12 — 14.05, 16 — 18.05.2006

Christoph Marthaler Zürich

Winch Only

— premiere

KVS BOL

NL, FR

Figure de proue du théâtre européen, Christoph Marthaler est un spécialiste des « secrets », ceux-là, tus par honte, qui transpirent par le biais d'attitudes étranges ou anxieuses, qui affectent les voix, nouent les corps, lézardent les êtres et leur huis clos d'élans maladroits, souffrants, drolatiques. Marthaler est ce metteur en scène des silencieux. Eminemment chorégraphique et musical. A Bruxelles en mai, sa création isole d'un opéra, la Poppea de Monterverdi, le crime, la faim de pouvoir et la soif de destruction. Infamies qu'il fait secrets de famille. Dans un salon truffé d'escaliers escamotés et de portes dérobées, ses personnages transpirent par la voix, le chant et le corps de micro-comportements éloquents. Leurs dédales, qu'il veut teintés de belgitude : une geôle mentale...

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Découvert par un public belge sidéré, lors du premier KunstenFESTIVALdesArts en 1994, avec le terrifiant et jouissif Murx den Europäer ! Murx ihn ! Murx ihnab ! Ein patriotischer Abend (Bousille l'Européen !...), Christoph Marthaler est aujourd'hui reconnu, hors de l'Allemagne et de la Suisse dont il est originaire, comme l'un des plus grands metteurs en scène européens. L'artiste n'a perdu ni de son humour, ni de son engagement vigoureux, ni de sa débordante créativité. Il pose à Bruxelles son regard visionnaire, tendre acerbe et critique sur la nature humaine.

Mars 2006, Marthaler est à Bruxelles pour vivre tout le processus de répétition d'une nouvelle création théâtrale produite par le KunstenFESTIVALdesArts. Dans ses bagages, la partition de l'Incoronazione di Poppea de Monteverdi « dont il restera peut-être un lien, peut-être rien », pense-t-il, tout préoccupé qu'il est de laisser affleurer en toute liberté les secrets de cette Bruxelles qui l'inspire et l'intrigue au cœur de sa « famille » d'acteurs-chanteurs, empêtrée ici dans un mystérieux secret de famille. Car Marthaler est un spécialiste des « secrets », ceux-là, tus par honte, qui transpirent par le biais d'attitudes étranges ou anxieuses, qui affectent les voix, nouent les corps, lézardent les êtres et leur huis clos d'élans maladroits, souffrants, drolatiques. Un metteur en scène des « silencieux », exhumant la fragilité des perdants, leurs manques, la valse de leurs espoirs empêchés, de leur puérilité engoncée dans l'habitude ou dans les rêves obsessionnels... Winch Only puise ici sa chair et son imaginaire à trois sources premières : Poppea où les beaux amoureux sont de vulgaires assassins, la famille en plein conflit - « le bonheur, c'est pour les séries télés, quel ennui ! » et Bruxelles « à la laideur si belle ! ». Quelque part sur les traces de François Schuiten et d'Hugo Claus...

Bruxelles, le 28 mars 2006

« Ceci n'est pas une... Poppea ! », lance Christophe Marthaler paraphrasant Magritte qui légendait ainsi sa peinture de la fameuse pipe. « C'est une Poppééééa qui fait non, non, non, non, non, non... », chantonne-t-il, réjoui, à la manière de Polnareff.

Le metteur en scène et son équipe sont à Bruxelles depuis le 25 mars. Dans les sous-sols du pimpant KVS-Box, ils répètent dans un espace esquissé qui présage celui de la représentation. Dans un coin trône sa réplique finie, construite à l'échelle réduite, la maquette qu'Anna Viebrock, scénographe et précieuse complice artistique de Marthaler, a conçu pour cette nouvelle création, pour et avec Bruxelles. Premier objet tangible à matérialiser les pistes d'un projet à éclore, décisif, mobilisateur, étonnamment disponible et invitant à l'invention de ses futurs habitants.

Inspirant (et inspirée par) Marthaler, Anna Viebrock et Frieda Schneider, sa collaboratrice, y ont disséminé les indices d'un univers en devenir. Un univers subrepticement biaisé dont les détails trahissent Bruxelles. Tout y a l'air logique et bien agencé, rien ne l'est : intérieur clos mais béant sur les cintres ; salon bourgeois dont les portes sont inertes et les escaliers escamotés ; cheminée centrale avec un grand âtre noir, peut-être un passage vers l'obscur des êtres et des cités... Une galerie surmonte le tout surplombant le vide, surmontée d'un rail circulaire, incongru.

« Quand on ira tourner à Parme, on pourrait y suspendre des jambons ! » s'amuse Marthaler au détour de la description évocatrice qu'en fait Anna Viebrock : « J'ai découvert ce rail à mécanisme rotatif dans la réserve des costumes de l'Opéra Garnier à Paris. De tutus romantiques y pendaient...à l'envers. Tels des anges ou... des poulets morts. Comme à l'abattoir ! Le décor est ainsi parsemé d'ambivalence. D'apparence réaliste, il est innervé de surréel. Il enferme, mais semble propice aux échappées secrètes : pièces insoupçonnées ou réalités parallèles ? Personne ne sait, même pas nous ! » « La complicité avec Anna est essentielle dans mon travail », poursuit Marthaler, « elle rend les espaces si inspirants ! »

Winch Only appartient à ces productions complètement ouvertes de Marthaler où aucun matériau contraignant ne préexiste à la création, où le temps se prend pour tâtonner, investiguer hors tout autant qu'entre les murs du studio. En ces débuts de répétitions, l'installation de chacun ressemble étrangement à un déménagement... cette manière de prendre possession d'un lieu et de son contexte, comme si l'équipe toute entière, réjouie par le changement, s'amusait à respirer à larges poumons l'air environnant pour mieux s'y fondre et regagner leur antre de personnages « marthaliens », anonymes impuissants et tiraillés d'élans latents... Cette latence, leur attente agitée, désormais teintée du sentiment de la ville, du sédiment de ses atmosphères...

A commencer par notre Palais de Justice démesuré dont Schuiten et Peeters affirment qu'il cacherait un parcours initiatique... vers Brüsel. « Ce Palais est un choc ! Une architecture titanesque qui a réellement l'air de surgir d'une bédé... », s'exclame Anna Viebrock. Marthaler, allumé, enchaîne : « Dans ce petit pays, c'est le plus grand monument de la Justice au monde ! Rien qu'à le regarder, on se sent déjà coupable ! Kafkaïen ! » « Les meubles du décor sont de vrais meubles, mis au rebut, passablement déglingués. », poursuit Anna « Il est très important qu'ils « soient » réels et non fidèles reconstitutions. Ils ont une vie d'avant qui les a fatigués, et des sons particuliers... »

Retour au studio, dans l'espace, Rosemary lance subitement un grand air tragique du Werther de Massenet - Elles font du bien, ma chérie ! Les larmes qu'on ne pleure pas... - accompagnée au piano par Bendix. Les acteurs affalés sur de vieux bancs d'accusés pouffent - on ne sait si c'est de rires ou de larmes. Aspiration de Castafiore versus trivialités compulsives. Les écoutant, Marthaler fait tourner distraitement une chaise de bureau miteuse montée sur roulettes. Elle crisse. Euphorisé par sa trouvaille, il s'applique à l'actionner comme on jouerait de la scie métallique. Le chant se poursuit, désormais accompagné d'un gémissement récurrent, suraigu et obsédant... Marthaler savoure.

« On ne sait pas encore ce que l'on va faire », dit-il. « Le préalable, c'est créer d'abord un vrai groupe d'acteurs, capables de se comprendre, de se deviner. Et le meilleur moyen pour y arriver, c'est de chanter ou de manger ensemble ! On chante énormément, on improvise. On procède toujours ainsi quand il ne s'agit pas d'un travail spécifique sur une pièce de théâtre ou un opéra. Il faut d'abord que nous connaissions... nos voix. On peut se le permettre parce que le groupe est petit (six personnes) : une famille d'acteurs et de chanteurs, qui deviendra famille de personnages ou semblant de famille car il sera bien impossible de dire qui est le père ou la fille ou le cousin ou la tante... En tout cas, ce sont des condamnés. Par une sanction de justice ou par eux-même ? On ne sait pas. Ils composent une famille assez spéciale, horrible, évidemment - c'est bien plus passionnant ! -... une espèce de communauté de destins. »

S'informant sur le Palais qu'ils ont par ailleurs visité, Marthaler et son équipe ont découvert l'existence d'un coiffeur - réel ou légendaire -, d'un bureau de poste et des cellules, jouxtant les chambres d'accusation. « Peut-être les personnages de Winch Only sont-ils les proches de ce coiffeur, installés là à perpétuité, ou de simples visiteurs égarés qui, faute de trouver la sortie, ont commencé à habiter dans le palais puis à recréer une famille, ou peut-être encore sont-ils détenus dans une cellule en attente d'un jugement et devinent la présence d'autres dans d'autres cellules... Peut-être ont-ils été, il y a très longtemps aussi amoureux et monstrueux que Poppea et Neron... »

Peut-être seront-ils aussi enchaînés l'un à l'autre que les personnages du roman de Claus, A propos de Dédé devenu au cinéma Het Sacrament : une famille s'y retrouve chaque année autour d'un repas festif pour célébrer le décès de la mère, retrouvailles basculant dans le règlement de comptes, suintant de terribles démons et culpabilités enfouies.

Peut-être...

Le travail qui est ouvert traversera tant les corps, le silence... que les voix puisque chez Marthaler la parole, le geste, l'action, la musique et leurs enchaînements semblent soumis à un thème musical. Tout est à composer. Hors l'espace, souvenir et devenir. Hors le titre, Winch Only, glané sur un bateau entre Naples et Lipari : une aire sur le pont, marquée par un cercle de peinture blanche destinés aux hélicoptères, trop étroite pour l'atterrissage, « réservée au treuillage ». Seule manière en mer de charger et décharger vers la terre, le hissage mû par l'engrenage. Un clin d'œil ? Une ludique image...

Claire Diez

Basé sur la musique de:

Claudio Monteverdi, F. Schubert, G. Fauré, J.S. Bach, R. Wagner, C. Saint-Seans, J. Brahms (u‧v‧a.)

Interprètes:

Marc Bodnar (Marc), Bendix Dethleffsen (Bendix), Olivia Grigolli (Olivia), Rosemary Hardy (Rosemary), Sasha Rau (Sasha), Graham F. Valentine (Graham)

Piano:

Bendix Dethleffsen

Mise en scène:

Christoph Marthaler

Création décors:

Anna Viebrock, Frieda Schneider

Création costumes:

Sarah Schittek

Lumières:

Dierk Breimeier

Direction vocale:

Rosemary Hardy

Dramaturgie:

Malte Ubenauf, Lise Bruyneel (stagiaire)

Assistant à la mise en scène:

Andrea Jacobsen

Confection costume:

Nicole Moris

Maquillage:

Marie Messien

Production:

KunstenFESTIVALdesArts

Coproduction:

KVS, Hebbel am Ufer (Berlin), Théâtre National de Chaillot (Paris), Festival de Otoño (Madrid), Le duo Dijon, Le Maillon (Strasbourg), Grand Théâtre de Luxembourg, Fundação Calouste Gulbenkian - State of the World (Lisbon), Fondazione Teatro Due - Teatro Festival Parma

Avec le support de:

the Kulturstiftung des Bundes (Berlin)

Remerciements à:

Geert Leysen, Justitiepaleis Brussel/ Palais de Justice Bruxelles

Présentation:

KVS, KunstenFESTIVALdesArts

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