23 — 26.05.2016

Amir Reza Koohestani / Mehr Theatre Group Téhéran

Hearing

théâtre

Bozar

Farsi → NL, FR | ⧖ 1h10 | € 16 / € 13 | Meet the artists after the performance on 24/05

Un internat en Iran. On aurait entendu une voix masculine dans le dortoir pour femmes. Une résidente aurait-elle introduit un garçon ? C’est le point de départ de Hearing, le bouleversant nouveau spectacle d’Amir Reza Koohestani. Le metteur en scène nous perd dans un labyrinthe de rumeurs et d’accusations. La parole se double d’un discours parallèle, allusif, et la complexité narrative est encore exacerbée par l’usage d’une caméra qui filme les coulisses de l’action. Produisant un vertige de significations, la répétition et la multiplication des points de vue brouillent la frontière entre réalité et fiction. Le spectre d’une société répressive hante la pièce. Ces femmes aspirent à renverser les conventions asphyxiantes mais elles s’enferment elles-mêmes dans un système oppressif. Comme toujours chez Koohestani, une mise en scène minimale, d’une grande justesse, sert un texte incisif et profondément émouvant. Hearing est une méditation sur l’absence et la menace latente. La vérité éclatera-t-elle au grand jour ?

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Hearing

Comment j’ai trouvé l’inspiration

Mahin me racontait souvent ses souvenirs de dortoir. J’avais moi-même passé une année en dortoir, mais l’expérience semblait très différente chez les filles – même si faire entrer une fille chez les garçons était tout aussi interdit qu’un garçon chez les filles. J’ai donc admis que je devais m’entretenir avec plusieurs personnes ayant vécu cette expérience pour pouvoir décrire de façon précise la vie dans un dortoir pour filles.

Hamed Nejabat, le régisseur de mes spectacles, avait écrit une pièce qui devait se jouer dans un lycée pour filles. La pièce s’appelait Nous quinze et mettait en scène quinze lycéennes qui, ayant obtenu de très bonnes notes à un contrôle de chimie, se voyaient soupçonnées par le professeur d’avoir eu connaissance des questions au préalable et subissaient un interrogatoire de sa part. Ces quinze jeunes filles – contrairement à celles de Hearing – se montraient solidaires et ne se dénonçaient pas.

J’ai lu qu’un tribunal suédois demandait aux demandeurs d’asile de fournir, comme preuve de leur activité politique dans leur pays, des vidéos de leur participation à des manifestations.

Il y a quelque temps, en revoyant Devoirs du soir de Kiarostami pour la deuxième ou la troisième fois, j’ai trouvé très étrange la réaction de ces gamins qui face aux questions simples du cinéaste, telles que « Qu’est-ce qu’un encouragement ? » ou bien « As-tu fait tes devoirs ? », paraissaient hébétés et fixaient le plafond ou la caméra bouche bée. Je ne veux pas préjuger de la santé mentale de ces gamins, mais il est évident qu’aujourd’hui, si, à la seule idée de se retrouver enfermé dans une salle avec une équipe de tournage, un enfant était assez terrorisé pour se mettre à pleurer et à demander de partir ou que la porte soit laissée ouverte, on l’emmènerait consulter un psychiatre ou un thérapeute. Or à l’époque, en pleine guerre Iran-Irak, le seul souci de tout un chacun était de survivre et de résister aux bombardements perpétuels de l’armée de Saddam Hussein. Et seul un Kiarostami pouvait alors songer au bien-être mental et psychologique des plus jeunes. J’ai appris par la suite que, parmi ces enfants, il y avait Bahman, le fils de Kiarostami. Et je me suis rappelé que lors de notre première rencontre, dès qu’il a su que j’étais né en 1978, le cinéaste m’avait fait remarquer que j’avais le même âge que son fils. Ces gamins pouvaient donc aussi bien me représenter, moi. Je devais sans doute être comme eux – si ce n’est pire. Comment, en ayant été un enfant si perdu et désemparé, pouvais-je me retrouver à présent dans la posture d’un intellectuel ayant son mot à dire sur l’état de son pays et du monde ? C’est en m’inspirant de Devoirs du soir que j’ai tenté de voir derrière la Samaneh adulte, l’adolescente terrorisée qui tripote sans arrêt son foulard.

Comment j’ai écrit la pièce

Il m’a fallu beaucoup plus de temps pour bâtir la structure de la pièce que pour en écrire les dialogues. Lors des quelques mois de résidence d’écriture dont j’ai bénéficié à Stuttgart, plutôt que de m’asseoir et d’écrire, j’ai passé mon temps à marcher dans la Forêt-Noire, pour réfléchir à la forme que pouvait revêtir la pièce, dont je ne savais qu’une chose, qu’elle allait porter sur l’« audition » d’une voix masculine dans un dortoir pour filles. Certes, les choses auraient été beaucoup plus simples si tout se déroulait dans la pièce de l’interrogatoire. Les spectateurs seraient sans doute sortis plus contents du spectacle, rassurés d’avoir tout compris et d’avoir vu ce qu’ils aiment : des extrémistes rigides qui persécutent des jeunes filles sans défense pour un acte qu’elles n’ont pas commis. Simple, clair, conforme aux informations diffusées en continu par les chaînes privées ou publiques – Arte y compris. Mais il se trouve que la réalité est autre.

Contrairement à ce que nous imaginons, l’interrogatoire n’est pas mené par un fondamentaliste barbu, mais par une étudiante à qui l’on a confié la clé du dortoir, simplement car elle est légèrement plus âgée. Et elle n’interroge pas les autres en raison de ses propres convictions politiques ou religieuses extrêmes, mais uniquement parce qu’elle a su jusque-là conserver, pour elle-même, un dossier vierge et qu’elle ne veut pas d’ennuis.

Si ce n’était que dans un pays comme l’Iran que les individus avaient à se justifier face à des inspecteurs soupçonneux, nous pourrions nous vautrer dans la certitude que les méthodes et les lois de « ces pays-là » sont à revoir, mais que « nous autres » n’avons rien à nous reprocher. C’est le discours tenu par tous les partis de droite aujourd’hui. Mais en réalité, partout dans le monde, les autorités ne doutant pas de leur légitimité aiment à s’asseoir face à vous et à vous demander de prouver que vous ne mentez pas.

Samaneh a le tort de refuser de témoigner en faveur de Neda au moment nécessaire. Cette dernière se fait expulser de l’université et dix ans plus tard, elle se suicide en Suède car sa demande d’asile a été refusée – et non pas en raison de son exclusion de l’université. La question se pose de savoir quelle est la part de responsabilité de Samaneh dans la mort de Neda. À sa place, nous sentirions-nous coupables ou bien nous en laverions-nous les mains en considérant qu’il y a prescription ? Si tant est que nous partagions la mauvaise conscience de Samaneh, à nous de nous demander aussi pourquoi nous ne l’éprouvons pas vis-à-vis des enfants tués en Irak ou en Syrie par des bombes financées par nos impôts, ou encore vis-à-vis des générations futures à qui nous laissons un environnement passablement dégradé. Quelques like et autres share sur Facebook, quelques pétitions signées dans l’espace virtuel et nos fautes nous semblent pardonnées.

Au retour de ma dernière marche dans la Forêt-Noire, est apparu à mon esprit une ébauche de cet ordre : Tentative de la part de Samaneh, douze ou treize ans plus tard, d’apporter aux questions posées des réponses différentes, dans l’espoir de pouvoir changer le passé.

Suis-je féministe ?

Hearing est ma première pièce qui ne soit pas mixte. Les précédentes ont toujours été le lieu de la confrontation des deux sexes. Six d’entre elles mettent en scène des couples. Et cette fois-ci, exclusivement des personnages féminins. Cela fait-il de moi un féministe ? La réponse est non. Je ne me sens pas en position de m’exprimer sur la condition féminine. Si je le faisais, en tant qu’auteur masculin, je me sentirais comme ces touristes qui se rendent en Inde avec un appareil photo compact, prennent quelques photos de femmes en saris, de vaches, d’hommes accrochés aux trains et aux bus et reviennent. Je n’en sais pas plus sur les problématiques des femmes que ces touristes sur l’Inde. Tout ce que j’aurai pu faire, à travers la présence de quatre comédiennes dans ce spectacle, est de leur demander de m’éclairer sur le degré de proximité de ma vision d’étranger avec la réalité.

Amir Reza Koohestani
Mai 2016

Textes & mise en scène

Amir Reza Koohestani

Assistants à la mise en scène

Mohammad Reza Hosseinzadeh, Mohammad Khaksari

Avec

Mona Ahmadi, Ainaz Azarhoush, Elham Korda, Mahin Sadri

Vidéo

Ali Shirkhodaei

Musique

Ankido Darash, Kasraa Paashaaie

Son

Ankido Darash

Création lumière

Saba Kasmaei

Scénographie

Amir Reza Koohestani & Golnaz Bashiri

Costumes & accessoires

Negar Nemati

Assistance costumes & accessoires

Negar Bagheri

Assistant plateau

Mohammad Reza Najafi

Traductions & sous-titrage

Massoumeh Lahidji

Directeurs de production

Mohammad Reza Hosseinzadeh & Pierre Reis

Administration compagnie & tournées

Pierre Reis

Presentation

Kunstenfestivaldesarts, BOZAR

Production

Mehr Theatre Group

Co-production

BOZAR Centre for Fine Arts (Bruxelles), La Bâtie – Festival de Genève, Künstlerhaus Mousonturm (Francfort)

Spectacle présenté avec le soutien de

ONDA (Office national de diffusion artistique)

Hearing a été écrit pendant une résidence d’artiste à l’Akademie Schloss Solitude à Stuttgart (octobre 2014-mars 2015)

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