunstenfestivaldesarts, Charleroi Danses / La Raffinerie

Coproduction

Kunstenfestivaldesarts, CAMPO (Gand), HAU Hebbel am Ufer (Berlin), Göteborgs Dans & Teater Festival, Noorderzon Performing Arts Festival (Groningen)

Avec le soutien de

Vlaamse Overheid

Projet coproduit par

NXTSTP avec le soutien du Programme Culture de l’Union Européenne

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