21 — 26.05.2015
Après une formation à Marrakech et à Tunis, le danseur et chorégraphe Radouan Mriziga a poursuivi son parcours à P.A.R.T.S à Bruxelles. Sa première création, ~ 55, témoigne magnifiquement de la façon dont il a transformé ses influences hybrides en un langage pleinement personnel, entre sobriété et sensualité, concept et physicalité, structure et sentiment. Pour ~ 55 , recréé dans une nouvelle version site specific à l’occasion du festival, Mriziga prend tout en charge : danse, son, lumière. ~ 55 , comme les 55 minutes d’un spectacle « architectural » construit sur le chiffre 5 et les mesures du corps du danseur. Fasciné par la gestuelle de l’artisan, l’organisation du mouvement au service de la production, Mriziga use de son corps tel d’un outil pour réaliser un motif au sol. Les formes surgissent, inévitables, de la relation entre son anatomie et l’espace donné. Mais ici, le Less is More rationaliste n’est pas incompatible avec le plaisir esthétique et émotionnel de l’ornement… Superbe !
Entretien Radouan Mriziga
Radouan Mriziga a achevé ses études en 2012 à P.A.R.T.S., l’école bruxelloise de danse fondée et dirigée par Anne Teresa De Keersmaeker. La saison passée, il a participé au spectacle Dix heures et demie du soir en été de Bart Meuleman à la Toneelhuis. Il a dansé dans le spectacle Re:Zeitung, un projet de la Fondation P.A.R.T.S. et de La Monnaie, qui consiste à inviter une nouvelle génération de danseurs professionnels à reprendre et revisiter le répertoire d’Anne Teresa De Keersmaeker. En 2014, Mriziga a dansé dans Primitive, le nouveau spectacle de la chorégraphe Claire Croizé, et a répété la nouvelle création du jeune chorégraphe français Simon Tanguy, People in a Field. Entre-temps, Mriziga a préparé 55, la première chorégraphie de sa résidence au Centre d’Art nomade Moussem.
Quel effet cela a-t-il sur un danseur et chorégraphe de travailler simultanément à quatre spectacles ?
Je vous avoue que ce n’est pas évident. Il s’agit de quatre approches quasi totalement différentes de la danse. Cela requiert non seulement une grande discipline physique, mais mentale aussi. Chaque spectacle comporte une autre performance, un autre enjeu. C’est un défi pour mon corps et pour mon esprit. Il me faut rester attentif. Dans trois pièces, je suis danseur. Parallèlement, il me faut trouver le temps et l’énergie de développer ma propre chorégraphie et veiller à ce que cela n’influence pas les autres pièces auxquelles je travaille. Cela demande une coordination particulière pour maintenir en équilibre mon travail à ces quatre pièces.
Vous avez entamé vos études à Marrakech, qui n’est pas une ville qu’on associe d’emblée à la danse contemporaine.
C’est exact, bien que… À Marrakech, il y a une scène hip-hop et une scène de danse traditionnelle. Mais il n’y a pas d’infrastructure ou d’école orientée sur la danse contemporaine ou la performance. Ce qui m’a attiré dans la danse est le mouvement en soi. Et à Marrakech, plus que dans d’autres villes encore, tout est constamment en mouvement : l’architecture, la rue, les gens. Cela m’a toujours captivé, et m’a finalement mené à la danse. J’ai suivi une formation scientifique, et j’aime le sport de réflexion. En même temps, je m’intéresse à toutes sortes de sports physiques. Et selon moi, la danse contemporaine réunit tout cela de manière idéale. C’est abstrait et pur, et entre-temps très ouvert aussi. Cela touche à tout à la fois. J’ai rencontré Jacques Garros, un professeur de « travail corporel » qui enseigne à Bordeaux et a donné des cours à Marrakech. J’ai travaillé tout un temps avec lui. Ensuite, je suis parti en Tunisie suivre une formation de danse.
Qu’y avez-vous découvert ?
C’était en fait ma véritable introduction à la danse contemporaine. J’y ai appris les techniques. Le Centre méditerranéen d’Art contemporain de Tunis est une petite école, mais dans cette région, c’est une institution. C’était toute une adaptation pour moi. J’y ai appris comment les danseurs contemporains abordent la discipline de la danse. Après cette formation, j’avais la possibilité de commencer à réaliser mes propres créations, mais j’avais surtout envie de poursuivre mes études, de découvrir plus.
C’est alors que vous avez été sélectionné pour P.A.R.T.S. Comment êtes-vous entré en contact avec l’école bruxelloise ?
Je connaissais l’œuvre d’Anne Teresa De Keersmaeker avant d’avoir entendu parler de P.A.R.T.S. La Belgique a une formidable réputation internationale en matière de danse contemporaine. Mais je n’avais jamais envisagé de poursuivre mes études à Bruxelles. La seule chose dont j’étais certain à ce moment-là, c’était que je ne voulais pas aller en France. Jusque-là, j’avais surtout été influencé par le système français et j’étais à la recherche d’autre chose. Les gens de P.A.R.T.S. sont venus au festival de danse de Tunis et m’ont parlé de l’école. Je l’ai vaguement considérée comme une option éventuelle, pas vraiment réelle. J’ai encore suivi quelques ateliers et alors que je travaillais à Marseille, j’ai entendu que P.A.R.T.S. y tenait des auditions. Je me suis inscrit et j’ai été sélectionné pour l’audition finale à Bruxelles. Pendant les quatre jours de préparation, j’ai acquis la conviction que c’était l’école appropriée pour moi. La méthode de travail de P.A.R.T.S. correspond entièrement à ma propre approche de la danse.
La réalité a-t-elle répondu à vos attentes ?
C’était une expérience très marquante. La formation est particulièrement intensive, Anne Teresa met la barre très haute. On n’y est pas seulement formé à la danse, on y suit une véritable formation d’artiste. À partir de la deuxième année à P.A.R.T.S., j’ai vraiment commencé à penser différemment et par conséquent, à approcher les choses différemment. Ce que j’avais considéré jusque-là comme de la danse et de la performance a pris beaucoup plus d’ampleur. J’ai appris à me mettre en condition pour le théâtre et pour le chant. J’ai découvert les compositions, j’ai étudié la musique, l’histoire de l’art, l’histoire de la danse… Tant de nouvelles possibilités se sont ouvertes à moi. C’était comme si je disposais soudain de bien plus « d’outils ». Je viens d’une culture très musicale, très rythmique. Mais je n’avais jamais trouvé la bonne manière de l’aborder, de réellement toucher à la musique. J’étais familiarisé avec le rythme, je comprenais la musique, mais je le ressentais comme quelque chose de naturel, avec lequel j’étais né. Je n’avais jamais appris auparavant comment utiliser la musique en tant que performeur. En Belgique, j’ai fait face à une culture musicale totalement différente et cela m’a permis d’approcher autrement mes propres antécédents musicaux. J’ai appris à comprendre la structure, à distinguer le rythme de la mélodie. C’était très radical.
Vous dansez à présent dans Re:Zeitung, une nouvelle version d’un classique du répertoire d’Anne Teresa De Keersmaeker.
Tout le monde dansait le répertoire à l’école et j’ai beaucoup apprécié cette partie de la formation. On touche à l’histoire et on fait pour ainsi dire partie de quelque chose qui a été créé précédemment. Je me sens profondément lié à cette œuvre. Danser les chorégraphies d’Anne Teresa est un réel plaisir. Mais ce n’est pas la seule chose que je veux faire. À présent, je travaille à ma première chorégraphie depuis la fin de mes études.
Un solo. Est-ce un choix délibéré ?
Le concept de ce solo est en fait né d’une sorte de nécessité élémentaire. Je désirais réaliser ma propre création et à la fois interpréter les œuvres d’autrui. Je ne disposais pas vraiment de moyens et j’ai décidé de me limiter à un projet de recherche. Moussem était prêt à le soutenir. Tout le concept s’appuyait d’emblée sur une fonctionnalité et des principes de base simples, et à partir de là, un solo s’est développé de manière naturelle.
Vous y travaillez depuis le mois de juillet 2013.
Quand je porte un regard rétrospectif sur le processus, je constate qu’y travailler avec de si grands intervalles n’est peut-être pas la meilleure méthode. D’autre part, toute la création est le fruit d’un travail de recherche. À ce moment-là, il n’était pas encore certain que cela évolue au point de donner lieu à une pièce. Ce n’est que lors de la présentation de cette recherche qu’il s’est avéré que le projet recelait plus de potentiel. Moussem m’a donné l’occasion de poursuivre le travail et depuis février 2014, je le développe comme un spectacle à part entière.
De quoi parle le spectacle ?
Le point de départ de 55 est : comment puis-je être le plus fonctionnel possible sur scène ? En tant que danseur, on se pose en permanence des questions. Est-ce suffisant ? Est-ce cela que je souhaite transmettre ? La forme est-elle la bonne ? Que suis-je en train de faire précisément ? Qu’est-ce que je transmets ? Je pars en quête de la fonctionnalité et de la forme que celle-ci peut adopter. Il s’agit presque d’une approche architecturale. Je m’interroge, à la fois en tant que performeur et en tant que créateur. Que se passe-t-il quand je ne dispose pas d’outils de travail ? Pas de scénographie, pas d’éclairage théâtral, pas de vidéo, pas de musique, pas d’argent ? Comment réussir à quand même créer quelque chose d’intéressant, que le public puisse regarder avec intérêt pendant au moins vingt à trente minutes ?
Le mouvement et la forme constituent-ils encore toujours votre centre d’intérêt ?
J’adore assister à des spectacles exubérants, mais je tends plutôt au minimalisme. L’extravagance ne sert pas mon objectif. J’ai passé beaucoup de temps à observer des artisans et des architectes. L’architecture est au fond une forme fonctionnelle. Dans le meilleur des cas, elle est également intéressante sur le plan esthétique, mais la fonctionnalité demeure son aspect le plus important. Les artisans utilisent leur corps au service de la forme, ils se meuvent d’une certaine façon qui permet de générer une forme. Parfois, ils effectuent toute la journée le même geste. Cette constatation m’a aidé à comprendre pourquoi l’architecture me parle autant. Ce n’est rien de très nouveau bien sûr, bon nombre de danseurs et de chorégraphes s’intéressent à l’architecture. Je suis bien entendu influencé par l’école maghrébine (l’approche géométrique), mais en même temps, j’apprécie énormément le minimalisme occidental. De même que pour la musique, je suis longtemps resté profane en matière d’architecture, je la contemplais, sans plus. Entre-temps j’ai appris à poser les choses et à les faire converger.
Moussem Journaal #3, septembre 2014
De & avec
Radouan Mriziga
Assistante
Alina Bilokon
Remerciements
L’équipe de Moussem, Alina Bilokon, Youness Khoukhou, Christophe Dupuis, Bart Meuleman, Steven De Belder
Présentation
Kunstenfestivaldesarts
Productie
Moussem Nomadic Arts Centre
Coproduction
C-mine cultuurcentrum (Genk), WP Zimmer (Anvers)
Avec le soutien de
Cultuurcentrum Berchem (Anvers), Pianofabriek Kunstenwerkplaats (Bruxelles), STUK Kunstencentrum (Louvain), O Espaço do Tempo (Montemor-o-Novo)
Merci à
Régie des Bâtiments