30.04, 01.05.2009
Boris Charmatz, Musée de la danse Rennes
La danseuse malade
danse / performance
Français → NL | ⧖ 1h10
Une tête en flammes. De la boue. Un chien enragé... Pour La danseuse malade, Boris Charmatz s'est inspiré d'un texte-manifeste de Tatsumi Hijikata, le fondateur du butô. « Danse des ténèbres », le butô est un mouvement d'avant-garde qui, bousculant les règles du théâtre traditionnel japonais comme du modernisme occidental, renvoie à la déchirure et à l'angoisse, mais aussi à l'érotisme et à l'extase. Boris Charmatz et Jeanne Balibar forment un trio avec ces écrits méconnus « qui ne parlent pas du butô, mais sont eux-mêmes butô, d'une force inouïe de danse travaillant dans les mots ». La comédienne profère cette langue prométhéenne au volant d'un camion tournant inlassablement face au public. Corps mécanique qui met les corps à l'épreuve... Insaisissable enchaînement d'images et de sensations, La danseuse malade se déploie comme un véhicule pour la pensée et le corps de Hijikata. Une performance de verbe et de chair dont on ne peut sortir indemne.
La danseuse malade
ça pourrait aveugler, brûler
La Danseuse malade, nouvelle pièce de Boris Charmatz, débute par un jeu d’artifice, éclate à la figure. La danse, ça pourrait aveugler, brûler. Tromper aussi. La danse, ça n’est pas obligatoirement aimable.
Le personnage qui se dégage est casqué, sous un manteau, puis une tunique, plus tard un lourd tablier. Entre apparition fantastique et banalité de la rue. Travail manuel ou univers clinique. Dans la chair apparente, la lumière (Yves Godin) creuse le vif contrasté des tensions musculaires. Brève séquence de splendeur torturée d’un corps viril. Tant d’autres états suivront. Les corps en danse ne sont pas à tout coup vaillants et harmonieux.
une danse avec véhicule?
Une masse, là, se révèle être un véhicule. Sur scène. Encombrant mais ici surréaliste, celui-ci ne cessera d’arpenter le plateau. Une danse avec véhicule ? Art charriant, dans ses déplacements, une cargaison de mémoires, de hantises, de rêves, de jouissances, de pulsions, d’expériences, d’usages, de cultures, de passions, de dressages, d’engagements, de souffrances, d’héritages, de savoirs, de codes. Au bout de cela, un corps dansant est souvent délié des mots. Mais jamais ignorant des mots. La danse vit des forces qui la dépassent et qui la fondent. Pièce après pièce, l’exigeant projet chorégraphique de Boris Charmatz consiste à le révéler.
l’actrice, au volant
Un véhicule, c’est encore une machine, une puissance, une logique. Charmatz abandonne une part de son geste, admet d’autres force au travail. Machine qui déborde la maîtrise consciente d’artiste ; qui défait le mythe romantique du démiurge tout puissant sur son oeuvre. Et qui contraint, provoque ou bouscule le geste. Charmatz n’est pas seul. Duo au côté de Jeanne Balibar : s’en prennent à la matière du plateau, déchirent son tapis, arrachent, emmêlent la substance scénique, magma de liens élastiques, presque visqueux. Une convulsion froide s’applique.
Puis changement soudain d’intensité. Jeanne Balibar. L’actrice. Au volant. Cadrée. Immense monologue à la voix translucide, un peu grise. Offerte à la houle d’un texte qu’elle libère sous la surface. Renonce à tout effet, ne souligne rien, soustrait plutôt, vers la sous-couche, dans un sous-jour du sens, relayé dans une chorégraphie de plans imaginaires enchâssés, physiquement sondés par le danseur, déployés par la scène.
entendre-voir les textes de Tatsumi Hijkata
Il fallait cette retenue sourde, et ce qu’elle ouvre pour la traversée claire d’un sombre tumulte littéraire, pour entendre-voir les textes de Tatsumi Hijkata. Or, quels textes ! De quel auteur ! Hijikata fonda le butô. Mais il faut s’entendre. Décaper l’image parfois si somptueuse, exotique, voire décorative, dont le regard occidental a pu nimber ce genre. Se souvenir qu’il s’agit d’une danse des ténèbres, mais surtout du corps obscur; nourrie de lectures fiévreuses des surréalistes français, des écrivains de la part maudite (Genet, Sade, Bataille).
Rebelle aux formes domestiquées des grandes traditions de danse, y compris japonaises, ce butô préfère hanter d’indicibles archaïsmes, révulsé par une fusion des naissances et des morts, combustion de cris muets, de sexes effarés, d’enfants déchus. Corps habités d’autres corps, certains de morts à remourir.
les mots transpercent l’épreuve du danseur
Or, Hijikata fut autant l’écrivain de ces forces, que leur performeur sur scène. Mieux vaut en lire un extrait, comme seule l’autorise la passion savante de Patrick De Vos, rare traducteur de cette littérature encore inédite en Occident : « Je regarde les mains. Il s’en échappe un mouvement de particules mal dégrossies. La colonne vertébrale penche légèrement vers l’avant. Une danse en dévale la pente. Pour un regard malheureux on peut se voir changer de gélatine. Têtes brûlantes. La vengeance bridée d’un bouton froid a baissé d’un petit cran le front ; il faut que le matériau soit d’abord un amant. Je m’approche.
L’odeur dresse entre les garçons et moi un équilibre quasi ascétique ; de manière générale, tous ces corps étirés à l’excès comme les branches d’un parapluie pour faire barrière à ce qui tombe, tous ces corps de travers, cassants, raidis par le sacrifice, donnent en maintes façons priorité aux lignes quasi estampillées de leur entourage de la vingtaine, en lieu de place de toutes séduisantes figures. Dans l’immense Tokyo, il y a des corps à crever. » (Tatsumi Hijikata, extrait de Matériau du dedans, traduction Patrick De Vos).
Ces textes ne traitent pas de butô. Ne traitent pas de danse. Ni de Tatsumi Hijikata. Ils sont une danse, ils sont le corps d’Hijikata. Et sa pensée avec son corps. Charmatz et Balibar ne sont pas en duo dans La Danseuse malade. Ils sont en trio avec cela. Les mots transpercent l’épreuve du danseur, jusqu’à la morsure des chiens menaçants. La danse ? Ca peut être terrible.
Gérard Mayen
BUTÔ
La naissance du butô remonte au Japon d’après la Seconde Guerre mondiale. Pour être plus précis : au spectacle Kinjiki créé par Tatsumi Hijikata en 1959. C’était un spectacle court, sans musique, et il a provoqué un scandale énorme : on y suggérait notamment le coït entre un jeune homme (Yoshito Ohno) et une poule. Ce dernier serrait l’animal entre ses genoux, l’étranglant presque, suite à quoi, Tatsumi Hijikata cherchait à approcher le jeune homme. Dès lors, le butô est qualifié de choquant, provocant, physique, spirituel, érotique, grotesque, violent, comique, nihiliste, cathartique et mystérieux.
Le concept d’ankoku butô, réduit plus tard au seul terme de butô, signifie « la danse des ténèbres ». La meilleure manière de le définir est de le décrire comme la somme d’éléments du théâtre japonais traditionnel, de l’Ausdrucktanz (danse expressionniste) et du mime. Le butô rompt avec les règles établies (de la danse) et cède la place à l’improvisation. Parmi les caractéristiques récurrentes, on peut citer les visages grimés en blanc, les mouvements lents, les crânes souvent rasés et les postures crispées. Cette danse évoque des images de déchéance, d’angoisse et de désespoir, d’érotisme, d’extase et d’apaisement. Le butô s’inspire donc fortement de l’Ausdrucktanz, parce que dans les années 20, quelques Japonais s’étaient rendus en Allemagne pour découvrir la danse occidentale. À leur retour, ils fondent leurs propres écoles de danse, où Kazuo Ohno et Tatsumi Hijikata suivent leur première formation. En 1954, les deux futurs créateurs du butô se rencontrent. Cette rencontre marque le début d’une longue collaboration, qui verra Hijikata mettre en scène et chorégraphier de multiples spectacles d’Ohno. Le studio de Hijikata devient le centre d’un mouvement, pour autant que l’on puisse qualifier le butô de mouvement. Il y a en effet autant de manifestations que de danseurs de butô.
Chorégraphie
Boris Charmatz
Avec
Jeanne Balibar, Boris Charmatz
Texte
Tatsumi Hijikata
Traduction
Patrick De Vos
Performance au casque conçue et transmise par
Gwendoline Robin
Création lumière
Yves Godin
Régie lumière et vidéo
Eric Houllier
Conception décor
Alexandre Diaz, Dominique Bernard
Réalisation son
Olivier Renouf
Régie son
Jacques Marcuse
Direction technique
Frédéric Vannieuwenhuyse
Construction décor
Artefact
Avec la collaboration de
Françoise Meslé pour Jacana wildlife studio
Présentation
Théâtre National de la Communauté française, Kunstenfestivaldesarts
Production
Association edna (Paris), Musée de la danse / CCNRB (Rennes)
Directrice de production
Sandra Neuveut
Assistante de production
Cécile Tonizzo
Coproduction
Théâtre de la Ville (Paris), Festival d’automne à Paris, CNDC (Angers), NTA (Angers), La Ménagerie de Verre (Paris), deSingel (Antwerp)
Avec l’aimable autorisation du
Buto Sôzô Shigen (Tokyo)
Avec le soutien de
ADC (Genève), Dampfzentrale (Bern), Gessnerallee (Zürich), Tanzquartier (Wien), Cultures France (Paris).
Remerciements
Marie-Thérèse Allier, Frédéric Bélier-Garcia, Lalou Benamirouche, Patrice Blais et Raoul Demans, Patrick De Vos, Myriam De Clopper, Marie Collin, Emmanuelle Huynh et toute l’équipe du CNDC d’Angers, Sima Khatami, Isabelle Launay, Aldo Lee, Frédéric Lormeaux, Barbara Manzetti, M. Marlhin (DPI), Takashi Morishita, Jean-Pihilippe Varin, Gérard Violette
Musée de la danse / Centre Chorégraphique National de Rennes et de Bretagne - Direction: Boris Charmatz - Association soutenue par le Ministère français de la Culture et de la Communication (Direction Régionale des Affaires Culturelles / Bretagne), la ville de Rennes, le Conseil régional de Bretagne et le Conseil général d'Ille-et-Vilaine.
Cultures France contribue régulièrement aux tournées internationales du Musée de la danse.