22 — 26.05.2007
Anne Teresa De Keersmaeker, Ann Veronica Janssens, / Rosas Bruxelles
Keeping Still - Part 1
danse — premiere
⧖ 1h10 |
Anne Teresa De Keersmaeker en dialogue avec l'espace sensoriel et lumineux d'Ann Veronica Janssens.
KEEPING STILL –PART 1
AVJ : Au début du projet, nous nous connaissions à peine. Anne Teresa m’a invitée à venir voir l’un de ses spectacles et en le regardant, j’ai surtout été frappée par le plaisir de danser qui s’en dégageait. Et par le plaisir que j’ai éprouvé à regarder danser. J’avais l’impression que la danse était porteuse d’idées. Mon idée a été de contribuer à porter ce projet, par le biais de la lumière, afin d’obtenir une communion plurielle.
ATDK : C’est lors d’une exposition au Grand Hornu que j’ai remarqué l’œuvre d’Ann Veronica pour la première fois. Elle y présentait Représentation d’un corps rond, et j’ai été d’emblée touchée par la manière dont la lumière sculptait l’espace : l’immatérialité de la lumière qui devient soudain tangible ; l’absolu, sans rigueur aucune, d’une transparence et une blancheur tout simplement évidentes. Plus tard j’ai vu son installation vidéo d’un match de football qui se déroulait dans le brouillard. Là aussi, j’ai beaucoup aimé la façon dont elle parvient à représenter des choses existentielles avec une légèreté infinie.
AVJ : Pour la Biennale de Venise, j’ai créé un projet avec du brouillard artificiel à travers lequel on percevait une voix enfantine. Une sorte de comptine qui s’intitulait Vliegen. Cette voix que l’on entendait à travers le brouillard était très importante pour moi. Au fond, la voix est pareille à la lumière, d’une pureté égale, elle circule de la même manière à travers l’espace.
ATDK : En tant que chorégraphe, je me suis de plus en plus intéressée à la lumière au fil des années. Les derniers temps, je cherche à épurer le plus possible, à évacuer les décors superflus, à revenir aux éléments essentiels de la performance. Plus de murs, de toiles ou de rideaux, mais une économie de moyens, avec laquelle « moins devient plus ». Dans cette démarche, la lumière joue un rôle primordial. Par ailleurs, j’observe aussi que le matériau développé dépend en grande partie de la lumière dans lequel il a été créé. Concevoir par exemple un spectacle dans un studio éclairé par la lumière du jour, et le présenter dans une « boîte noire », vous place dans une situation conflictuelle qui requiert une tout autre écriture. La lumière exerce une action libératrice, engendre une énergie qui lui est propre et transforme le spectacle de manière fondamentale.
AVJ : Pour moi la lumière n’est pas divine, elle incarne tout simplement la vitalité de l’existence. La lumière est le chemin le plus court vers la vie.
ATDK : La lumière est le soleil, donc elle est la vie. Ouvrir les fenêtres d’un studio, c’est y faire pénétrer la vie à flots.
AVJ : La lumière est ce que l’on porte en soi. C’est la pensée, la philosophie, la politique et l’espoir aussi.
ATDK : La lumière recèle toujours la notion de la possibilité dissimulée, de l’invitation ouverte à ce qui est potentiellement présent.
AVJ : Dans le mouvement tout est en transformation perpétuelle, rien n’est figé.
ATDK : La lumière est mouvement, elle est vibration. Mais elle est également espace « intermédiaire » : entre moi et Robert, entre moi et le mur. C’est précisément dans cette zone intermédiaire que se situe le potentiel du mouvement ; potentiel que la lumière décuple. Keeping Still s’appuie sur la notion du mouvement qui naît de l’immobilité, en dialogue avec la lumière. Le point de départ du spectacle est ce moment de polarité complémentaire où l’immobilité devient mouvement.
* * *
ATDK : Dès le début, nous avons opté pour le brouillard comme élément scénique. Partant de là, nous avons choisi Das Lied von der Erde de Mahler ; les impressions que cette musique évoquait en moi, le désert et le néant, ont eux aussi été déterminants.
AVJ : Très vite en effet, une complicité a germé entre nos méthodes de travail. Je voyais une sorte d’intelligence à l’œuvre dans ce que fait Anne-Teresa, une grâce que je n’avais pas encore rencontrée dans la danse. Je n’ai eu aucun mal à m’y retrouver, à en comprendre les mécanismes et à concevoir un partenariat.
ATDK : Outre notre collaboration, nous désirions un autre partenaire. Personnellement, je voulais que ce soit un homme. J’ai demandé à David Hernandez de créer un vocabulaire gestuel, en tant que troisième collaboration entre nous, et à Rob List de m’assister dans la recherche de mon propre vocabulaire gestuel. Je tenais réellement à être accompagnée sur scène et j’ai finalement trouvé un partenaire en Robert Steijn..
AVJ : En somme, la sélection à partir de tout ce matériau était assez évidente. Notre propre langage s’est nourri de l’apport de toutes ces personnalités. Pour moi, le plus important était de rendre la fragilité du matériau visible.
ATDK : Cela faisait longtemps que j’avais envie de créer un spectacle qui mettrait en exergue ma préoccupation pour la planète et ce qui lui est infligé. Ce qui affecte notre équilibre écologique requiert notre attention. Dans le spectacle, on a l’impression que deux personnes sont abandonnées dans le désert, dans le néant. Peut-être y trouve-t-on encore un écho de The Songlines (Le Chant des pistes) de Bruce Chatwin : le fait que les Aborigènes croient que chanter insuffle la vie à la terre. Keeping Still, part 1 crée l’amorce d’une pensée sur l’écologie. Mais j’ignore quelle en sera la suite.
Bien sûr, le sujet est d’une actualité brûlante, ce qui le rend d’autant plus délicat. C’est une problématique qui nous colle à la peau. Mais il existe une foule de méthodes pour rassembler de l’information à ce sujet. Ce n’est pas le but de ma démarche artistique. Ma réponse est incomplète, elle fait allusion sans commenter, elle tente d’évoquer le trouble sans sombrer dans le romantisme. Mais je veux exprimer mon inquiétude, cela me tient à cœur.
(...)
Par Elke Van Campenhout
Mise en scène
Anne Teresa De Keersmaeker & Ann Veronica Janssens
En collaboration avec
Robert Steijn
Dramaturgie
Claire Diez
Présentation
Rosas & Kunstenfestivaldesarts
Production
Rosas & De Munt/La Monnaie
Coproduction
Kunstenfestivaldesarts

